XVIIIe siècle - Pierre d'Aguilar Marquis, maire de Perpignan en 1790 - Histoire de Mosset

Rechercher
Aller au contenu

Menu principal :

XVIIIe siècle - Pierre d'Aguilar Marquis, maire de Perpignan en 1790

XVIIIe siècle > Révolution


Le Marquis d'Aguilar (1719-1792)
maire de Perpignan en 1790

Extrait de
"Perpignan pendant la révolution 1789-1800
de l'abbé Torreilles
"


Remarque.
Le texte qui suit est emprunté au tome I de l'ouvrage de l'abbé Philippe Torreilles "Perpignan pendant la Révolution 1789-1800" paru en 1897 et réédité en 1989 en 3 volumes par La Bibliothèque Roussillonnaise - Philippe Schrauben. Ce tome I "Perpignan en 1789 - Les débuts de la Révolution" analyse en détail les événements auxquels les d'Aguilar, Pierre le père et aussi Melchior le fils aîné, ont pris une part significative et parfois décisive. En 1789, le père avait 70 ans et le fils 33.
Le texte qui suit n'est pas cependant la "copie chinoise" du texte de la réédition. Dans un souci d'allègement et pour se concentrer sur les d'Aguilar, certains paragraphes n'ont pas été repris et par soucis de clarté quelques formulations ont parfois été modifiées.  Le lecteur plus exigeant pourra donc utilement se reporter au livre de l'Abbé Toreilles. Peu d'informations nouvelles ont été apportées.  La numérotation en 12 chapitres est celle de l'ouvrage.

Situation générale avant 1789.

En 1789, Perpignan faisait partie de la province de Roussillon, de la viguerie du Roussillon et de l'évêché d'Elne.
La province de Roussillon comprenait le département actuel des Pyrénées-moins les cantons de Sournia, de Saint-Paul et une partie de celui de Latour.
En 1660, lors de l'annexion du Roussillon à la France, la province était administrée par un gouverneur, espèce de vice-roi, les villes par des bayles, les campagnes par trois viguiers : le viguier du Rouset Vallespir, celui du Conflent et celui de Cerdagne. Bayles et viguiers étaient les représentants directs du roi, juges et administrateurs à la fois.


Viguiers
Louis XIV trouva ces fonctionnaires rop nombreux et trop puissants. Peu à peu les bayles devinrent de simples présidents du tribunal de la ville où ils se trouvaient, appelé le bailliage, tandis que les viguiers virent leurs pouvoirs administratifs considérablement augmentés.
Comme nos sous-préfets ils devaient servir d'intermédiaire entre les communes et l'intendant.
Le viguier du Roussillon et Vallespir, résidant à Perpignan, se nommait M. Balanda.


Intendant.

L'intendant, le mot l'indique, était en principe un surveillant des diverses administrations. Délégué ou commissaire départi du Conseil d'État pour veiller à ce que les divers pouvoirs publics s'acquittent de leurs fonctions au mieux des intérêts du roi. L'intendant aurait dû simplement contrôler les finances, la police, la justice, l'armée et les fortifications. En fait, grâce à la situation particulière de notre pays, son autorité était souveraine sur la police et les finances.
C'est ainsi qu'en 1753 Louis Guillaume de Bon de Saint-Hilaire avait été promu premier président de la Cour Souveraine de Perpignan puis intendant de la province. Il cumula ces deux éminentes fonctions  jusqu'en 1773. (ADPO 2B68). Son successeur est Hyacinthe Raymond de Saint Sauveur de 1773 à 1789. Louis Guillaume était le frère de Pierre François Ignace de Bon qui devint par son mariage en 1754 le Marquis d'Aguilar.
Que faut-il entendre par services de police et des finances au XVIIIe siècle ? Pour la police c'est à peu prés l'administration préfectorale actuelle (1890) avec sa direction politique, ses entreprises publiques, ses travaux publics, sa tutelle des communes et autres corps constitués, sur l'action religieuse, etc. Pour les finances ce sont les divers corps s'occupant de la répartition et de la perception des impôts.
Depuis 1660 jusqu'en 1787 les finances et la police n'étaient en fait exercées par personne, le Roussillon n'ayant pas d'État comparable par exemple à celui du Languedoc. Sans doute les viguiers et les consuls avaient certaines attributions, mais elles étaient si minimes que l'intendant, trouvant la police et les finances sans administrateurs directs, les régit souverainement. II s'ensuivit cette situation anormale que l'intendant fut en même temps simple surveillant de la justice et de l'armée et maître de la police et des finances. Le pouvoir royal, loin de changer cet état de choses, l'aggrava souvent en réunissant durant le XVIII siècle, l'intendance, la présidence du Conseil souverain et la maîtrise des eaux et forêts, afin de faire du titulaire de ces attributions un fonctionnaire entre les mains du ministre.
On s'aperçut vers la fin du XVIII siècle des inconvénients de cette centralisation excessive. A partir de 1773 la présidence au Conseil souverain ne fut plus unie à l'intendance. En 1787 l'on devait créer l'Assemblée provinciale pour administrer la police et les finances

Assemblée provinciale.
L'Assemblée provinciale
avait été établie pour régir la police et les finances dont l'intendant n'aurait dû avoir en droit que la simple surveillance. Auprès de l'Assemblée provinciale l'intendant exerça les fonctions de commissaire du roi, tel le préfet prés du Conseil général.
II suffira de rappeler qu'à côté de l'Assemblée provinciale, rarement en exercice, fonctionnaient deux assemblées du district, l'une pour le Roussillon et le Vallespir présidée par le marquis d'Oms de Tord, l'autre pour le Conflent et la Cerdagne ayant à sa tête le Marquis d'Aguilar et une Commission intermédiaire qui, en l'absence ou à côté de l'Assemblée provinciale, gérait les affaires ou les préparait.
Notons que le marquis Joseph d'Oms de Tord de Calvo (1722-1807) était le beau-frère du Marquis d'Aguilar.


Nous trouverons cette Commission en plein exercice lorsque éclateront les troubles de juil1789. Après avoir été présidée par Monseigneur d'Agay, elle aura alors à sa tète le Marquis d'Aguilar et par intérim M. de Çagarriga d'AnLa Commission n'ayant pas encore de palais se réunissait ou à l'évêché du vivant de Monseigneur d'Agay ou chez le Marquis d'Aguilar ou chez M. de Çagarriga. Elle comptait en 1789 M. d'Aguilar comme président, les deux secréprovinciaux  M.M. de Matteu-Bou et de Llucia, M.M. de Çagarriga, Eychenne vicaire énéral, Belmas et Sanyas.

Population
La population de Perpignan à la veille de la Révolution comptait  13.365 habitants. Mosset en comptait 1000.
La population était partagée en trois classes : clergé, noblesse et tiers-état, mais la division de la noblesse et du Tiers en trois bras ou mains, avait établi des démarcations nouvelles dans les classes elles-mêmes. Le clergé se composait de séculiers et de réguliers soit au total à Perpignan 54 religieux et 76 religieuses.


La noblesse se répartissait en :
Gentilshommes.
Les gentilshommes, ceux dont la noblesse est incontestée, forment un corps à part, avec droits utiles et honorifiques spéciaux. Ce sont les vieilles familles catalanes, les unes restées espagnoles et possédant des terres en Roussilles autres devenues françaises : les d'Oms, les de Çagarriga, les de Ros, les d'Aguilar, les d'Ortaffa, les de Campredon, les de Blanes, les de Saint-Marsal, les de Montferrer, etc.
Depuis l'extinction des comtés de Roussillon, de Conflent et de Cerdagne et jusqu'à l'annexion, il n'y avait eu d'autres titres attachés aux seigneuries roussillonnaises que des vicomtés et des baronnies.
Au XVIII siècle, le roi donna le marquisat aux d'Oms, d'Aguilar, de Saint-Marsal, de Montferrer, de Blanes, etc., et le comté aux de Ros.
Bourgeois nobles.
Bourgeois nobles avec d'une part les "bourgeois immatriculés" c'est à dire crées par la ville et d'autre part les "bourgeois de rescrit" à qui le roi avaient donné des lettres de bourgeoisie, comme Sunyer, Bonet, Romeu, Compte, Gelcen, Llobet à Prades, Massia à Vinça.
Avocats
Jouissants de la noblesse.
Les jouissants de la noblesse sont les rotuqui, d'après l'usage, ont été considérés comme faisant partie de la noblesse au point de vue des droits utiles. Les droits utiles sont les exempd'impôts et de service militaire et en vertu des droits honorifiques l'on peut dans les réunions publiques porter l'épée, dans les assemées politiques voter à part, partout former comme un corps, comme une race dans la société dont le roi est la clef à titre de premier noble.
Ce sont les docteurs en médecine, les membres d'administrations royales, les huissiers, les procureurs … etc

Le Tiers État.
Dans le "bras moyen", les mercaders, marchants ayant fait fortune, formaient une espèce de noblesse dans la roture. On y trouve les Bertrand, Calmettes, Frigola, Lazerme, Terrats.

La garnison.
La garnison avait en ville 4 bataillons pouvant compter 400 hommes. En 1789 Perpignan possédait un bataillon du régiment de Vermandois caserné à SaintMartin et  deux bataillons du régiment de Touqui occupaient la caserne Saint-Jacques et la citadelle. Le régiment de Touraine avait pour colonel le vicomte de Mirabeau, frère du célèbre tribun, appelé par dérision "Mirabeau - Tonneau" à cause de son intempérance bien connue.

La richesse.
A part quelques rares ecclésiastiques les grandes fortunes se trouvent dans la noblesse. Selon M. Brutails, en 1790, 103 familles roussillonnaises disposaient d'un patrimoine de 150.000 à 500.000 livres, 102 de 100.000 à 150.000.
Les plus hauts revenus se classent ainsi : e marquis d'Oms 28.000 livres, M. d'Aguilar et M. de Vilar d'Oms 24.000, la marquise de Blanes 15.000,  M.M. de Poeydavant, de Campredon' et de Roll,  M.M. de Çagarriga et de Ros 10.000 etc

Le luxe.
Les voyageurs qui ont parcouru le Roussillon au XVJII siècle sont frappés de la différence qui existe entre les costumes udes gens du peuple et de la classe riche. Les premiers ont gardé les habitudes traditionnelles ; les nobles adoptent les modes de France. Les dames ont pris les coiffures à la Pompadour, à la Marie-Antoinette.
Alors l'on roule en carrosse, et l'on trouve des listes de voitures dans les inventaires des émigrés, voire dans celui du vicaire général, M. de Monteils, mais le carrosse y est dit "vieux et fort usé." Le curieux arrêt suivant du Conseil souverain, en date du 1 mai 1787, nous renseigne sur la manière dont le peuple accueille ces innovations, et en particulier l'usage des chaises à porteur. "Vu par la Cour la requête à elle présentée par la dame marquise de Blanes, le sieur marquis d'Aguilar, le sieur marquis d'Oms, le sieur comte et madame la comtesse de Ros et les sieurs mariés de Campredon, domiciliés dans cette ville de Perpignan, par laquelle ils exposent que les insultes qu'on fait journellement à leurs domestiques de livrée, les mettent dans le cas de s'adresser à la Cour pour prévenir les malheurs qui pourraient en résulter ; que depuis quelque temps certains particuliers, enhardis sans doute par l'impunité, se plaisent à insulter les domestiques à livrée en les appelant du nom de Picassou ; que quelque répréhensible que soit ce procédé, ces perturbateurs du bon ordre ne s'en tiennent pas là puisqu'ils affectent de le faire en présence des personnes à qui ils appartiennent, en choisissant précisément le moment où ils sont dans leurs chaises, et voyant que les porteurs sent incapables d'agir ou de se défendre, ils les appellent non seulement du nom de Picassou, mais encore leur parlent comme s'ils étaient des bêtes, en leur disant arri bourrou, ils piquent leurs jambes et les frappent par derrière ; qu'ainsi insultés et maltraités les porteurs quittent la chaise, poursuivent leurs  agresseurs. et laissent leurs maîtres ou maîtresses au milieu de la rue, etc…"

Le Marquis d'Aguilar,
un des meilleurs.
Les intendants qui ont administré notre pays durant le XVIII siècle et souvent étrangers au Roussillon, ont eu l'occasion de juger la Société catalane.
"Pour peu que l'on connaisse le Roussillon, déclare M. de Saint-Sauveur en 1790, il est aisé de convenir que le clergé, quoique nombreux, fournirait très peu de sujets au fait des objets d'administration et qui voulussent s'y livrer de manière à s'y distinguer.
Dans la noblesse, continue-t-il, il s'en rencontrerait encore moins, excepté deux ou trois personnes éclairées sur les matières de droit public ou connaissant bien les intérêts de la province ; tous les nobles se sont éloignés de l'administration municipale de Perpignan et des villes principales, soit par hauteur ou des prétentions mal fondées, soit par crainte du travail et des embarras qui en sont la suite ; et l'on a sollicité des exemptions au risque même d'encourir le blâme de ses concitoyens qui connaissent les motifs que la loi donne pour l'exclusion ordinaire des charges municipales."
Ces deux ou trois nobles, auxM. de Saint-Sauveur fait allusion, sont probablement le marquis d'Oms de Tord, le Marquis d'Aguilar, M. de Matteu-Bon, François Xavier de Llucia, que nous verrons jouer un grand rôle pendant la Révolution.
"Enfin le Tiers-état ne fournirait que des bourgeois ou des laboureurs appelés pagès, peu instruits lorsqu'on les tire de la sphère de leurs intérêts personnels et qui d'ailleurs paret entendent peu la langue française, ne se servant d'habitude que du catalan. »
Aussi la Révolution ne révélera-t-elle guère d'administrateurs de talent, quoiqu'elle ait pour la servir avocats, notaires, négociants, bourplus ou moins aptes à l'action.

