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1 - UNE leçon DE GÉOGRAPHIE HUMAINE
2 - LE DÉCLIN DES MIGRATIONS SAISONNIERES DANS UNE VALLÉE DES PYRÉNÉES
Philippe Arbos est né à Mosset le 30 juillet 1882 à Mosset fils de l’instituteur Philippe Arbos et d’Adèle Cantié.
L’instituteur fera de son fils un professeur agrégé de l’École Normale Supérieure.
A 20 ans lors du recensement de la classe 1902 il porte le N° 74 et est “Candidat à la licence de lettres”
Boursier il est élève du Collège Arago de Perpignan où, élève en classe de phylosophie en 1899, il reçoit in 6e accessit au concours général en physique et histoire naturelle. Il se distingue par plusieurs prix au concours général et en particulier par un deuxième prix de discours latin
Il fait des Études supérieures en "khâgne" à Paris au Lycée Louis le Grand, avant d'être reçu au concours de l'École Normale Supérieure, Rue d'Ulm. Il y est le condisciple de Jules Romain.
De sa rencontre en 1902 avec Raoul Blanchard, le grand maître de l'École Française de Géographie, il prépare l’agrégation d’histoire et Géographie.
Agrégé il est nommé professeur aux lycées de Toulon puis de Grenoble avant de rejoindre l’Université de Clermont Ferrand En 1939 il habite au 26 rue Blatin à Clermont Ferrand. Une école porte aujourd’hui son nom : École Philippe Arbos 50 rue Hauts de Chantugue
Vers 1925 est publication sa thèse de Géographie Humaine sur la vie pastorale dans les Alpes françaises, couronnement de 10 ans de travail. Cet ouvrage magistral a longtemps fait autorité et particulièrement en ce qui concerne la méthode de recherche mise en œuvre par l'auteur.
De 1930 à 1950, Philippe Arbos est l'un des plus grands professeurs français de Géographie. Il est chargé de conférences aux USA, au Brésil.
Marié à Édith Perouze en 1910, il en aura une fille Lucienne.
Il passait régulièrement ses vacances en famille à Mosset ou il est inhumé.
Référence : "Francis Castex - Revue Tramontane qui indique Son pays catalan et son village natal ne lui ont pas témoigné les honneurs qu'il avait mérités "
UNE leçon DE GÉOGRAPHIE HUMAINE
par Philippe ARBOS
Présentation de Michel ARROUS
Fils d'un remarquable instituteur de Mosset, Philippe Arbos (30.07.1882 - 30.12.1957), né et enterré au village, ancien élève de l'École Normale Supérieure, agrégé d'histoire et de géographie, docteur ès lettres, fit toute sa carrière à l'Université de Clermont-Ferrand, où il débuta comme maître de conférences de géographie. Sa thèse (1922) - La Vie pastorale dans les Alpes françaises : étude de géographie humaine - figure dans les bibliographies spécialisées et apparaît régulièrement dans les catalogues de vente, avec un prix affiché fort respectable ; en outre, la Bibliothèque de l'Institut de géographie alpine de l'Université de Grenoble m'a indiqué qu'elle était toujours consultée.
Devenu titulaire de chaire, PH. ARBOS collabora à d'importants travaux scientifiques, entre autres l'enquête agricole de 1929, à la suite de laquelle il co-rédigea l'ouvrage sur Les Populations rurales du Puy-de-Dôme ; il pratiqua aussi la géographie urbaine dans une étude consacrée à la ville où il enseignait (1930). En 1931, il participa au Congrès international de géographie et, par la suite, remplira de nombreuses missions d'étude et de conseil à l'étranger. Ses travaux font autorité, non seulement les 716 pages de sa thèse, mais aussi une monographie moins importante, comme L'Auvergne (1932), quatre fois rééditée. Son université l'honorera en donnant son nom à une salle de cours.
