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Frances Corcinos (1614-1663)
Le batlle et la gabelle
La gabelle
C'est en décembre 1661 que l'impôt de la gabelle fut instauré en Roussillon, le roi Louis XIV prétendant ainsi soulager les populations des contributions qu'il leur fallait verser pour entretenir les nombreux militaires cantonnés dans la province, devenue française deux ans auparavant. Le décret royal n'hésite pas à considérer ce nouvel impôt comme démocratique et équitable, autrement dit un véritable bienfait pour les catalans : "Nous aurions recherché avec soins d'autres moyens pour tirer annuellement quelques secours pour nous ayder à supporter la dépense des places fortes et payer les gages des officiers; et entre tous ceux qui nous ont esté proposés, nous n'en avons point trouvé de plus juste et moins onéreux à nos sujets du dit pays que d'establir la vente du sel à nostre profit, en la même manière qu'en nostre province du Langued'oc, puisque chacun de nos sujets en portera sa part." ( Extrait des registres du Conseil Souverain)
La mise en place de la gabelle entraîne celle de gardes chargés de réprimer la contrebande, dont on sait très bien en France qu'elle est un fléau engendré par l'impôt sur le sel : on a l'habitude de ces faux sauniers et de leurs convois de mules empruntant la nuit des sentiers forestiers, véritables petites armées contre lesquelles les gabelous sont souvent impuissants. Ce dont on ne se doutait sans doute pas, c'est que les Catalans s'adapteraient aussi vite à la situation, et que les gabelous envoyés dans la province (des gavatxos pour la plupart) se trouveraient très vite débordés: près d'une centaine de personnes condamnées pour la seule année 1662. (Texte J Tosti)
La gabelle à Mosset
Ce jour, 14 Février 1662 à Villefranche de Conflent, Antoine BOU, huissier royal fait une déclaration devant le substitut du Roi expliquant son entrevue désastreuse, la veille, avec François Corcinos, batlle de Mosset, qui, par ordre du Président Sagarra, devait publier un arrêt relatif à l' établissement de la gabelle dans la vallée.
«Ce jour 14 Février 1662, à Villefranche de Conflent, Antoine Bou huissier royal âgé de plus ou moins 40 ans, témoin cité par l'avocat général du Rouet son substitut, et prêtant serment devant Messire François Sagarra président du Haut Conseil dé Perpignan, a déclaré
Hier, le 13 du présent mois, je me présentai au village de Mosset afin d'exécuter l'ordre donné par messire François de Sagarra de faire publier dans le dit village l'arrêt de la Cour du Haut Conseil quant à l'établissement de la gabelle dans la vallée ; j'étais accompagné par deux commis de la dite gabelle et par deux gardes du Comte de Noailles et au moment où nous descendions de cheval devant l'auberge du village, je demandai où était le batlle ; il me fut répondu qu'il se trouvait dans cette auberge. Je monte à l'étage afin de le retrouver mais me dit le personnel de l'hôtel, à la vue des gardes, il s'est enfui par une petite porte dérobée. J’ordonnai au propriétaire de l'auberge que, de n'importe quelle manière il fasse rechercher le batlle dont j'avais besoin afin d'exécuter un ordre de la Cour et peu après le dit Batlle revint à l'auberge et grimpa jusqu'à la salle accompagné d'une cinquantaine d'hommes tous abrités sous leur cape de berger ; je notifiai au batlle l'ordre de publication de l'arrêt que je lui remis ; ensuite, lui demandai de le faire publier et l'édile me demanda alors si c'était un ordre, je lui répondis que non (?)... S'en suivit un échange au cours duquel le batlle parla de François de Sagarra et du Conseil Souverain en des termes pour le moins dédaigneux, discourtois ( en particulier, que lui, batlle de Mosset était un Batlle de Baron et qu'il n'a "rien à foutre" de Sagarra, ce qui oblige l'émissaire à lui dire qu'il fasse attention à ses paroles et qu'il soit plus déférent envers le président !). Pendant ce temps, les quarante ou cinquante hommes qu'il avait amenés avec lui commencèrent à bouger à grand bruit, se moquant de moi et de mes compagnons, pliés en deux, ils parlaient fort et je m'aperçus que nombre d'entre eux levaient la jambe et pétaient ; l'épreuve des pets et l'odeur pestilentielle dégagée furent telles que je m'en plaignis au batlle et lui dis que s'il appréciait les insolences et toutes ces saletés envers ma personne, il se devait de considérer de quel haut personnage je portais cet ordre ; en fait, je devins la risée de tous ses compagnons jusqu'au pied de l'auberge et de la boucherie ; je dis au batlle, pourquoi tant de haine ? Ces choses là devraient se dérouler dans la sérénité ! Mais il me répondit avec une grande arrogance si je pensais lui faire peur ou si lui même avait peur ! Je lui répondis que je ne pensais pas l'effrayer car je supposais qu'il allait de toute manière exécuter les ordres du Roi ; c'est alors que je vis le batlle et ses gens se rendre dans l'église et, avant d'y pénétrer, faire lire l'arrêt par un prêtre dont on m'a dit qu'il était le recteur et entre temps, le capitaine Ganxo habitant Belpuig et Prunet (?) et moi parlâmes mais je voyais bien, moi, que le batlle n'achevait jamais d’expédier et je lui dis donc, en présence de Ganxo, de se presser. Alors un de ceux qui accompagnaient l'édile se tourna vers le capitaine peut-être pour l'apeurer ou lui enjoindre de partir au plus vite (?). Le batlle et ses hommes entrèrent dans l'église et tinrent conseil mais, après plusieurs heures, le batlle me demanda de rentrer à l'auberge où, me dit-il, il ne tarderait pas à répondre à ma demande. Durant tout ce temps (des heures), des gens du village me lancèrent ainsi qu'à mon escorte mille moqueries et plaisanteries, continuant à péter devant le batlle et malgré mon opposition: tout était fait pour nous effrayer afin que nous partions sans que l'arrêt soit publié ; je retournai à l'auberge.
Une heure après, arrive le Batlle avec un homme : l'arrêt n'est toujours pas publié et comme la nuit tombait et que les mauvais "traitements" se poursuivaient, mes compagnons et moi nous nous enfermèrent dans l'auberge toute la nuit, au petit matin, nous nous rendîmes à Villefranche et ceci est la stricte vérité.»
Signé : Joseph Bertran de la ville de Prades.
«Après avoir enregistré les déclarations des divers témoins à charge comme les "gardes du sel" et à décharge comme Joan Ortega, le recteur de Mosset ou la population du village, Frances Corcinos le batlle est emprisonné "dans les prisons royales où il est dans la misère la plus noire sans pouvoir avoir le soutien et la visite de sa famille". Finalement, le 21 Juin 1662, se termine le procès et "la Cour condamne Frances Corcinos à faire amende honorable, à demander pardon à Dieu, au Roi, à la Cour, à Monsieur le Président Sagarra et à payer une amende de 50 livres françaises ainsi que les dépens.» (ADPO 2B1620)
Traduction de Jean Llaury le 12/11/2007