La noblesse se compose en grande partie de gentilshommes et de bourgeois nobles tout entiers à leur procès, s'épiant mutuellement et attendant avec impatience la sentence royale. Les bourgeois immatriculés seront-ils reconnus nobles et voteront-ils avec les gentilshommes ? Voilà leur grande préoccupation.
Non que bourgeois et chevaliers se désintéressent des réformes. Nous les verrons inscrire dans leur programme l'égalité devant l'impôt et afficher des réformes libérales.

Mais, comme il arrive souvent, au moment même où le Tiers se lève contre la noblesse, celle-ci grossit ses exigences. Durant le XVIII siècle des avocats à gages lui ont tant redit dans de nombreux mémoires que jadis elle primait dans la province et que les intendants et les viguiers les avaient dépossédés de leurs droits, qu'elle s'est éprise de domination. Le conseil souverain l'a soutenue dans ses revendications et l'Assemblée provinciale a fourni l'occasion de ses manifestes.
La grosse bourgeoisie, j'entends les gens exerçant une profession libérale, les riches mercaders et les marchands, constitue le noyau des futurs révolutionnaires.
D'abord ils n'ont pas dans le régime la place qu'ils jugent due à leur richesse et à leurs talents. Qu'ils soient avocats, notaires, procumercaders ou négociants, eux qui repréla fortune et le savoir, ils sont audes nobles et des prêtres, et depuis que le maréchal de Noailles n'immatricule plus de bourgeois, ils ne peuvent entrer dans la noblesse que par lettres royales, plus difficiles à obtenir.
Ils ont ensuite, les uns grâce à leurs études, les autres par suite de leurs relations commersubi l'influence des idées mises en vogue par Rousseau. Nous les avons vus en grande partie dans les deux Loges de l'Égalité et de la Sociabilité.

La petite bourgeoisie, la masse des boutiquiers, des patrons ou des propriétaires, si modestes soient-ils, n'a pas d'aspirations d'ordre général. Elle est restée catholique de coeur, attachée à la religion de ses pères et aux prêtres qui sortent presque tous de son sein. Roussillonnaise et perpignanaise, c'est-à-dire attachée fortement à ses privilèges, quand on la consultera pour la rédaction de ses doléances, elle réclamera avant tout le maintien des franchises locales, l'égalité devant l'impôt, la suppression de l'Académie créée pour les nobles et dont elle paie seule l'entretien par l'imposition ordinaire, et parmi quelques autres objets moins importants, le rétablissement des anciennes corporations telles qu'elles étaient avant la réforme de 1778parce qu'avec leurs règlements rigides elles la défendaient contre toute concurrence désastreuse.
Dans ses cahiers elle ne parlera point des administrations locales, mais elle n'aime pas les agents du roi : intendants, gabeleurs, fermiers généraux, etc. Elle voit en eux des oppresseurs, aussi bien dans le percepteur qui lui réclame l'argent, que dans l'intendant qui règle la réparde l'impôt, sans se demander s'ils ne sont pas des agents irresponsables et s'ils n'ont pas souvent pris sa défense.
Par contre elle s'est engouée (admirée) des membres de l'Assemblée provinciale, du Marquis d'Aguilar, le président de la commission intermédiaire, de MM. Matteu-Bon et Fr. Xavier de Llucia, ces nobles libéraux qui ont affiché ouvertement leur méfiance, vis-à-vis des agents royaux et proé la nécessité des réformes.
Mais si la bourgeoisie veut l'égalité et des réformes, ce n'est pas en bas qu'elle regarde. Au-dessous d'elle se trouve le monde des petits employés, des garçons ou des travailleurs à la journée, avec lesquels elle souffre d'être confonen faisant partie du même Bras, le Bras mineur. Déjà, dés 1730, nous saisissons son désir d'en être séparée dans la curieuse pétition des marchands droguistes
"Si quelque profession mérite d'être distinée de la basse populace, disent-ils, c'est à celle qui engage un commerce utile et honorable tel celui des marchands épiciers droguistes."