Pendant les vacances, il mettait à profit ses randonnées quotidiennes pour s'informer de la vie économique du village. C'est à l'occasion de l'hommage au professeur Maurice Zimmermann, en 1949, qu'il rédigea un bref essai sur le déclin des migrations saisonnières, phénomène nouveau qu'il avait pu constater sur le terroir de Mosset, alors que le fameux Max Sorre, un des patrons de la géographie française d'alors, ne l'avait pas enregistré. Soulignons l'apport économique et sociologique de ce travail que PH. Arbos avait pris soin d'illustrer de quatre clichés que nous ne pouvons reproduire ici : la haute vallée de Mosset vue du bac, le bac vu de la Soulane, le village sur son éperon de confluence, le contraste entre l'aridité de l'aspre et le ragatiu verdoyant. Il faut ajouter que la signature de
PH. Arbos, alors au faîte de sa carrière, côtoie celle d'autres savants renommés, géographes, historiens, anthropologues, comme Maurice Le Lannou. De Martonne, Louis Trénard, André Latreille, Jean Vidalenc et André Leroi-Gourhan. Enfin, dernier détail : PH. Arbos étudiait attentivement l'évolution économique, tout en conversant avec des exploitants qui ignoraient que leurs réponses nourriraient un travail universitaire dont l'importance n'échappera pas à ceux qui s'intéressent à l'histoire d'un vilage du Conflent roussillonnais.
LE DÉCLIN DES MIGRATIONS SAISONNIERES DANS UNE VALLÉE DES PYRÉNÉES Méditerranéennes
par Philippe ARBOS.
La commune de Mosset, dans le département des Pyrénées-Orientales, correspond au cours moyen et supérieur de la rivière Castellane, orientée grossièrement Ouest Est, qui se jette dans la Têt légèrement en aval de Prades. M. Sorre lui a consacré dans les Pyrénées méditerranéennes quelques pages, qui étaient une image fidèle. Le tableau a bien changé depuis lors. Il vaut la peine de reprendre la question d'ensemble.
La commune est à la fois très vaste, et, si l'on peut dire, très étagée. Avec ses 7.115 hectares (cadastre de 1812), elle se place presque au rang des communes que M. Meynier appelle géantes. De cette grande superficie elle tire avantage par son développement en altitude : le village, agglomération serrée, est perché sur un éperon de confluence,
à 710 m. ; mais le territoire communal commence vers 550-600 m., aux confins de la limite supérieure de l'olivier et s'élève à des hauteurs de plus de 2.400 m., où les étés frais voient subsister des plaques de neige.
Les deux versants de la vallée contrastent. D'abord parce qu'elle est dissymétrique. Le versant droit se dresse avec une certaine raideur, tandis que le versant gauche s'étale davantage ; toutefois chacun d'eux est couronné par de hautes surfaces, situées à des altitudes superposées, et dont il faut en particulier retenir celles qui se déroulent vers
800 m-1200 m. Le versant gauche, par ses pentes relativement longues, offre à l'occupation humaine des facilités, qu'accroît encore son exposition heureuse. Il représente en effet le côté du soleil, la soulane. En face de lui s'élève le bac, le côté de l'ombre. Bac et soulane s'opposent par le paysage végétal. La soulane est à peu près complètement dépouillée de bois. Dès 1912 le cadastre y mesurait 109 ha de forêts contre 1.361 au bac. La situation n'a guère changé en proportion depuis lors.
On est tenté d'expliquer le déboisement intégral de la soulane par les ravages de l'ancienne métallurgie. Mosset a été, en effet, un centre actif de cette industrie, fondant et ouvrant le minerai du Conflent, apporté à dos de mulet ou d'homme. Au milieu du XVe siècle on y trouve un "faber et bombarderius", qui reçoit paiement de dix-huit bombardes de fer. Le travail du fer continua jusqu'au XIXe siècle. Avant de se localiser dans le fond de la vallée, au fil de l'eau, il s'était exercé sous la forme des "forges volantes", qui se déplaçaient avec l'épuisement des quartiers de forêts voisins. Quand on circule sur les hautes surfaces de la rive gauche on peut rencontrer des scories qui témoignent de l'ancienne existence des forges. On ne peut pourtant pas rendre ces artifices absolument responsables de la déforestation de la soulane ; car au milieu des belles forêts du bac on observe aussi des traces de leur passage. Si la soulane a été et est restée à peu près complètement dénudée, ce n'est pas le fait de la métallurgie seule. Il ne faut pas non plus l'attribuer de façon exclusive aux difficultés que le climat de la soulane peut opposer à la régénération naturelle des bois. La forêt a été en grande partie détruite et empêchée de se reconstituer par les défrichements, par lesquels les paysans ont tâché de créer et de maintenir du côté du soleil des ressources non seulement pastorales, mais aussii agricoles.