CHAPITRE I
Les élections aux Etats -généraux juillet 1789


L'hiver de 1788-1789. Maladies épidémiques, froid, disette. prix élevés des blés, troubles, pillages. Crise électorale se greffant sur la crise économique. Les divide la noblesse et du Tiers. Les convocations des électeurs le 7 avril. Calme des réunions des Perpignanais du 14 avril. Scission entre Perpignanais et villageois le 19 avril, La réunion des trois ordres les 21 et 23 avril. Vains efforts du clergé et de la noblesse pour amener l'accord. Intervention du Conseil Souverain. Nomination des députés. La clôture des élections coïncidant avec la reprise de la crise économique. Syndicat de négoformé sous les auspices de l'intendance. Baisse considérable du prix des blés Calme des premiers jours de juillet 1789.
L'on se débattait au milieu de ces difficultés quand arriva la nouvelle de la convocation des États généraux. Immédiatement une crise élecse greffa sur la crise économique et les esprits se divisèrent.
Dans le corps des privilégiés deux questions se posèrent, l'une concernant les impositions, l'autre les droits honorifiques. Dés le 21 jan1789 les gentilshommes réunis sous la présidence de M.M. de Ros, d'Aguilar, de Çagarriga et de Montferrer, déclaraient solenqu'ils acceptaient l'égalité devant les charges publiques. Les bourgeois nobles faila même déclaration le 24 janvier et les avocats les imitaient deux jours après. Le clergé, les membres de la capitainerie générale et les autres privilégiés n'avaient encore rien dit le 17 mars ; la Commission intermédiaire le signalait ce jour-là. "Considérant, déclare-t-elle, que la noblesse a, à la vérité, manifesté l'intention où elle est de payer sans exception tous les impôts communs, mais que le clergé et les corps priviégiés, à l'exception des avocats n'ont pas encore fait connaître leur vœu..... "
Si gentilshommes, bourgeois nobles et avos'étaient entendus sur la question financière, il n'en fut pas de même au point de vue des droits. Le 21 janvier, les gentilshommes avaient déclaré représenter " l'ordre de la noblesse" et, sans parler des bourgeois nobles, les avaient assimilés aux simples jouissants de la noblesse en les englobant dans le mot vague de « corps  privilégiés." Ces derniers avaient riposté le 24 ; le titre qu'ils donnèrent à leur revendication est en lui-même un défi : Protestation de plumembres de la noblesse du Roussillon contre les  délibérations prises par quelques individus de cet ordre illégalement assemblés les 20 et 21 de ce mois, et notamment contre l'énoncé d'un écrit déposé à l'Hôtel de ville de Perpignan, ayant pour titre ; DÉCLARATION DE LA NOBLESSE DE ROUSSILLON.
A ce défi les gentilshommes " assemblés dans l'hôtel de M. de Ros, comte de Saint-Féliu, paroisse Saint Jean, rue de l'Hôpital ", répondirent le jour même, 24 janvier, en envoyant à Paris le comte d'Aguilar (Probablement le fils aîné Melchior 34 ans) défendre leurs intérêts auprès du roi. Les avocats déclaraient à leur tour, le 26 janvier, que s'ils étaient " convaincus de l'abus de toute exemppécuniaire ", ils restaient " jaloux seulement des privilèges d'honneur que les lois générales et locales leur assurent."
Pendant que la noblesse se divisait pour une question de droits honorifiques, le Tiers se partageait pour une affaire à peu près du même ordre. L'on se rappelle l'antipathie existant entre Perpignanais et villageois : les premiers, fiers de leurs franchises judiciaires, militaires et ecclésiastiques, les autres jaloux et se croyant victimes. Dés le premier jour, ce double couse manifesta dans le Tiers, non seulement à la campagne, mais en ville.
D'un côté nous trouvons, à la suite de Jean-Baptiste François Terrats, mercadier et juge de la viguerie de Roussillon, quelques rares Perpignanais qui fraient avec les villageois. Au dire de M. Jaume dans ses Mémoires, Terrats "était en correspondance avec M. Necker, alors ministre de France, suivait ses avis et ses instructions, assisté et aidé du sieur Moynier, habitant d'Ille. "
De l'autre paraissent, le 8 février 1789, la presque totalité des Perpignanais sous la présid'un second M. Terrats, portant le prénom de Jacques, notaire royal et troisième consul. Le procès-verbal de leurs revendications ne parle pas des privilèges de la Ville, il invite même " le Tiers-État de la province à se joindre à  (eux) par ses chargés de pouvoir ", mais il n'est pas difficile de deviner que c'est là une formule vague et non une concession,
Cette scission du Tiers devait rester à l'état latent jusqu'à la réunion des électeurs, éclater ensuite d'une manière aiguë, tandis que l'inverse allait se produire pour la noblesse. En effet le 23 février paraissaient les Lettres patentes de Loua XVI déclarant que les bourgeois nobles seraient conés avec les gentilshommes et constitueraient avec eux le corps électoral de la noblesse. Des avocats il n'en était point parlé, et ce silence équivalait. à une condamnation de leurs préten
Ce qui aurait dû calmer les querelles les aviva. La Ville, les avocats, vingt gentilshommes et parmi eux les de Ros, les d'Ours, les de Çagarriga, les de Montferrer, vinrent vers la mi-mars supplier le Conseil souverain de ne pas enregistrer l'Édit du roi : la Ville, parce qu'il violait ses droits, en lui enlevant le pouvoir de créer à l'avenir des bourgeois nobles ; les avocomme oubliés par le Roi, alors que leurs privilèges étaient supérieurs à ceux des bourgeois nobles ; les vingt gentilshommes, sous prétexte que la religion du souverain avait été surprise.
Le Conseil souverain ayant enregistré le 23 mars les Lettres patentes, tout en suppliant Louis XVI de maintenir le privilège des avocats dont il n'avait pas parlé, les protestataires se soumirent, comprenant un peu tard le conseil salutaire que M. Joseph d'Albert leur avait adressé de Paris le 13 février 1789: " La noblesse, disait-il, en se séparant du Roi qui seul peut soutenir des privilèges dont la multitude est naturellement jalouse, se perd elle même : c'est une bonne leçon qui lui est donnée."
Mgr d'Esponchez, qui arriva ce jour-là à Peravait mission de rappeler cette vérité aux esprits divisés. I1 dut croire d'abord la tâche ingrate, car le Conseil souverain ne parut pas au cortège officiel de réception pour une futile question de préséance ; heureusement le moment de la passion passé, les nobles comprirent qu'il fallait se serrer auprès du roi et l'accord se fit, au moins en apparence.
Mais alors devaient éclater les rivalités du Tiers. Le 6 avril, Jean-Baptiste François Terjuge de la viguerie, lieutenant du gouveret capitaine général de la province, convoles électeurs au nom de ce dernier. Son Ordonnance, signifiée le 7 avril aux consuls, promulguée le dimanche suivant, 12 avril, par les curés "en chaire, au prône de la messe paroissiale", affichée le jour même " devant la porte principale de l'église," fixait la réunion générale du clergé, de la noblesse et du Tiers au 21 avril, dans la chapelle du collège Saint Chaque ordre choisirait dans l'interses électeurs et rédigerait les cahiers partide doléances.
Si la chose n'offrait pas de difficultés pour les nobles et les prêtres, les premiers étant tous électeurs, les seconds pouvant s'entendre sur le choix des délégués à cause de leur petit  nombre. il n'en allait pas de même pour le Tiers, dont les membres se réduisaient par des élections à deux degrés. Les Perpignanais, par exemple, devaient rédiger le 14 avril le cahier de leurs doléances, nommer ensuite vingt délégués, qui s'abouchele 16 avril avec les représentants des communes de la viguerie de Roussillon et de Vallespir et formeraient avec eux le cahier des doléances de la viguerie ; se réduire encore à cinq délégués et s'entendre, lors de la réunion générale des trois vigueries, le 21 avril, avec les représentants de la province pour la nomination de quatre députés, et la rédaction du cahier unides doléances du Tiers-état.
La réunion des quarante-six membres des corporations et des confréries de Perpignan chargée d'élaborer le cahier de la ville se fit le 14 avril dans le plus grand calme. L'on s'entenaisément et sur le choix des vingt délégués et sur la nature des réclamations, entre lesquelles il faut noter celle qui allait devenir la pierre d'achoppement: le maintien intégral des franchicommunales.
Les vingt délégués se réunirent le 16 avril aux représentants des communes de la viguerie de Roussillon et de Vallespir, sous la présidence de François Terrats ; cinq d'entre eux firent partie de la commission des Trente qui était chargée d'examiner les vœux de chaque cité et de les fondre en un seul cahier : c'étaient M.M. Joseph Mathieu, marchand drapier, Bonaventure Frigola, mercadier, Carcassonne, droguiste, Massas, orfèvre, Alexis Tastu, pro(avoué).
Ce dernier prit, avec François Terrats, une part prépondérante dans la commission. Jusqu'au 19 avril ils marchèrent d'accord. Plus tard ils s'accusèrent mutuellement d'avoir pesé sur les autres membres. D’après Tastu et les Perpignanais, Terrats aurait écarté les cahiers des compour présenter " dés la première séance  un projet de doléances (probablement un de  ces modèles que Necker avait envoyés de Paris dans toutes les provinces) qu’il reproavec le plus grand développement, et ce projet  successivement approuvé et débattu  serait devenu  la matière des délibérations prises à la pluralité des voix. " Au dire de Terrats et des villageois, Tastu aurait dicté « presque toutes les décisions. »
II est certain que l’accord cessa à propos des franchises perpignanaises. Les cahiers des comréclamaient la suppression du Tribunal des experts-estimateurs, au nom de l’égalité devant la loi ; celui de notre ville exigeait son maintien. S’il faut en croire Cassantes dans ses Mémoires, l’on rédigea, après force conciliaune de ces rédactions ambiguës que les commissions prisent fort et qui satisfont rareles assemblées.
On le vit le 19 avril, quand les délégués de la viguerie furent saisis du projet de la commission. Cassanyes s’attribue le mérite d’avoir éventé le complot ; on l’eut aisément reconnu, s’il avait réellement existé. Quoiqu’il en soit subterfuges et compromis échouèrent. L’on cria, l’on parlel’on offrit aux Perpignanais de joindre leur cahier particulier au cahier général réclamant la suppression de leurs privilèges ; ils refusèrent, et, quittant la salle des séances, ils allèrent dresser procès-verbal du fait par-devant Me Serra, notaire. Le jour de la réunion des trois ordres, le 21 avril, quand François Terrats ouvrit la séance dans la chapelle Saint-Laurent, l’on compta 146 nobles, 260 prêtres, 130 membres du Tiers, moins les Perpignanais. "Le bureau du président, raconte Cassanyes, était placé au haut de l’église, devant le maître-autel. A droite. en avant, étaient plusieurs rangs de chaises pour le clergé, ayant l’évêque à sa tète. A gauche il en était de même ; la noblesse y fut donc placée. Les députés du Tiers-état... devaient se tenir droits et chapeaux bas vers l'entrée de l'église."
L’assemblée devait vérifier les pouvoirs des membres, constater la remise des divers cahiers, se renvoyer au 30 avril, chaque corps ayant mission de rédiger dans l’intervalle le cahier définitif de ses doléances et nommer ses dépués. Les Perpignanais s’étant présentés pendant ces opérations, la noblesse et le clergé appuyèleurs réclamations ; les villageois échauffés prirent pour une immixtion des ordres priviégiés ce qui n’était qu’une tentative de récon
"Quelques membres, raconte Cassanyes, s’élancèrent vers le bureau du président pour être à portée de l’entendre. La noblesse et le clergé se plaignirent vivement de cette irrévérence, menacèrent même quelques députés de la prison. Le tumulte augmenta, et tout le Tiers-état passa vers le bureau du président. Il déclara fortement qu’il ne voulait pas que le clergé et la noblesse s’immisçassent dans la rédaction du cahier des doléanet que chaque ordre devait faire le sien de la manière qu’il aviserait."
Nobles et prêtres constatant que tout accord était impossible se retirèrent, et la séance fut renvoyée au jeudi suivant 23 avril. Pendant ce temps les vingt délégués perpignanais allaient consigner chez Me Jaume, notaire, une vive protestation : 1° pour le fait de ne pas être repréés dans les assemblées du Tiers ; 2° pour avoir été écartés en raison des efforts généreux "qu’ils (avaient) faits pour la conservation des privilèges de la province (sic) ; 3° pour avoir été expulsés contrairement au vœu général des trois ordres à l’exception de quelques députés de la campagne dans l’ordre du Tiers".
Le mercredi fut consacré à des pourparlers et à des négociations. Nous savons que les Perpignanais poussant l’affaire à fond faisaient enregistrer ce jour-là, au greffe du Conseil souverain, leur protestation déposée la veille chez Sauveur Jaume.
Le jeudi matin, à 8 heures et un quart, au moment où les trois ordres se réunissaient pour la seconde fois, les Perpignanais se transporèrent chez M. Jaume et y déclarèrent que, s’ils se rendaient « à l’assemblée générale des trois ordres, séante dans le moment, pour y assister « tous ou au moins au nombre de cinq », ils n’entendaient pas abandonner leurs protestations des 19 et 21 avril.
Un second acte rédigé à 3 heures du soir nous apprend toutes les péripéties du drame qui s’était joué dans la matinée. Des commissaires de la noblesse et du clergé avaient " moyenné l’admission des dits comparants" ; à midi un messager était venu à l’hôtel de ville déclaque les 76 députés de la viguerie du Rouset de Vallespir étaient disposés à les admettre à condition " qu’ils reconnussent la légitimité des doléances dictées presque toutes par M. Tastu " ; à 2 heures, ils avaient refusé, en remerciant les deux ordres de ce qu’ils avaient bien voulu tenter en leur faveur. D’autres documents rapportent qu’à 4 heures du soir la séance solennelle était déjà terminée et que chaque classe commençait ses opérations partières : rédaction de sou cahier définitif, nomination de ses députés. Le Tiers restait dans la chapelle Saint-Laurent ; la noblesse passait dans une chapelle particulière du coudes Minimes ; le clergé, dans une des salles de l’évêché.
En ce moment le Conseil souverain entra en scène de son côté et commença une enquête sur les « agissements » de François Terrats à Perpignan et de Tixedor à Prades, tous deux juges de viguerie et tous deux présidents d’asée du Tiers. Habitué aux ruses juridiques, Terrats ne se déconcerta pas, opposa aux demandu parquet des refus dilatoires et pressa les opérations électorales.
Du 24 au 30 avril, clergé, noblesse et Tiers rédigent leurs doléances définitives et nomment leurs députés. Dés le 25 le clergé a terminé ses opérations. Mgr d’Esponchez ayant été nommé "député par acclamation, celui-ci refusa et réclama le scrutin secret, et le scrutin ayant été vérifié, porte le procès-verbal, a été déclaré unanime en faveur de Mgr l’évêque. " II fallut deux tours pour que M. de Laboissière, vicaire énéral et chanoine pénitencier, réunit le nomde voix requis ; il eut la moitié plus 27 voix sur 239 votants, soit 146 ou 147 suffrages.
La noblesse choisit ses députés le 29 avril. M. Michel de Coma-Serra, bourgeois noble, fut élu le premier ; après lui, M. Banyuls de Montchevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, ancien capitaine de cavalerie.
Le Tiers croyait être à jamais à l’abri des coups des Perpignanais après la nomination, le 27 avril, de ses quatre députés : M.M. François Terrats, Moynier d’llle, Tixedor de Prades. Siau de Perpignan, lorsque le 30 au matin il apprit la démission de Siau. Celui-ci déclane pas vouloir se séparer de ses compatrioPerpignanais. Le soir arriva une seconde démission, celle de Moynier d’Ille, prétextant "qu’une indisposition" l’empêchait de remplir tout mandat.
C’est que dans l’intervalle le Conseil souveétait intervenu avec éclat. Le 29, il avait mandé d’office les procès-verbaux du Tiers ; le 30, il avait lancé un retentissant arrêt contre Terrats et Tixador, qui flétrissait leurs intrigues, leurs pressions et leurs illégalités. Mais Terrats ne se laissa pas effrayer. Le 29, il avait répondu au Conseil souverain qu’il ne pouvait remettre des procès-verbaux qu’il n’avait points ; le 30, il fit remplacer Siau par Julien Roca de Prades, il refusa la démission de Moynier et lui donna un suppléant en la perde François Graffan, de Thuir.
On le voit en outre ce jour-là clôturer, avec le plus grand calme, la période électorale et présider la réunion solennelle des trois ordres. Le clergé n’y vient pas ; il passe outre, consignant le fait dans le procès-verbal. La noblesse proteste en vertu de ses droits contre le mode de convo; il enregistre la protestation. Et quand les serments ont été prêtés, qu’il a fait donner un suppléant à Moynier, il lève la séance et part peu après pour Paris.
Pendant ce temps le Conseil souverain, ne se tenant pas pour battu, fulminait le 9 mai un nouvel arrêt contre lui, et les consuls, encoués par la noblesse et le clergé, autorisés par l’intendant, convoquaient à son de trompe et au son des cloches de Saint-Jean le Conseil général de la commune. Là on décida de transmettre les plaintes au Conseil du roi, l’on nomma un député pour représenter la ville et l’on choisit comme tel un conseiller à la Cour, M. Alexis Gaffard, ennemi personnel de Terrats, celui-là même qui avait été rapporteur dans l’arrêt du 30 avril. Ce député devait porter à Versailles le cahier des doléances de la Ville et demander l’annulation des élections.
Le choix laissait trop percer les motifs intéressés qui l’avaient dicté. "On trouvera mauvais ici, écrivait le secrétaire du maréchal de Noailles, le 18 mai 1789, que le Conseil souverain se soit mêlé de cette affaire. L’acharet la prévention contre Terrats se montrent trop à découvert. Peut-être a-t-il tort ? Il y a longtemps que je me suis aperçu qu’il ne cheminait pas toujours droit. L’intenaura tort également d'homologuer la délibération des habitants (de Perpignan) avant d’avoir consulté le ministre, comme Gaffard aura tort de partir sans congé."
Pendant que ces événements politiques préoccupaient, agitaient même la masse des électeurs perpignanais, la crise des subsiss’aggravait. Le prix du blé que nous avons vu monter en avril jusqu’à 5 livres 10 sols avait paru un instant fléchir grâce à de gros envois d’un nommé Fabrègues ; il reprenait bienôt sa tendance à la hausse vers la fin mai, et dés les premiers jours de juin l’on annonçait le gros prix de 6  livres la mesure.c’est l’époque où les pauvres ont généraépuisé leurs provisions d’hiver et attendent anxieusement la moisson nouvelle. Qu’un froid imprévu survienne et la famine éclatera ! Le 2 juin, déclare le procès-verbal de la Comintermédiaire, les procureurs syndics ont constaté " le renchérissement subit du blé après une baisse considérable qui semblait devoir aller en augmentant ; ils ont attribué cette hausse extraordinaire à la froideur de la saison qui éloigne la moisson ".
La Commission intermédiaire, ne sachant comment sortir d’un pareil embarras, réclama aussitôt secours auprès de l’inspecteur général des subsistances militaires ; l’intendant, plus pratique, réunit les principaux commerçants, MM. Dastros, Mathieu, Argiot, François Durand, Bonaventure Fabre, Grégoire Gironne, Berniole, Frigola et Delmas aîné, les pressa de se syndiquer pour l’achat du blé nécessaire à la subsistance du peuple, les assurant qu’il obtiendrait du Roi un crédit pour couvrir le déficit.
Cette excellente mesure ne tarda pas à porter ses fruits. Le blé du paillol qui monta le 10 juin à 5 livres 7 sols, le 15 à 5 livres 12 sols, le 16 à 5 livres 15 sols et qui le 23 atteignait le prix de 5 1ivres 19 sols, tomba subitement le lendemain, 24 juin, à 4 livres 1 sol, puis à 3 livres 10 sols, enfin à 3 livres Le syndicat avait acheté 1151 charges 7 mesusoit dans la province, soit dans le Langue; elles lui avaient coûté 57 021 livres ; la vente avait laissé un déficit de 1883 livres.
Necker ayant écrit le 8 juillet à l’intendant, M. de Saint-Sauveur : "Je ne puis qu’applaudir à votre prévoyance pour assurer l’approvisionnement de la province." celui-ci de lui répondre le 17 juillet, en demandant une indemnité pour les commerçants
"Je puis vous certifier que ce sont les précaud’approvisionnement prises par plusieurs négociants et marchands de grains. à ma sollicitation, qui nous ont préservés de la disette."
Peu après, M. de Saint-Sauveur partait pour la Cerdagne en tournée administrative, laissant la ville à l’abri de la famine et dans le calme. Il ne savait point que la Bastille était prise depuis le 14 juillet.



CHAPITRE II
Troubles de Juillet 1789

État des esprits.
De Paris arrivaient par tous les courriers, lettres et journaux annonçant les agitations du Tiers, l’opposition de la noblesse et du clergé au vote par tête, enfin la capitulation de ces deux corps.
Ces nouvelles ont réjoui les uns, terrorisé les autres. Tous ceux qui ont mal auguré de la Révolution dés les premiers jours de 1789, un bon nombre de gentilshommes, de prêtres et de catholiques, que le déchaînement des passions a arraché à leur béatitude, prennent un air plus sombre et se préparent aux plus grands malheurs
A leurs côtés on rencontre les optimistes libéqui envisagent d’un œil placide les transsociales : le Marquis d'Aguilar, le marquis d’Oms, M. de Çagarriga d’Anglade, de Matheu-Bou, et la plupart des avocats, des médecins et des notaires, gens riches, posés, contents de leur situation. Avec eux fraient, pour d’autres motifs inavoués, le bourgeois noble François Xavier de Llucia, secrétaire de l’ordre de la noblesse et en même temps procugénéral syndic pour le Tiers près la Comintermédiaire, Birotteau, l’avocat sans causes, des robins, des procureurs, d’humbles bénéficiera de Saint-Jean et de Saint-Mathieu, des mercaders et des négociants jaloux des privilèges de la noblesse, en un mot les méconles ambitieux et les illuminés rêvant d’une société nouvelle.
Entre les aristocrates qui tremblent et les libéraux épanouis, flotte la masse populaire. Aigrie par les souffrances de l’hiver qu’elle vient de traverser, elle attend avec impatience la fin de ses maux et l’avènement cette ère, que les fanatiques de la Révolution lui annoncent, pendant laquelle elle ne souffrira plus la faim et ne paiera plus d’impôts. Qu’une occasion se présente, propre à la tirer de sa torpeur habituelle en lui assurant l’impunité, elle se déchaînera violemment contre ceux qu’elle juge être la cause de ses souffrances : l'intendant, le subdélégué général, les agents du fisc, quels qu’ils soient.La nouvelle de la prise de la Bastille aurait du semble-t-il, suffire à ébranler cette masse inquiète.Les premiers jours elle resta calme. "La commission (de la noblesse) sensiblement affligée des événements désastreux amenés par les désordres qui ont régné dans la capitale, - porte le procès-verbal du 25 juillet -justement alarmée des progrès de la fermentation qui se sont étendus jusque aux envide cette province, craignant non sans quelque fondement qu’une assemblée de l’orde la noblesse ne servit dans ce moment de prétexte aux esprits inquiets et turbulents pour chercher à altérer la tranquillité parfaite qui s’est jusqu’ici heureusement maintenue à en Roussillon, a arrêté qu’il ne paraissait pas convenable de convoquer la noblesse."

Manifestation du 26 juillet.

Le lendemain, 26 juillet, " les esprits inquiets et turbulents " ne trouvant pas de prétexte, s’en passèrent."L’exemple de la capitale et de quelques autres villes, déclare La Semaine de Perpignan, avait tellement enflammé de l’amour de la patrie et de la liberté les cœurs des citoyens de Perpignan, que 30 jeunes gens se rendirent le 26 juillet, à 4 heures du soir, chez M. de Chollet, commandant en second dans la province du Roussillon, pour lui présenter la cocarde nationale. Bien loin de se refuser à leur invitation, M. de Chollet se montre sensible à cette honnêteté, prend la cocarde, en décore son chapeau et leur donne les marques de la plus vive recon
Cette jeunesse charmée de l’accueil favode ce commandant, va publier dans la ville son succès et la manière affectueuse dont elle a été reçue. Dans cette journée il ne se passa rien de plus remarquable ; tout étant tranquille et l’on ne prévoyait pas les scènes désastreuses qui devaient succéder. "

Les émeutes du 27 : pillage de la Régie et du grenier à sel.
Une double bande se forma le lendemain, 27 juillet, dés le matin : l’une au Faubourg et aux Blanqueries, l’autre sur la Loge. Pendant que la première incendiait les cabanes ou corps de garde de la Ferme, la seconde arrachait des murs de l’hôtel de ville " une pierre de marbre érigée en l’honneur de quelques habitants et  de M. Lépinai, fermier général", courait à la Régie, en brisait les portes, enlevait les regisles déchirait et en faisait un feu de joie. Mêmes scènes ensuite chez le receveur et chez le contrôleur de ces mimes droits.
"On ne s’arrêta pas à ces désordres, continue La Semaine de Perpignan. Il semblait que  l’on eût résolu la destruction de tous les bureaux : on attaqua celui du vingtième et de la capitation ; mais des personnes prudentes ayant représenté que pour fournir aux besoins pressants du royaume et soutenir notre auguste monarque dans ce temps de crise, il fallait payer quelque impôt, du moins jusqu’à ce que l’Assemblée Nationale ait fixé un autre ordre de chose, les citoyens parurent (céder)  à ces représentations, ils se retirèrent, mais ce fut pour diriger leur route vers le grenier à sel. Ils n’ont pas la patience d’attendre qu’on leur porte les clefs, ils arrachent les  portes et laissent le sel à la discrétion de toute la populace. L’avidité y entraîne un concours de monde étonnant pendant plus de trois heures. L’ardeur avec laquelle chacun emportait le sel, le choc qu’il recevait des allants et venants en faisait perdre une partie malgré les précautions que l’on prenait, et le dégât fut si grand que les rues voisines du  magasin en étaient couvertes."

Levée de la milice sous le commandement du Marquis d'Aguilar.
Les autorités ne réagissant pas : l’intendant absent, la Commission intermédiaire de bornant à traiter les affaires courantes, il restait heureusement les consuls et le commandant des troupes, M. de Chollet. D’un commun accord is décidèrent la levée de la milice bourgeoise.
" La soirée fut moins orageuse, raconte La Semaine de Perpignan. On ne s’occupa que de composer une milice bourgeoise : vers les trois heures, 600 jeunes gens ou pères de famille se rendirent à l’Esplanade, pour y recevoir les ordres de M. de Chollet. On forma dans l’instant 20 compagnies de volonLe sous-aide major de la place leur fit porter de l’arsenal les armes nécessaires. Plus de 30 hommes furent employés pour les disAussitôt qu’elles paraissaient, mille bras venaient les enlever, chacun était impad’en être pourvu. On procéda ensuite à la nomination des officiers pour commander cette milice. M. le Marquis d'Aguilar fut élu et proclamé à l’unanimité commandant en chef de toute la Bourgeoisie, et M. le comte son fils fut nommé capitaine d'une compagnie."
Cette milice bourgeoise rendit de réels serviles jours suivants.

M. d’Aguilar sauve le contrôleur de la Régie et sa femme ; sa popularité et celle de M. de Chollet
Le 28 juillet, à 10 heures du matin, une nouvelle bande de forcenés courait les rues, brûlait les papiers de la Messagerie, pillait les bureaux de la Douane et allait faire un mauvais parti au receveur des fermes lorsque la milice arriva pour le dégager. Pendant qu’elle luttait contre les émeutiers, le receveur s’évadait "par le toit de la maison où il était entré. On dit que le lendemain, à 9 heures  du soir, il sortit tout à fait de la ville, et bienôt après de la province, sous l’habit d’un officier.
Ce lendemain 29 fut aussi tumultueux et la scène plus attendrissante. Le peuple irrité sans doute de n’avoir pu immoler à sa vengeance aucun percepteur d’impôts, tourna sa rage contre leurs femmes. "II était 9 heures du matin, l’épouse du directeur de la Régie rentrait chez elle, un paysan la suit, la terrasse et allait la pendre lorsque " M. le comte d’Aguilar (le fils), plus prompt que l’éclair, arrive assez tôt avec sa compagnie pour arrêter et défendre la porte à  une multitude d’effrénés qui montraient déjà des intentions hostiles."L’arracher à la penn’était point suffisant ! Au dehors la foule hurlait, réclamant sa victime."En restant dans la maison on craignait une autre émeute ; en la quittant on s’exposait à de nouveaux dangers. Dans cette perplexité on se décida pour ce dernier parti. La dame  tenant son enfant par la main sortit appuyée sur le bras du troisième consul ; elle était  suivie de sa femme de chambre, d’un domestique et escortée par la garde bourgeoise. "Quand on fut parvenu à la porte Notre-dame, M. d'Aguilar la fit refermer sur la foule.
Mais celle-ci de courir à la porte Saint-Marde longer les glacis et de se diriger vers le faubourg. Elle venait de rejoindre la route du Conflent lorsqu’elle aperçut un détachement de vingt fusiliers qui sortait du couvent des capu"On cherche à faire évader le directeur de la Régie," cria quelqu’un. Aussitôt le détachement des vingt fusiliers est arrêté et entouré.
"La popu, raconte La Semaine, demande à grands cris la tête (du directeur), un brutal s’offre pour la trancher, et promet de la porter au bout d’une pique. Ce forcené fend la foule, il veut absoparvenir jusqu’à sa victime...
M. d’Aguilar s’avance alors vers lui pour tâcher de le fléchir, il lui représente avec douceur son injustice, il touche son cœur par un distrès pathétique et le détourne enfin de son horrible dessein.
"que M. d’Aguilar arrachait à la foule le directeur de la Régie et sa femme, les consuls faisaient évader de 1’Hôtel-de-Ville, par la porte donnant sur la Barre, le hoqueton (huissier) de l’intendant. Le pauvre homme était inconnu, il apportait même de bonnes nouvelles : " la suppression de tous les droits de régie et la diminution du sel " mais il avait la livrée de l’intendant, cela en fut assez pour qu’il faillit être écharpé.Le peuple ne voulait plus d’agents du roi. On le vit bien quand les consuls proposèrent de donlecture de l’ordonnance portée par le hoquede la part de M. de Saint-Sauveur. " Plus d’intendants l " cria la foule, qui ne se calma que lorsqu’elle entendit les consuls " publier de leur part cette ordonnance dans les mêmes termes ", sauf une réduction plus considérable du prix du sel. Alors ce furent des vivats enthousiastes. Et M. de Chollet, entouré du major et du sousmajor, s’étant montré au balcon du preétage, la foule l’acclama comme elle l’avait acclamé quelques jours auparavant.
On criait encore qu’un exprès arriva à l’Hôtel Ville, annonçant qu’une bande de forcenés faisait le siège d’une maison du faubourg où s’était réfugié le subdélégué général, M. de Poeydavant. "Il faut lui tirer un coup de fusil, disaient les uns ; - Non, il vaut mieux le pencriaient les autres. Et nos émeutiers, pasdes menaces à l’acte, allaient forcer la porte quand survinrent deux cents hommes du régiment de Vermandois et une patrouille de volontaires. II fallut parlementer. M. de Poeyayant accepté les conditions de la populace et versé sur l’heure 100 louis, "dont la moitié serait applicable à Notre-Dame du faubourg, une partie à la chapelle des Blanqueries, et l’autre aux hôpitaux", on le laissa partir sans difficulté.

Pillages du 30 juillet et du 1er août.
L’on parlementa et l’on céda encore les jours suivants aux exigences de l’émeute. Le 30 juillet la milice bourgeoise laisse piller l’entrepôt du tabac. La Semaine nous apprend qu’on allait saccager l’Académie le 31 si la Commission ne se fut empressée " de prévenir le complot en promettant la destruction de cet établissement. M. Sauveur Jaume raconte que le 3 août, à 5 heures du soir, la populace s’étant rendue en foule chez le directeur (du Timbre) pour lui demander la remise de tout son magasin de papier et parchemins timbrés," on les remit sur l’heure et on les jeta par les fenêtres dans la rue.
" Et de suite, ajoute-t-il, le même peuple s’est rendu au greffe du Conseil souverain pour demander la radiation des arrêts d’enregistrement du papier, de la formule... ce qui a porté M. de Gispert, conseiller doyen, à envoyer chercher les syndics des différents corps qui travaillent sur le dit papier pour leur dire qu’ils ne pourront dorénavant mettre les actes sur du papier timbré, le dit papier n’existant plus, ce dont il dit qu’il informera le ministre incessamment."

Ovations faites au consul par la foule.
Le 4 août la foule allait se porter pour la seconde fois à l’Académie, mais quelqu’un ayant prévenu la Commission intermédiaire, elle décréta sa suppression, fit afficher son arrêté, et le mouvement n’eut pas lieu.Ce qui n’empêcha pas nos pères de considérer les troubles terminés dés le 2 août et de célébrer le retour du calme par une fête.
"Après des jours si nébuleux, raconte La Semaine, l’aurore de paix et de bonheur que les citoyens désiraient si ardemment vint luire sur notre ville. Le calme succéda à l’orage, les fêtes aux troubles. Du sein des désordres et presque du carnage on passa aux réjouissances.
Le 2 août toutes les compagnies vinrent au Temple du Dieu des armées lui rendre des actions de grâces et entendre une messe célébrée par M. Morel, chanoine de la Cathédrale. Après cette cérémonie religieuse, on se rendit à la parade, où M. de Chollet donna ses ordres, qui furent exécutés avec  ponctualité. Il y eut un grand repas où M. le comte d’Aguilar assista. On y célébra avec le plus grand zèle la santé du Monarque Restaurateur de la Liberté Française : tout le  monde fut invité à prendre le café au milieu de la Loge et on distribua le soir toute sorte de rafraîchissements.
L’arrivée de M. le baron d’Aguilar (père) coules plaisirs de cette journée. La bourgeoisie vint à sa rencontre au faubourg, où il fut solennellement reçu capitaine de la Compagnie de M. le comte son frère (?). I1 entra dans  la ville au bruit d’une fanfare militaire, à la tète des troupes volontaires suivies par plus de dix mille personnes qui faisaient retentir  partout leurs cris d’allégresse
."
Et La Semaine de conclure : " Cette ville où les jours précédents avaient régné le deuil et la tristesse se livra au sentiment d’une joie vive et pure, et l’on ne connaissait plus dans ce peuple paisible et gai celui qui s’était jeté dans les écarts les plus affreux un moment aupara."


CHAPITRE III
Après les émeutes
Juillet novembre 1789


La désorganisation générale ; les pouvoirs nouveaux :
L'Assemblée générale des citoyens de tous les ordres ; le bataillon des volontaires. Fête du 25 août. Essai dé réorganisation administrative. L'Assemblée générale et la Commission provinciale
.

Sources. - La Semaine de Perpignan, brochure déjà citée.
Arch. départ. C. 1005, 2101, 2119
Mémoires de M.M. Jaume et Jaubert de Passa

La désorganisation générale.
Quand les émeutes et les réjouissances eurent pris fin, l'on s'aperçut du vide que laissaient les administrations supprimées. Plus d'intendant, plus de subdélégué général, la plupart des agents du fisc chassés ou réduits à l'impuissance, le receveur général des impositions, M. Besombes, déclarant que les contribuables ne versaient plus d'acomptes, et parmi les autorités survivant à la débâcle, la plupart impopulaires ou désorienées.
La commission de la noblesse prévoyant la profondeur de l'abîme où l'on allait tomber, presdés le 30 juillet, ses députés de concourir de tous leurs efforts à la prompte élaboration d'une constitution nouvelle, "comme étant le seul moyen qui puisse, disaient-ils, nous délivrer de l'anarchie qui déchire la province et dont le Roussillon ressent les plus funestes effets sans qu'il soit possible d'en calculer et d'en prévenir les suites."