C'est par le fait de ces défrichements que s'est constitué un genre de vie, fondé sur l'association de la montagne et de la vallée, qui doit remonter très loin dans le passé, qui a perduré tout le XIXe siècle, qui florissait encore quand M. Sorre écrivait sa thèse, et qui est aujourd'hui en pleine dissolution.
J'appelle "montagne" la zone des habitations temporaires d'été, dites cortals, qui occupe, essentiellement à la soulane, les parties supérieures des versants et surtout les hautes surfaces entre 900 m. et 1.200 m. ; je réserve le nom de "vallée" aux pentes inférieures des versants. Celles-ci sont tranchées en deux par le canal d'arrosage ; au-dessus de lui les terres aspres ne bénéficient pas de ces bienfaits ; au-dessous prospère le mince liseré du ragatiu. Les terres aspres, quand elles étaient exploitées, étaient le théâtre soit d'une culture continue avec jachère, soit d'une culture itinérante ; elles fournissaient du seigle, des pommes de terre, du vin (44 ha de vignes en 1812). Le ragatiu a pratiqué jusqu'au XXe siècle une économie agricole du type "vega" ; le même sol voyait se succéder la même année deux récoltes : d'abord céréales (seigle, plus récemment froment), puis maïs et haricots entremêlés.
A la montagne on dénombrait en 1812 soixante-dix cortals, tous à la soulane, sauf cinq en général localisés par des expositions secondaires. Ils donnaient lieu à une exploitation à la fois agricole et pastorale. Chacun comportait des terres labourables, des pâturages et des prés. Les premières étaient souvent aussi étendues que les deux autres catégories réunies ; mais d'autre part les possibilités pastorales étaient accrues par le voisinage des biens communaux, qui étaient surtout des pacages. Les champs, qui étaient presque tous à l'aspre, n'en bénéficiaient pas moins d'une fertilité remarquable grâce au pacage qui permettait parfois de supprimer la jachère. Ils produisaient seigle, pommes de terre, subsidiairement choux, navets, raves, "froment de mars", plus récemment betteraves fourragères. Les cortals contribuaient donc au ravitaillement des hommes. Mais ils nourrissaient aussi un nombreux cheptel, surtout ovin. L'été les troupeaux vivaient sur les pâturages particuliers et surtout sur les communaux ; l'hiver ils étaient nourris grâce au foin mis en réserve au cortal ou descendu du cortal à la grange du village.
Au début du XXe siècle plus de la moitié de la population du village passait la plus belle saison aux cortals. Chaque famille montait en entier, menant avec elles volailles, chats, porcs. D'avril à octobre, durant six à sept mois, le cortal était le quartier général. M. Sorre pouvait écrire : "Nulle part la vie est aussi disséminée… La vie rurale a deux centres, la maison du village et le cortal. Mais le cortal est le principal".
Ce n'est pas que le village fût en été complètement abandonné à lui-même. Dans chaque famille une ou plusieurs personnes y descendaient de temps à autre. Les hommes y venaient faucher, moissonner, dépiquer, et, journée faite, remontaient le soir. Aux femmes revenait la tâche ingrate de l'arrosage, tyrannique, très pénible, effectuée les pieds dans l'eau et, quand le "tour" se trouvait la nuit, éclairée par la lueur tremblotante d'une lanterne.
Après le retour de la famille au village, le cortal ne restait pas désert. Il y demeurait le troupeau ovin ou du moins les moutons, les brebis étant souvent conduites, en transhumance inverse, dans la plaine du Roussillon. Chaque jour un membre de la famille devait se rendre au cortal pour faire pâturer les animaux, si le ciel s'y prêtait, sinon pour leur distribuer la provende engrangée, où la paille tenait bonne place. C'était pour les cortals les plus éloignés un trajet de six heures de marche aller et retour, et qui s'allongeait singulièrement quand il fallait l'effectuer dans la neige ; encore était-on parfois bloqué au cortal un ou deux jours.
Le genre de vie que je viens de décrire est aujourd'hui en pleine décadence ; on peut presque dire qu'il est ruiné. Les causes en sont diverses : au premier rang il faut sans doute mettre la dépopulation. La commune à atteint son maximum démographique en 1836 où elle comptait 1.333 habitants ; de 1836 à 1866 elle a oscillé au-dessus de 1 200. Alors a commencé la chute qui finalement a fait tomber à 445 en 1946, 445, c'est-à-dire le tiers du maximum de 1836. Tel a été le résultat de l'émigration qui a affecté d'autant plus la courbe démographique que l'excédent des naissances sur les décès a toujours été très faible, parfois presque nul.