Comité des 105
II restait sans doute la Commission interméLe Marquis d'Aguilar, son président, si populaire durant les jours d'émeute, allait reprendre la direction des affaires qu'il avait quittées depuis le mois de mars, mais il mande résolution et ses collègues, novices comme lui, effrayés par la tournure que preles événements, incertains de leurs pouvoirs, n'osaient agir vigoureusement.
Les cinq consuls,  M.M. de Gazanyola, de Rovira, Terrats, Albar et Bertin ne savaient eux aussi se servir de la confiance que le peuple leur accordait. Ils étaient les rois du jour, mais des rois qui auraient désiré ne pas être seuls à commander.
"Nous pensons qu'instruits de tous les désastres affreux qui sont arrivés et arrivent journellement, écrivaient le 6 août les députés de la noblesse, à la Commission de ce corps, vous vous êtes réunis à la municipalité pour former une milice nationale dans laquelle tout bon citoyen doit s'empresser de servir." Et la Commission de répondre, le 12 août, que "n'y ayant encore à Perpignan ni comité perni corps de milice nationale", elle n'a pu encore suivre leur patriotique conseil.
Quelques jours après les vœux des députés de la noblesse commençaient à se réaliser. Le 16 août les cinq consuls priaient le clergé, la noblesse et le Tiers-état de vouloir les aider "pour le bien de la cité " à constituer une Assemblée générale des citoyens de tous les ordres de la ville et un Comité permanent. Le lendemain 24 prêtres, 18 nobles, 6 avocats, 50 membres du Tiers se réunissaient à l’Hôtel Ville et formaient avec les consuls et doux secrétaires ce nouveau pouvoir communal chargé d’administrer la cité en ces temps de trouble. Le peuple l’appela, nous dit Mathieu dans son Episcopologie inédite, le Comité des 105, à cause du nombre de ses _membres.
Ce Comité était trop nombreux pour qu’il pût se réunir quotidiennement. A peine assemblés,  les membres furent répartis en cinq bureaux et un Comité permanent reçut mission de gérer, d’accord avec les consuls, les affaires de la Ville, dans les cas graves, il convoquerait l’Assemblée générale des citoyens.
Notons parmi les principaux membres de ce Comité. le Père de Villa, religieux de la Mercy, les chanoines Arnaud et Angiès,  M.M. de Réart de Copons, Dominique de Coma-Serra, Noguer d’Albert, Anglade, de l’ordre de la noblesse, MM. Eychenne. Abdon Tastu, Massota, Bassou, etc., du Tiers.
À côté du Comité permanent, pour l’aider dans les moments difficiles, l’on organisa, au lieu et place de la milice bourgeoise moins disciplinée, une milice nationale. Le 25 août l’on avait déjà levé un bataillon, commandé par le Marquis d'Aguilar, composé de neuf compagnies "sous le commandement de capitaines: M.M. de Jau, d’Aguilar (fils aîné du marquis), de Règnes, Mailhat, Dastros, d’Albaret, Lazerme, Gros et Tirolet."
Cette milice nationale se montra pour la preère fois le 25 août. Le matin elle assista à la grande messe à la Cathédrale, avec son drapeau tricolore, surmonté "du bonnet de la liberté ", orné de couronnes civiques et royales et de légendes en exergue : Liberté, gloire et bonheur à la Nation sous un Roi citoyen. C’est dans notre union qu’est notre force. La Semaine de Perpignan nous apprend que M. de Monteils, grand archidiacre et vicaire général du diocèse, officia et bénit le drapeau, après avoir prononcé un discours "très touchant ".
"M. le Marquis d'Aguilar, ajoute la Semaine, a donné ce jour-là, comme commandant des volontaires, un grand repas à M.M. les offide son corps, qui a été suivi d’un bal que ces Messieurs ont donné à l’Hôtel de la Mon".
Le pouvoir royal comprenant que ni le Comité permanent ni la Commission intermédiaire ne pouvaient suffisamment remplacer les autorités disparues, essaya durant le mois de septembre de réorganiser la machine administrative.
Il songea d’abord à l’intendance. L’on pressa M. Jaume, avocat, d’accepter la mission périlleuse de subdélégué, et sur son refus l’on nomma à sa place Louis Grenier, juge de la Monnaie.
En mémé temps l’on pressa la rentrée de l’impôt. M. Besombes répondit en envoyant le 10 octobre le chiffre de l’arriéré de 1789 : il s'élevait pour la province à 499.739 livres ; pour les vingtièmes de la noblesse à 114.971 livres et pour la capitation à 28.886 livres ; pour les vingtièmes des corps et communautés de la ville de Perpignan à 20.678 livres et pour la capitation à 8.214 livres.
Pendant ce temps la Commission provinciale et le Comité permanent, vivant en parfaite intelligence, administreront au mieux des circonstances et des événements les affaires du Roussillon et de Perpignan.
Nous voyons le 29 août l’Assemblée générale des citoyens demander la suppression du droit de quarantième sur les fruits et la Commission répondre qu’elle l’accordera le jour où l’on trouan impôt équivalent, nécessaire pour l’équidu budget.
Puis le 5 octobre, sur avis de l’Assemblée générale de Perpignan que "les exportations se succèdent en Roussillon depuis quelques mois avec une rapidité qui fait soupçonner plutôt des vues intéressées et le dessein d’étadans cette province la rareté et le haut prix de la denrée, que le dessein d’approvile Languedoc et les autres provinces voisines", la Commission provinciale prohibe toute exportation de blé, malgré la loi de l’Asée Nationale sur la libre circulation des grains. La loi, dit-elle, n’ayant pas été encore promulguée dans le pays, n’est pas obligatoire.
Enfin elle aide les consuls dans le recouvrede la contribution patriotique, opération délicate dont on saisira la portée par la liste des déclarations que nous publierons en appendice.


CHAPITRE IV
Le premier club patriotique
Novembre décembre 1789


L’Assemblée patriotique
Quelque conciliantes que fussent les autorités nouvelles, vint un moment où il fallut sévir. C'était en novembre 1789. L'Assemblée natiocontinuant son œuvre de destruction fraptout ce qui tenait à l'ancien régime : prêtres, nobles, magistrats. L'on parlait déjà de transformer les provinces et de recourir à l'élection pour doter les départements d’administrateurs. Le suffrage ne serait point universel et se ferait à deux degrés.
En vue de ces changements prochains les bourgeois perpignanais, ceux que nous avons vu fonder les Loges de l’Égalité et de la Sociabilité en 1784, résolurent de se grouper. Transèrent-ils simplement en société publique les Loges existantes ? Ou bien proposèrent-ils la fondation d’un Cercle où l’on trouverait plus facilement nouvelles et journaux ?
Le procès-verbal de la première séance nous apprend seulement que, le 19 novembre 1789, cinquante deux perpignanais, réunis dans une des salles de la Monnaie, constituaient une société, sous le titre d’Assemblée patriotique. Elle prenait comme président, " sous le nom d’ancien ", François Malibran négociant, comme adjoint François Durand, comme secrétaires Florent et Astruc, comme trésorier Dastros directeur adjoint à la Monnaie. Un comité de huit membres était chargé "d’ouvrir et d’entretenir la correspondance avec les villes et cande la province ; de même qu’avec les députés de l’Assemblée nationale et toutes les autres personnes qu’elles croiront pouvoir « concourir à l’œuvre du bien général."

Circulaire du 25 novembre.
Ces huit patriotes, MM. Lucia, Bernole, Siau aîné, Siau cadet, Mailhat, Martin aîné, Frigola cadet, choisis au scrutin secret, comptaient parmi les plus résolus et les plus ardents. Moins de six jours après, le 25 novembre, ils adresau nom de la Société "une lettre circulaire aux villes et cantons de la province de Roussillon.
Les corps privilégiés étaient sans doute dépouillés de leurs anciens droits : "la noblesse de ses privilèges féodaux, le clergé des biens dont il est le dépositaire, la magistrature de son influence dangereuse ; mais ces corps s’opposaient aux réformes. Vous savez, M.M., ajoutait-on, qu’on s’occupe actuellement de la division du royaume en départements ; la correspondance particulière d’un membre de l’Assemblée nous a dévoilé hier les efforts des députés du clergé et de la noblesse du Roussillon pour s’opposer à toute réunion à la province, afin de lui ôter sans doute à jamais toute influence dans le corps politi."Contre de pareils ennemis, "les méchants et les aristocrate", il fallait que "les bons citoyens" se liguassent.Sans doute ces derniers se ligueraient, cherà profiter des divisions entre perpignaet villageois, mais il suffisait de noter le péril pour le conjurer. "Toute rivalité doit à jamais cesser entre les citoyens de la capitale et ceux de la province. L’amour-propre irrité de nos ennemis se servira peut-être de ce moyen pour semer la discorde parmi nous ; à la première étincelle que nous en apercevons les uns les autres, rappelons-nous à l’instant  que nous sommes tous Français, libres et égaux... La force des corps privilégiés venait de leur réunion, c’est en nous tenant fortement que nous serons redoutables nous-mêmes. Les perturbateurs du repos public, les méchants, les aristocrates seront déconcertés, leurs intrigues seront dévoilées aussitôt que formées... "
La masse des honnêtes gens s’émut à ce cri de guerre. Les membres de l’Assemblée patrio comprirent-ils qu’ils avaient frappé trop fort ? Le 6 décembre ils protestaient "de la pureté de leurs intentions" par une délibération qu’ils rendirent publique. Mais ces vagues rétractations ne satisfirent personne
Le 9 décembre, M. Bertin, consul, s’étant élevé contre l’insertion frauduleuse de son nom parmi les signataires de la déclaration du 19 novembre, le Comité permanent de l’Hôtel Ville cita à sa barre le président de l’Assemée patriotique, François Malibran.
Il s’en trouva 28 : MM. Malibran, Gros, Siau, Jué, P. Batlle, Fr. Durand, Claret cadet, Delmas aîné, B. Fabre, A. Bernicle, P. Mathieu, G. Gironue, Sèbe frères, Joseph Mathieu, de Llucia, Florent, Della Scala, P.Réallon, Coste aîné, Siau aîné, A. Frigola, P. Mailhat, Badie, Martin frères, Dastros, Astruc.
"Les citoyens de la ville de Perpignan, porte leur délibération... désirant donner à leurs  concitoyens une preuve non équivoque de leur déférence pour tout ce qui peut plaire, de leur amour pour la paix, de leur respect pour la religion et ses ministres, déclarent désavouer et rétracter toute expression condans la lettre (circulaire du 19 novembre) qui blesse ou peut avoir l’air de blesser, non a seulement l’ensemble des citoyens, mais encore tout citoyen quelconque, et pour ne laisser, aucun doute sur les sentiments partidont ils sont pénétrés, ils ont délibéré de suspendre, et ils ont suspendu leurs assemées, pour ne se réunir qu’autant que leurs concitoyens et M.M. les officiers municipaux les autoriseront et les appelleront à cette a réunion."

Dissolution et reconstitution de l’Assemblée patriotique.
Malgré cette amende honorable, le Comité permanent signifia aux patriotes, le lendemain 12 décembre, d’avoir à se soumettre le jour même. Résister et mourir en combattant ?
Lorsque les clubistes se réunirent pour déliérer sur l’ultimatum du Comité permanent, ils ne se trouvèrent plus que treize : MM. Mailhat, Astruc, Martin frères, Malibeau, Siau frères, Berniole, Fr. Durand, de Llucia, A. Frigola, Jué, Touzet. Voici le début de leur rétractation :
Le Comité permanent termina l’incident le 19 décembre par une circulaire imprimée qu’elle adressa à M.M. les officiers municipaux. L’exsuivant permettra d’en juger la teneur :
" Le succès a couronné nos travaux. Ceux de nos concitoyens qui s’étaient égarés, se sont empressés d’effacer une erreur de leur esprit, que leur cœur n’avait point partagée et nous, pour maintenir la paix, qui paraissait vouloir fuir de nos murs, nous avons cédé au sentiment qui nous portait à oublier des torts, que nous nous plaisons à croire involontaires, et malgré lesquels aucun de ces citoyens n’avait cessé de nous être cher."
Les événements allaient bientôt infliger un éclatant démenti à ces déclarations optimistes. Dès les premiers jours de janvier 1790 l’Assemée patriotique s’est reconstituée à la faveur de l’article 6-2 de la loi du 14 décembre 1789 don" le droit aux citoyens actifs de se réunir paisiblement et sans armes en assemblées  particulières. "


CHAPITRE V
Les élections municipalesfévrier 1790

Le club patriotique. Les trois partis politiques : les patriotes, les aristocrates, les libéraux. La chapelle St Laurent lieu des réunions électorales. Les programélectoraux : les patriotes tonnent contre les abus de l’ancien régime et réclament avec mollesse le maindes privilèges perpignanais ; revendications énerdes libéraux. Les élections. Triomphe des libéLa municipalité nouvelle et son esprit.

Les trois partis politiques : les patriotes, les aristocrates, les libéraux.
Quoiqu’il en soit, il existe à Perpignan, au mois de janvier 1790, trois partis politiques.
Les patriotes.
Les patriotes sont les avancés qui approuvent les mesures de l’Assemblée nationale sans restricavec l’espérance même de voir bientôt l’ancien régime à jamais aboli.
Les aristocrates.
On appelle déjà aristocrates, en terme de mépris, les nobles, les prêtres, les catholiques que la Révolution épougens tranquilles qui passent volontiers le temps à gémir sur la disparition des privilèges et à envisager sous un jour plus noir encore l’avenir bien assombri.
Les libéraux.
Quelques nobles, quelprêtres, les bourgeois, les boutiquiers, la masse des honnêtes gens qui ont pris en dégoût certains abus de l’ancien régime et attendent le bonheur des réformes nouvelles, voilà les libé
Entre patriotes et libéraux, les aristocrates se tenant à l’écart, la lutte électorale commence dès les premiers jours de janvier, sur un double terrain politique et local, portant plutôt sur des questions de nuance et de mesure que sur des principes.
Au point de vue politique, les uns et les autres tonneront contre l’ancien régime, mais les patriotes y mettront de la colère, s’en prendront aux nobles et aux prêtres, tandis que les libés’attaqueront à certains abus.
Au point de vue local, ils sont tous pour le maintien des institutions perpignanaises, surtout de celle qui est la plus menacée, le Conseil souverain de Roussillon. Ils imiteront en ce point nos députés. Ayant appris que le Comité de la Constitution voulait nous enlever la Cour d’appel et transformer le Conseil souverain en un tribunal de première instance.
Mais si patriotes et libéraux sont d’accord sur la nature des revendications locales, ils ne s’enpas sur la manière de les formuler. Nous verrons les premiers y mettre de la réserve, tandis que les seconds parleront haut, menaceront presque.
Les patriotes entrent les premiers en scène le 17 janvier 1790. Un extrait des registres de l’Assemblée des citoyens patriotes réunis dans la chapelle Saint-Laurent de la ville de Perpinous apprend que 300 citoyens y entenforce discours et y prirent de nombreuses résolutions. On y parla de l’ancien régime pour le honnir, du nouveau pour l’acclamer, de Perpignan pour en louer les privilèges.

A la suite de ce discours l’Assemblée des patriotes prit les trois résolutions suivantes :
" 1° D’adhérer et de reconnaître pour lois fondamentales de l’État tous les décrets émade l’auguste assemblée de la nation et sanctionnés par le roi ;
2 De déclarer ennemis de l’État et traîtres à la patrie tous ceux qui s’opposeraient, direcou indirectement, à l’exécution de ces mêmes décrets ;
3° De supplier l’Assemblée nationale d’avoir égard au mémoire qui lui sera incessamment présenté, aux fins d’obtenir, pour Perpignan, un département et une Cour Souveraine et en dernier ressort, que les corps et métiers de cette capitale soient conservés suivant leurs anciens statuts, offrant de donner à l’État la moitié du prix provenant de chaque nouveau maître, l’autre moitié devant rester à la caisse des corps ; d’obtenir encore que l’impôt onéde la gabelle et de la régie générale soit remplacée par une contribution pécuniaire, représentative de la somme que l’État recevait annuellement de cette province
."
Le dimanche suivant, 24 janvier, les patriotes se réunirent de nouveau dans la chapelle du collège Saint-Laurent pour entendre Isidore Muxart, procureur au Conseil souverain. L’orateur devait parler en homme d’affaires de la transformation de la province en départedes revendications des Perpignanais, de la manière de les faire valoir.
" La division, dit-il, qu’on prépare du royaume est en 83 départements, qui seront d’une égala  étendue. Les papiers publics nous annoncent que Perpignan sera le chef-lieu d’un déparet qu’en cette qualité il aura un Tribunal ; mais d’après la position topograde cette ville, il semble impossible qu’on nous accorde un Tribunal suprême, qui doit être placé dans le centre et à portée des quatre départements qui en dépendront. Nous  ne pouvons donc vous promettre de posséder cette cour supérieure. "
Que faire ? Pouvait-on supporter sans se plaindre une suppression pareille ? L’orateur proposait de demander un agrandissement du département, de gagner les Languedociens à notre cause, surtout de se montrer aimable envers l’Assemblée nationale. Souscrivez, leur dit-il en substance, à tous ses décrets, payez l’impôt dû à " la Patrie, notre mère commune, montrez-vous bons patriotes, et l’Assemblée se laissera toucher par vos vœux."
Émettre des vœux, répondaient les libéraux, mais c’est courir à un échec. Nous ne voulons point de l’ancien régime, mais nous n’entendons pas laisser sacrifier nos intérêts. Nos droits sont absolus, déclare un des orateurs du parti dans son Premier discours aux Roussillonnais, accumulant preuves sur preuves tirées de l’hislocale du XVIIIe au XVIe siècle.
"Et d’ailleurs, ajoute-t-il, qui pourrait vous porter à les abandonner ? Seraient-ce des étrangers ? Cela ne me surprendrait point ; s’il coulait dans leurs veines une goutte de notre sang, la gloire et le bonheur du Roussillon ne leur seraient point indifférent. Seraient-ce queldes vôtres ? S’il en était d’assez aveugles ou d’assez pervers, pourriez-vous, Roussillonnais, les reconnaître pour vos conet avouer leurs démarches ? Ah! Voilà ceux qu’il faudrait regarder comme des traîà la patrie ! Considérez les mœurs et le caractère de ceux qui, dans ce temps d’anaret au moment où vous devriez réclamer vos droits, vous conseillent de les abandonner. Qui sont-ils? Vous les connaissez tous, je ne vous en dis pas davantage."Après avoir discouru, les libéraux passèrent aux revendications. Le cinquième consul, l’arBertin, tint le samedi 23 janvier une Assemblée générale des citoyens de la ville de Perpignan. 600 hommes avaient répondu à l’appel ; ils acclamèrent et signèrent une Adresse à l’Assemblée nationale
L’Adresse protestait d’abord contre la spoliades biens ecclésiastiques. "Le clergé du Roussillon, portait-elle, est le plus pauvre du royaume, la totalité complète de ses revenus est au-dessous de six cent mille livres. Supposerait-on cette somme entière égalerépartie, chacun des individus au nombre de huit cens, à peu près, aurait à peine sept cens livres. Que serait-ce si on déduisait les frais du culte, les aumônes, les impositions, les charges?  Non, les biens ecclésiastiques de notre province ne sauraient être une ressource pour l’État...  En nous les ôtant, ce serait la partie la moins aisée des citoyens que vous dépouilleriez. Les nobles fournissent à peine vingt prêtres à notre diocèse, ce qui en confirme la pauvreté. Nos bénéfices sont. Presque tout l’apanage des enfants du peuple, et cet apanage, tout modiqu’il est, devient par une sage économie la source précieuse de l’aisance, dont jouissent t une infinité de familles bourgeoises dans nos  villes et surtout dans nos campagnes."
Non moins énergiques étaient les réclamasur les droits de la province. Les Rousles avaient toujours demandés et, si l’on avait pu quelquefois les leur arracher pour un temps et par la force, ils ne tardaient pas à les reprendre. Les troubles de juillet dernier en étaient la preuve. " Nos droits ne  permettent en Roussillon, ni timbre, ni régie, point surtout de gabelle... Dés que le peuple a eu le sentiment de sa force, il s’est livré sans retenue aux premiers élans d’une liberté trop longtemps enchaînée…"
Ce qui s’était passé une fois ne pourrait-il pas se renouveler si l’Assemblée nationale se permettait de supprimer les privilèges ? Et le rédacteur de conclure sur cette menace : " Votre justice nous rassure, elle nous donnera un Tribunal supérieur dont Perpignan sera le siège, elle nous conservera notre évêque, notre Université, nos maîtrises."

Les élections. Triomphe des libé
Les élections municipales qui suivirent ces discours et ces adresses donnèrent la victoire aux royalistes libéraux.

Le document ADPO L429 des archives départementales n’était probablement pas connu de l’abbé Torreilles. On peut y lire ce qui suit.
Les premières élections municipales se sont déroulées du 02 février 1790 au 19 février  1790 dans les 4 paroisses sous l'égide des consuls conformément aux décrets de l'Assemblée Nationale des 28 et 29 décembre 1789.
Pour être électeur il fallait que la côte d'imposition directe soit supérieure à 3 livres. On devient alors "citoyens actifs." Au-dessus de 10 livres on est éligible.
Tous les intervenants prêtent serment.
Les opérations de vote réparties en 4 assemblées ont lieu dans les 4 paroisses de Saint-Jean (dans l'église Saint-Laurent, aujourd'hui disparue qui se trouvait à l'emplacement actuel de la place de la République), Saint-Mathieu, Saint-Jacques et à La Réal dans le couvent des Grands Carmes. Au total 1660 électeurs participent au choix.
Les personnes éligibles n'ont pas à présenter leur candidature. Les électeurs choisissent et inscrivent sur leurs billets une personne figurant sur la liste des éligibles. La personne choisie qui atteint la majorité n'est pas "élue" mais "nommés". Cette méthode alourdit énormément les opérations, en particulier au premier tour,  presque tous les éligibles ayant 1 voix, peut-être la leur. De plus, lorsque les personnes "nommées" se désistent il faut reprendre la séance.
Les élections se sont déroulées en synchronisme dans les paroisses et en plusieurs phases :
Élection d'un président, d'un secrétaire et de 3 scrutateurs.
Élection du maire
Élection des 11 officiers municipaux.
Élection du procureur de la commune.
Élection du substitut.
Etc
.

Combien y eut-il de votants ? Quels furent les candidats ? Quel jour commencèrent les opérations ? Nous savons seulement que Perpignan comptait 1664 citoyens actifs et que les votants furent ordinairement de 200 à 300 en 1791, parfois moins. Respectivement 266 et 432 pour les deux premiers votes qui conduisirent à l’élection de D’Aguilar comme maire.
Le Marquis d'Aguilar, après avoir obtenu 117 voix sur 266 votants le premier jour, en obtint 320 sur 432 le deuxième, soit 74%. soit à la presque unanié des votants. Son ami le marquis d’Oms qui en avait obtenu 112 soit presque autant au premier tour avait fait savoir qu’il se désistait. Il faut aussi savoir que Saint-Jacques n’avait pas respecté la procédure de vote et donc que les votes exprimés dans cette paroisse n’ont pas été comptabilisés.

Les votes de Saint-Jacques n'ont pas été pris en compte. Les consuls, organisateur des élections en donnent les raisons dans leur procès verbal du 1 février 1790.
"Et nous, consuls, avons voulu procéder au recensement général des suffrages des 4 assemblées particulières. Les dits sieur Terrats et tous les commissaires nommés par la section de la paroisse de Saint-Jacques, nous ont exhibé la minute de la délibération de leur assemblée du jour d'hier. De laquelle il résulte que le serment fait par Monsieur le Président  et le Secrétaire, conformément au décret de l'Assemblée nationale, tous les membres ont prêté le dit serment avec restriction de la part de la pluralité, qu'elle ne voulait ni gardes, ni gabelle dans la paroisse. Ils préfèrent payer en argent l'équivalent du liquide net qui doit entrer dans les coffres du Roi. Lecture faite de la délibération, attendue qu'il nous a été impossible de connaître le nombre des suffrages qui devaient être réservés pour déterminer le résultat général, nous avons demandé aux sections leurs avis. Il a été décidé de ne pas tenir compte des suffrages de Saint-Jacques." (ADPO L429)


D’après la Constitution et les règlements locaux, la ville était répartie en quatre sections de votes correspondant aux quatre paroisses. A peine réunis les électeurs se donnaient un président, un secrétaire, des scrul’on nommait le maire et l’on envoyait les résultats à l’Hôtel de ville. Là, une commiscentralisait les votes, proclamait l’élu, et s’il n’y avait pas de majorité, ordonnait aux sections de recommencer.
Le Marquis d'Aguilar ayant été proclamé maire, l’on passa à l’élection des 11 conseillers et des 24 notables. Elle prit plusieurs jours, car il fallut trois tours de scrutin, tant les passions étaient vives. Après quoi l’on nomma le prode la commune, un bon catholique, M. Marigo-Vaquer, avoué, et son substitut.
Parmi les onze conseillers élus, l’on comptait trois nobles :  Vaudricourt, de Çagard’Anglade, de Coma-Jordi ; un prêtre, l’abbé Mathieu, bénéficier de Saint-Jean ; un avocat, M. Vergés; des artistes et des ménestrels, MM. Bertin, ex-consul, Calt, Cazes, Massota, Pons et Ancessy. Ce n’étaient ni des partisans de l’ancien régime, ni des patriotes avancés, mais des libéraux honnêtes : on dirait aujourd’hui des modérés, des membres du centre droit et du centre gauche.
Le plus suspect de tous, l’abbé Mathieu, donla note des élections dans les deux lettres suivantes : Aux syndics de la communauté de Saint Jean, il disait le 8 février 1790 : " M.M., le public vient de nous donner une preuve éclatante de sa vénération pour l’état ecclésiastique et pour la communauté de Saint Jean en particulier en me nommant conseiller dans la nouvelle municié. Cette élection prouve évidemment que le public était cruellement calomnié lorsqu’on lui imputait les projets les plus atroces contre les prêtres... "
Et le 10 février à Mgr d’Esponchez: "... Je me fais un devoir de vous assurer avec la forte simplicité que l’évangile nous permet, que je n’étais, ni ne suis membre de la Société patriotique qui a été la première association, ni de la seconde ; que je n’étais, ne suis et ne serai vraisemblablement franc-maçon, mais que j’aime, et aimerai toute ma vie, humaineet chrétiennement, les parents, les amis, les voisins, enfin tous les hommes qui comla chaîne par laquelle j’appartiens à la  terre, et avec tous les anneaux de laquelle je me tiendrai fortement dans quelle société  qu’ils se trouvent, pourvu que j’ignore comme j’ai ignoré jusqu’ici qu’ils soient coupables d’aucun mauvais projet. Résolve qui voudra les problèmes de la politique et du patrio."

CHAPITRE VI
Premières difficultés
Février Mai 1790


Le peuple crie à l’accaparement des blés ; émeutes du 1er mars. Réorganisation de la garde nationale : son armement et son esprit. Son attitude le 11 et le 18 avril. Les premières mesures contre les religieux et le clergé séculier ainsi que l’approche des élecdépartementales poussent les nobles à se grouper. La journée du 1er mai et la fermeture de leur club due à la violence des patriotes. Les suites de cette journée : écrits séditieux, violente émeute des 10 et 12 mai. Calme rétabli par la force armée.