La forte diminution de main-d'œuvre gêne la municipalité des allées et venues auxquelles les paysans devaient se livrer été et hiver entre village et cortal. D'ailleurs ces trajets, sans cesse recommencés, ont quelque chose de pénible, qui fait qu'on s'y assujettit de moins en moins volontiers, d'autant que souvent on doit les accomplir à pied. Les transports se faisaient, il est vrai, à dos de mulet ; mais il reste très peu de mulets, parce qu'ils ont été pris par les réquisitions, et aussi parce que les paysans trouvent que ces animaux trop voraces et aiment mieux réserver le foin pour les vaches laitières. La difficulté des transports empêche de restaurer et même d'entretenir les bâtiments que les intempéries dégradent. Autant de raison de désaffection à l'égard de la " montagne ". Une cause accidentelle s'y est ajoutée, ce sont les ravages dont les récoltes ont souffert de la part des sangliers, et qui ont découragé les cultivateurs. La plupart des cortals tombent en ruines, les champs sont gagnés par les fougères, les genêts et les cistes ; les prés sont de moins en moins fauchés.
Cependant des bouchers, des bergers, des spéculateurs du Conflent et du Roussillon achètent des cortals ; l'un d'entre eux en particulier en a acquis dix et a formé ainsi un bien de 272 hectares. Il s'agit de constituer des domaines pastoraux, sur lesquels se pratique une transhumance d'ordre en grande partie commercial. C'est une vie, en quelque sorte factice, qui anime la montagne, d'ailleurs très incomplètement. Par suite d'une évolution, nous pourrions dire ici une révolution, qu'on retrouve à des degrés divers dans la plupart des vallées montagnardes, les migrations saisonnières des villageois ont à peu près cessé.
Parallèlement, et peut-être sans rapport, l'économie s'est transformée. Le principal revenu venait traditionnellement de l'élevage ovin : vente de la laine et des moutons jusque vers la fin du XIXe siècle, vente de l'agneau de boucherie ensuite. L'entretien de ce petit bétail dépendait en grande partie des foins et surtout des pâturages de la montagne. Troupeau ovin et cortals ont connu un déclin simultané.
Il est vrai qu'une ressource nouvelle est apparue avec le lait de vache. Jusqu'au XXe siècle les paysans ne possédaient de vaches que pour le travail et n'attachaient pas de prix au lait, pour lequel il n'y avait pas de débouché. Depuis 1920 environ un ramasseur, qui travail pour la plaine du Roussillon, vient chaque jour ; l'hiver il s'arrête au village ; l'été il remonte au-delà pour recueillir le lait des vaches vient surtout du ragatiu. Les anciennes cultures y sont remplacées par les prairies artificielles et surtout par les prés naturels, auxquels l'irrigation permet de prospérer : ainsi est assurée la subsistance des bêtes de Schwyz, qui se sont substituées aux bêtes gasconnes. Du même coup l'aspect estival de la vallée a changé : naguère toute jaunissante au temps des moissons, elle déploie aujourd'hui une fraîche verdure.
Cependant un trait nouveau s'inscrit dans le paysage pour le rendre encore plus riant. Il y a une vingtaine d'années des plantations d'arbres fruitiers ont commencé, non sans susciter le scepticisme. Les hauts prix atteints par les fruits ont été pour cette production la plus alléchante des propagandes. Elle bénéficie aussi de ce que le soin des arbres est moins assujettissant que celui du bétail. Aujourd'hui les camions viennent été et automne se charger des récoltes des vergers. Pommiers et poiriers à l'amont, pêchers et abricotiers à l'aval se sont multipliés. La vallée tend a prendre un caractère bocager.
Les ressources de la commune se limitent de plus en plus aux 200 ha de ragatiu. Les "terres labourables non arrosables", qui figuraient au cadastre de 1812 pour 1.200 ha, ne comptent pour ainsi dire plus. Ajoutons la sous-exploitation des pâturages. L'espace vital est singulièrement rétréci. Mais la population non seulement est moins nombreuse, mais bénéficie de la commercialisation de son économie, tandis que l'abandon des cortals, si on peu le regretter à certains égards, lui fait une vie moins harassante.