La municipalité prenait le pouvoir dans des circonstances difficiles. A la mairie, une dette nouvelle de 103.931 livres, dans les rangs de la garde nationale bien des exaltés, le peuple inquiet au moindre mouvement dans les prix du blé,  la population entière a toujours les yeux tournés vers Paris, d’où viennent deux ou trois fois par semaine de troublantes nouvellois sur la spoliation des biens ecclésiastiet sur la sécularisation des couvents ou projets plus perfides encore sur le serment schismatique. Ajoutez l’approche d’élections départementales, l’Assemblée patriotique qui ne désarme point, et vous comprendrez pourquoi, grâce à ces ferments de discorde, les troubles succéderont aux troubles durant l’année 1790.
La municipalité a conscience du danger qui la menace. Dès le lendemain de son installale 20 février, elle confirme tous les règlede police portés par les consuls. "Leurobservation, déclare-t-elle, affermira la liberté publique, bien loin d’y porter atteinte et elle paraîtra d’autant plus possible que l’amour de la patrie doit rallier tous les cœurs, réunir tous les esprits, établir l’ordre, cimenter la paix, faire éclore la vertu."
Émeutes du 1er mars 1790.
Le 1er mars ces règlements étaient déjà ouvertement violés. Sur les bruits venus on ne sait d’où, que des négociants du Languedoc s’étaient syndiqués pour accaparer le blé, que des charrettes chargées quittaient furtivement la ville, les têtes se montent et l’on crie à l’acca: "Ne fallut-il pas l’an dernier, dit-on couramment, faire revenir à grands frais et  acheter au plus haut prix le blé vendu à nos voisins à un prix médiocre". Les officiers municipaux et le paillolier ont beau déclarer que ces craintes sont chimériques. Le peuple ne veut rien entendre. Des charrettes chargées de blé sont réunies an faubourg à destination de l'Aude, donc il y a accaparement.
Et sur ce un attroupement se forme, court au faubourg, arrête le premier charretier qu’il rencontre et l’oblige à rebrousser chemin. Les officiers protestent au nom de la liberté de la circulation votée par l'Assemblée nationale, le peuple reste sourd.gardes nationaux indisciplinés de la compagnie Lucia, les uns portant la houppette rouge de leur corps, les autres le bonnet rouge, allaient frapper le dimanche suivant 7 mars, aux portes du Séminaire, sommaient l'économe de leur montrer les caves qu’ils disaient servir d’entrepôt d'accaparement, le menaçaient et ne se retiraient en grommelant encore qu’après avoir tout fouillé et s’être convaincus de l’inanité de l’accusation.

Réorganisation de la garde nationale.
Les troubles du 1 et du 7 mars avaient révélé à la municipalité le peu de fonds qu’il fallait faire la discipline des gardes nationaux, les uns n'ayant pas osé résister aux émeutiers, les autres ayant ouvertement embrassé leur cause. Elle essaya d’y remédier en les réorganisant. Le Marquis d'Aguilar, démissionnaire depuis son élection, céda le commandement en chef au comte de Ros ; le comte d’Aguilar, fils du marquis, fut nommé major ; M. Bellassera, avocat, aide major. Les effectifs des compagnies, au nombre de 17, furent portés au chiffre de 101 hommes chacune, comptant un capitaine un capitaine en second, deux lieutenants, deux sous-lieutenants, un sergentun fourrier, quatre sergents, huit capoun tambour et 8O soldats. Il ne fallait donc, les tambours et les officiers ne portant pas de fusils, que 1598 armes. La municipalité obtint du commandant de la ville, M. de Chollet, 1732 fusils, soit 134 en trop, et les remit à M. de Ros.
C’était là une faute. On en commit une seconde en ne veillant pas à l’égale répartition des hommes entre compagnies. Un état du 22 juin donne le nombre suivant : Jaume notaire 91 hommes ; Claret marchand 81 ; Tastu notaire 90 ; Guiter notaire 59 ; Costa avoué 73 ; Llignères mercadier 76 ; Jaume-é avoué,73 ; Gros négociant du faubourg 41 ; Lazerme mercadier 75 ; Vergés avocat 85 ; d’Aguilar (comte de) 119 ; Dastros sous-direcde la Monnaie 92; Mailhat négociant 142 ; Règnes bourgeois noble 116 ; Birotteau avocat 80 ; Tirolet négociant 61.
Les compagnies se classaient en trois grou: celles de M.M. d’Aguilar, de Règnes, Jaume Macé et Costa étaient ouvertement hostiles aux patriotes ; celle de Birotteau (ancienne compagnie Lucia) ne cachait pas ses sentiments favorables à la Révolution, secondée qu’elle était par les compagnies Mailhat, Dastros et Guiter. Les neuf autres étaient dévouées à la municié, comptaient des éléments en majorité hostiles à la Révolution, mais sans grande énergie.
A peine réorganisée la garde nationale trouva l’occasion de parader et de montrer ce qu’elle pouvait pour le rétablissement de l’ordre.
La parade eut lieu le 11 avril au Champ de Mars, près du Pont rouge. Le conseil municipal était venu recevoir, sous un dais orné de dratricolores, le portrait de Louis XVI. " Les  gardes nationaux, déclare le rapporteur, mirent leurs chapeaux sur la pointe des baïonnettes, en s’écriant à l’envi : Vive le roi !"
Sept jours après, le 18 avril, ces mêmes garlaissaient expulser de sa demeure Pierre Ignare Guiraud, contrôleur général des fermes de l’État, absent depuis les émeutes de juillet 1789, qui avait cru pouvoir rentrer chez lui pour s’y reposer.
"Je dois, écrit-il à la municipalité, à l'intérêt public la démarche que je fais de vous dénoncer cet attentat et cette violation du droit des gens et de la liberté."
Sa protestation dissipa-t-elle l’illusion de quelques libéraux et enflamma-t-elle le courage de ceux qu’on appelait les aristocrates ? Il ne fut bruit en ville, dans les derniers jours du mois d’avril, que d’une réunion qui devait se tenir le 1 mai dans la chapelle du Tiers ordre de saint Dominique. D’après les uns il s’agissait d’y asseoir les bases d’une association d’honnêtes gens : on l’appellerait le club des Jacobins, du lieu de la réunion. Les patriotes accusaient les aristocrates de vouloir se grouper pour conspicoutre la Révolution.
Deux circonstances avivèrent le conflit encore à l’état latent : les mesures préparatoires de la spoliation et l’approche des élections départe

L’Assemblée nationale continuant son œuvre, dite de réforme du clergé, avait ordonné que les municipalités dressassent l’inventaire des biens ecclésiastiques, tant ceux des séculiers que ceux des réguliers, et que dans la visite des couvents elles recueillissent la déclaration des religieux sur leurs intentions en cas de sécularisation. Les visites commencèrent le 26 avril et conèrent les jours suivants. Au total 40 sur 50 religieux avaient déclaré vouloir rester fidèles à leurs vœux. Dans l’intervalle, le 27 avril, le chapitre de la cathédrale, assemblé à son de cloche, avait rédigé une solennelle protestation contre l’expropriation prochaine de ses biens et toutes les communautés religieuses de la ville, aussi bien les séculières que les régulières, allaient successivement l’adopter.

Les premières mesures contre le clergé.
Pendant que les religieux et les chanoines protestaient contre leur suppression prochaine, les électeurs se préparaient à la nomination de leurs délégués aux premières élections déparD’après la Constitution, la province de Roussillon était changée en département des Pyrénées-Orientales et celui-ci était divisé en trois arrondissements, appelés les districts de Perpignan, de Prades et de Céret.
A la tète du département, au lieu de l’intenet de l’Assemblée provinciale, l’on plaçait un Conseil composé de 36 membres, assisté d’un procureur général syndic chargé de proles motions. Le Conseil ne devant se réunir que pendant un certain temps, à époques plus ou moins fixes, une Commission composée de 8 membres, appelée Directoire du départe, gérait les affaires avec l’aide du procureur énéral syndic.
Chaque district était doté d’une adminissemblable : un Conseil composé de 12 membres, assisté d’un procureur syndic ; un Directoire et le même procureur syndic. Ces deux administrations traitaient la plupart des affaires en premier ressort, puis les transmetau Département qui les homologuait ou les rejetait.
Les membres des Conseils du département et des trois Districts devaient être élus par des délégués nommés par les électeurs du premier degré. Ces délégués étaient au nombre de 60 dans l’arrondissement de Prades, de 41 dans celui de Céret, de 65 dans celui de Perpignan, dont 17 de notre ville. Quoiqu’ils ne fussent qu’une minorité le choix de nos représentants avait une extrême importance ; patriotes, libéraux aristocrates cherchèrent donc des can
Ce fut au milieu de cette agitation que se fit le 1 mai la réunion du Club des Jacobins. Que s’y passa-t-il ? Nous savons seulement que la réunion fut dissoute. La municipalité aurait du sévir contre la violence qui s'y manifesta. Elle se contenta, huit jours après, le 8 mai 1790, de porter un arrêté prohi"les écrits séditieux " publiés après ces événements. Le club patriotique crut y voir une condamnation de sa conduite, et n’osant attaquer la municipalité ouvertement, il l’accusa auprès de l’Assemblée nationale de ne pas se conformer aux lois, quoique ce fut une grossière calomnie.
"La Société patriotique de Perpignan, porte le Moniteur du 16 mai 1790,... dénonce la municipalité de cette ville qui n’a pas encore fait prêter le serment civique aux notables, quoiqu’elle en ait été plusieurs fois requise par un de ses officiers. Cette dénonciation a été envoyée au Comité des recherches."
La municipalité avait eu raison de lancer son arrêté du 8 mai et de prohiber tout écrit capable d’exciter les esprits ; peut-être même avait-elle usé de trop de modération. Deux jours après, à 6 heures du soir, une cinquantaine de travailde terre ameutée par un nommé Pelras, brassier comme eux, couraient au faubourg, cernaient l’écurie de l’aubergste Fr. Bis, monla garde jusqu’au lendemain, et, à la pointe du jour, dès que les portes de la ville étaient ouvertes, s’emparaient de quelques charchargées de blé et les remisaient dans les locaux vides de l’Académie.
On invoquait comme prétexte le prétendu accaparement des blés. Les arrivages se faisaient normalement et à des taux non exagérés. La municipalité expliqua tout cela aux émeuajoutant "qu’on était à la veille de la récolte et qu’il y avait plus de blé qui il n’en fallait pour le pays". Elle eut beau insister, invoquer "la loi, la religion, la patrie et l’humanité ", la journée du 11 mai s’écoula sans qu’on put avoir raison des révoltés.
C’est qu’ils entendaient s’approprier le blé coné. Les émeutiers ayant en effet proposé de porter leur cargaison au paillol : "Partageons le butin!"  s'écria Pelras ; un nommé Campoussi, quelques inconnus l’appuyèrent.
C'étaient pour la plupart des gardes nationaux débandés, venus isolément ou par groupes à la suite d’un nommé Estirach, lequel avait emé trois travailleurs et le tambour de la compagnie Badie, et avec eux, au son du tamavait parcouru les paroisses Saint-Jacques et Saint-Mathieu, racolant sur son passage les désœuvrés et les exaltés.
La force seule pouvait résoudre le conflit. La municipalité convoqua les gardes nationaux disciplinés, réquisitionna les deux brigades de la maréchaussée et deux détachements de soldats. Devant ce déploiement de troupes les factieux se calmèrent, non sans cris et menaces. Le sieur Sanguinole insulta. le maire en disant: "Si le blé n’est pas livré au peuple, il sera bientôt pillé" ; un nommé Richard  " eut l’audace d’ajuster avec son fusil un des officiers municipaux. " On se saisit d’eux, d’Estirach, de Palras et de deux autres turbulents, et le calme se fit.

CHAPITRE VII
Troubles militaires et électoraux (1)
Mai juin 1790

Agitation des régiments de Touraine et de Vermandois.
Le calme n’était qu’apparent. Le 19 mai, à la tombée de la nuit, un tambour du régiment de Touraine battit la farandole devant la porte de la caserne Saint-Jacques, pour faire danser greet civils ivres comme lui. Malgré l’appel, le tambour continua. Un adjudant, pris de vin lui-même, frappa l’indiscipliné de quinze jours de prison ; grenadiers et civils s’interposèrent. Trois officiers tentèrent de ramener les hommes au devoir, tonnèrent, dégainèrent même et ne se retirèrent qu’après avoir vainement épuisé tous les moyens de rétablir l’ordre.
En temps ordinaire cette aventure de caserne n'aurait pas eu de suite: les soldats dégrisés auraient reconnu et expié leurs fautes. Mais depuis le mois de janvier les troupes se laisgagner aux doctrines révolutionnaires. "On est persuadé qu'on a envoyé des gens et de l'argent pour faire cette insurrection à votre régiment," déclarera dans son rapport le lieutenant-colonel d'Iversay au colonel de MiraEt dans quelques mois les patriotes écriqu'ils doivent leur salut au régiment de Touraine.
Le fait est que les officiers ne reconnaissaient plus leurs hommes. M. Taine a employé le mot d'anarchie spontanée pour peindre cette période de décomposition morale qui s'emparait de tous les corps. La rébellion des soldats était le résultat de machinations secrètes ou de circonstances exceptionnelles, probabledes deux à la fois.

La révolte
Le lendemain des troubles du 19 mai, des délégués du régiment de Touraine vinrent demander au lieutenant-colonel la destitution de l'adjudant et la punition des trois officiers. Signe des temps, ils se disaient insultés. M. d'Iversay ayant refusé les soldats se révoltèrent.
L'agitation avait passé dans la rue et les rapde police nous apprennent que patriotes et aristocrates s'insultent et se dénoncent. Le 22 mai un trompette du régiment de Touraine, un conseiller à la Cour et un commis au greffe sont accusés d'avoir déclaré que le capitaine Maillat débauchait les soldats à prix d'argent. Le 1 juin des patriotes dénoncent l'éditeur Goully qui imprimait la protestation du chapitre de la cathédrale du 27 avril précédent contre la spoliation des biens ecclésiastiques. Quelques jours avant, lors de la procession de la Fête-Dieu, l'abbé de Chollet, fils du commande la ville, qui portait le Saint-Sacrement, ayant voilé l'ostensoir, intentionnellement ou par mégarde, lorsqu'il passait devant la maison de Lucia, le futur procureur général syndic, un fusilier de sa compagnie voulut venger "l'af", quand la procession de la Réal traversa le Marché Neuf.

Les élections départementales.
Au lendemain de la révolte de Touraine et au milieu de cette agitation, dont les rapports de police nous donnent un faible écho, commenèrent les élections départementales.
La première réunion eut lieu le 23 mai dans la chapelle du collège Saint-Laurent ; elle comptait 166 membres, parmi lesquels dix-sept per: MM. Ferrer aîné, Vilar-Haros, de Cagarriga, d'Oms-Texidor, Siau aîné, Fabre avocat, Dastros, Bernole, Terrats fils (du député), d'Oms (marquis), d'Anglade (président), Pons, Jaubert (chanoine), Pagès, Torreilles, BirotVillerouge, soit un mélange de libéraux et de patriotes.
On pouvait s'attendre de la part des villageois à des votes hostiles aux candidats de notre ville, car l'on n'avait pas oublié les rancunes d'avant 1789. S'il faut en croire un témoin bien informé, la campagne attendait avec impatience le jour de la revanche. "Personne n'est mieux convaincu que moi, écrivait Julien Roca, député, à son ami Tolra le 12 février 1790, de la nécessité de renforces les deux districts, dont les chefs-lieux seront Prades et Céret afin de diminuer la force de celui de Perpignan et faire acquérir aux campagnes une représentasupérieure dans les assemblées du déparMais il est impossible de se dissimuaussi, qu'on ne pourrait sans injustice assujettir des habitants qui seraient très à portée de Perpignan, et où ils auraient toutes leurs relations commerciales à aller chercher beauplus loin et en s'incommodant ce qu'ils trouveraient beaucoup plus près sans gène et sans obstacle.
Cette question politique a été débattue dans le Comité, et Perpignan n'a pas été la seule ville qui ait présenté l'exemple d'une adminisarbitraire sur les campagnes..... Au surplus les deux districts campagnards étant bien plus en force que celui de Perpignan, ils  doivent par une suite nécessaire se réunir pour abattre les entreprises de cette capi."

Succès des patriotes de la campagne.
Dés le premier jour, l’assemblée électorale manifesta son hostilité contre les Perpignanais, surtout contre les non patriotes, en se donnant pour président M. Moynier d’Ille, le député démissionnaire, et pour secrétaire, M. Bonaventure Vilar, Bayle de Prades. Au scrutin du lensix perpignanais, vexés probablement de cet ostracisme, n’assistèrent pas à la réunion.
On devait nommer ce jour-là, 24 mai, les six premiers membres du Conseil départemental, deux par district ; l’assemblée témoigna de son hostilité aux prétentions de la ville en nommant pour le district de Perpignan, M. Terrats député, celui que nous avons vu en 1789 se mettre du côté des villageois contre ses compaet son ami, M. Siau aîné. L’élection de M.M. Berge de Collioure, Graffan de Thuir, Bosch d’Ille, et Tixedor de Prades, ne se terque le lendemain.
Le 26 mai, quand il fallut procéder à la nomides 30 conseillers départementaux, les électeurs se trouvèrent presque au grand com: 164 sur 166 inscrits. La journée se passa à recueillir les bulletins, chaque votant devant rédiger sa liste sur le bureau du président, et continuant sans relâche jusqu’à huit heures du soir ; le chiffre des bulletins contrôlés s’éleva à 40. Même nombre le lendemain de sept heures du matin à 6 heures du soir, mais moindre le surlendemain, 29 mai, après une séance de douze heures. Le 30, les scrutateurs proposèrent un  répit de huit heures du matin à midi, l’on dépouilla 14 bulletins ; le soir, de trois heures à neuf heures, 24. Enfin l’on clôturait les opéradans la matinée du 31 mai, mais il ne se trouva que 26 candidats ayant atteint le quorum, parmi lesquels deux perpignanais seulement, le marquis d’Oms et l’abbé Mathieu.
Les votes recommencèrent le soir même : un perpignanais, M. Matheu-Bon, membre comme le marquis d’Oms de l’Assemblée provinciale, fut proclamé. Le 1 juin après l’élection des trois derniers conseillers, trois villageois encore, l'on passa à celle du procureur général syndic. M. de Llucia-Tabariès de Perpignan, a réuni "la presque unanimité des suffrages ", déclare le procès-verbal.
Cette nomination et les abstentions de six perpignanais, ceux qui parmi les dix-sept élecpassaient pour refléter particulièrement les idées de la municipalité libérale, marquèrent le caractère des votes qui avaient eu lieu. Le parti patriote campagnard entrait en triomphaà l’hôtel de l’Intendance, qui allait prendre le nom d’Hôtel du Département (Rue d'Espira en 1790, en 2002 rue Lazare Escarguel.)
Les élections du district qui eurent lieu les 4 et 5 juin suivant eurent le même caractère. Les inscrits étaient au nombre de 65, les perpignaau nombre de 17 ; néanmoins le premier jour, sur 58 votants, sept villageois furent élus : MM. Amouroux de Rivesaltes 46 voix, Boixo de Millas 44, Durand de Saint-Nazaire 37, Miffre de Saint-Laurent 36, Cassanyes de Canet 32, Siurolles de Pézilla 31, Foulquier de Saint-Paul 30.premier tour qui eut lieu le 5 juin, un perpignanais, M. Vilar-llams, fut seul élu. Après lui, au second scrutin, quatre de ses compatrio: MM. Ferriol avocat avec 31 voix, Sèbes négociant avec 30, Muxart avoué avec 29, M. Florent grâce à son âge car il avait eu 28 voix comme son concurrent M. Antoine Frigola. François Tastu professeur de droit à l'Univeré devint procureur syndic. On lui adjoignit J.B. Birotteau avocat, comme secrétaire. Tous étaient membres du club patriotique, qui prenait dans les élections au second degré sa revanche sur les élections municipales du premier degré.

CIIAPITRE VIII
Révolte du régiment de Touraine 1790


Arrivée du vicomte de Mirabeau, colonel du Régiment de Touraine. Querelles entre patriotes et royalistes Désobéissance du régiment le 9 juin. Révolte le 10. L'agitation contiLe vicomte de Mirabeau part le 12 en emportant les cravates du drapeau déposées chez le Marquis d'Aguilar. Indignation de la troupe. Arrestation et détention du marquis à la Citadelle jusqu'au 16 juin. Ovations de la foule â sa sortie de prison. Arrivée des cravates le 17 juin. Projets et tristes résultats de la charité privée pendant ces troubles.

31 mai, pendant les élections, avant la proclamation du vote, la municipalité écrivait au contrôleur général : "Il y a lieu de croire que l'égarement se calmera à l'aide des pouvoirs judiciaire et exécutif et de l'autorité confiée aux assemées administratives, à la veille d'être formées dans notre département ; ce concours de moyens fera la force des municipalités  dont la position est devenue critique et pré(nous ne pouvons le dissimuler) ; depuis que l'égarement a gagné les troupes de ligne au point de se soustraire à la subordination envers les officiers, il serait difficile dans ces circonstances de compter sur des troupes aussi indisciplinées pour les appeler au secours de l'ordre public... Cet état de choses, s'il continuait, propagerait le délire le plus dangereux du soldat aux gens de la lie du peuple qui n'ayant rien à perdre n'attendent que le désordre pour attaquer les personnes et les propriétés, au mépris des lois méconnues et de l'impunité qui en favorise l'infraction. Que peuvent les municipalités dans cette crise ?"
Arrivée du vicomte de Mirabeau
.
On le constata bientôt. Le vicomte de Mirabeau, colonel du régiment de Touraine, se trouvait à l’Assemblée nationale, dont il faisait partie avec son frère, le célèbre tribun, lorsqu’il apprit la révolte de ses subordonnés. II se mit aussitôt en route vers Perpignan, muni de pleins pouvoirs du roi, avec mission de pacifier les troupes. Royaliste ardent, d’un caractère autoritaire, volontiers audacieux, l’homme n’avait aucune des qualités nécessaires pour une si difficile entreprise.
Avant son arrivée, patriotes et aristocrates avaient pris déjà fait et cause pour ou contre lui, les premiers accusant les seconds de l’apSauveur et Rédempteur, ces derniers préqu’ils ameutaient les soldats contre leur colonel. Les visites et les sérénades accouées, dont le vicomte fut l’objet le 8 juin, provoquèrent des représailles. Vers les 11 heures du matin, les officiers de la compagnie Règnes, la garde nationale, compagnie réputée royafurent insultés par des patriotes qui leur demandèrent ce qu’on leur avait donné de bon. Le soir, le capitaine aide major, M. Bellassera, et d'autres officiers de la garde reçurent sur la tête un paquet de cendres ; on leur jeta même une grosse pierre de la maison Mailhat. Celui-ci se plaignit de son côté qu’on le chansonnât :

"Si M. Mailhat n’étaitLa paix dans Perpignan serait."


Désobéissance du régiment le 9 juin.
En de pareilles conjonctures le moindre heurt amène de redoutables conflits. D’où vint-il ? D’après le vicomte de Mirabeau, les soldats étaient déjà résolus à lui désobéir quand il se présenta devant eux le 9 juin ; le sachant, il leur aurait fait des offres de pardon, flatteuses d’abord, impérieuses ensuite, jamais insolentes. Le député, que le régiment de Touraine envoya plus tard à l’Assemblée nationale pour se disne nie point le refus qu’opposèrent les soldats d’obéir à l’adjudant et aux trois officiers qui avaient dû fuir en mai précédent ; il prétend seulement que M. de Mirabeau aurait non proé mais commandé, non flatté mais insulté, qu’il aurait fondu sur eux avec quelques officiers l’épée d’une main, un pistolet de l’autre. Trois soldats auraient été blessés.

Révolte le 10.
Nous sommes mieux renseignés sur la journée du lendemain 10 juin. Vers les huit heures du matin, déclare le procès-verbal officiel de la municipalité, "le régiment de Touraine sous les  armes, battant la charge, vint sur la Loge et se rangea en bataille. Il apporta ses drapeaux. Les soldats transportés contre le colonel se plaignaient... M. le maire et les officiers municipaux commencèrent à haranguer la troupe, ils ne négligèrent rien pour l’apaiser. M. de Chollet, commandant, survint alors, et fit aussi de son côté les plus grands efforts en représentant aux soldats qu’ils obtiendraient justice sur leurs plaintes, mais qu’ils devaient commencer par donner une preuve de leur entière soumission aux ordres du roi et se retirer à leur quartier.
Les compagnies paraissaient se calmer lors’on les raisonnait et qu’on leur promettait justice, mais un mouvement de défiance éclatait bientôt après et leur faisait crier à voix forte "non". Le régiment se détermina cependant à revenir à son quartier, mais il voulut avant toute œuvre déposer ses drapeaux et sa caisse chez le Marquis d'Aguilar, maire, sur le refus que M. d’Iversay, lieutenant-colonel, fit de les recevoir, attendu la présence de M. de MiraCela leur fut accordé et exécuté sur lechamp : peu de temps après ils se retirèrent en criant : Vive la Nation, la loi et le roi !"
Restait à faire agréer les ordres du roi sur la réintégration des officiers et de l’adjudant refusés par les troupes. Tandis que Monsieur de Mirabeau restait enfermé chez le Marquis d'Aguilar (hôtel de la poste actuelle, soit en 1897), M.M. d'Iversay, de Chollet et les officiers municipaux se transporèrent à la caserne Saint-Martin. "On sollicita (les rebelles), on les pressa de plus fort". Peine inutile, ceux-ci refusèrent, marquant par-là le parti pris de leur résolution.
Tout était à craindre tant que le vicomte de Mirabeau resterait. On le vit bien le lendemain, 11 courant. Un capitaine ayant puni au nom du colonel, le régiment s’ameuta, et si les officiers municipaux et M. de Chollet ne s’étaient interposés et n’avaient accompagné le capitaine  "hors la ville jusqu’à ce qu’il fût parti sur un cheval de poste", le sang aurait coulé. Le lendemain 12, nouvelle affaire avec un second capitaine, toujours à propos du colonel.

Le Marquis d'Aguilar pris en otage.
Dans ces conditions le départ de ce dernier s'imposait. Le conseil municipal s’assembla. "Le vif désir de rendre à notre ville sa trané de nouveau troublée, presque depuis l'instant de l’arrivée de M. de Mirabeau, nous détermina, rapporte le procès-verbal, à lui écrire une lettre qui paraissait approuver sa conduite afin de ne pas blesser sa délicatesse et accélérer son départ. Le treize de ce mois, continue le rapport, M. de Mirabeau est partit de cette ville vers les cinq heures du matin ; à dix heures, un détachement de Touvint chercher ses drapeaux. M. d’Aguilar qui avait accordé asile et hospitalité à M. de Mirabeau, avait eu la bonne foi de laisles enseignes dans un cabinet attenant à la chambre de ce dernier, sous la sauvegarde l’honneur; mais à peine les soldats voulurent-ils les prendre qu’ils s’aperçurent que les cravates manquaient, ils se plaignirent amèrement, ils en demandèrent raison à M. d’Aguilar qui ne peut qu’accuser M. de Mirabeau de les avoir enlevées. Furieux ils reviennent au quartier, le régiment entier prend les armes, il accourt précédé des tambours qui battent la charge, ils s’arrangent devant sa maison ; les soldats chargent leurs fusils, le régiment de Vermandois se joint à eux. Une foule entre chez M. d’Aguilar, ils veulent l’amener, nous faisons tous nos efforts pour les calmer ; M. de Chollet, commandant, les officiers nous secondent; on expédie dans l’instant des courriers auprès de M. de Mirabeau ; nous envoyons de suite d’autres ordres pour requérir les municipalités de la route, au nom de la nation, de la loi et du roi, d’arrêter cet officier et de lui faire rendre les cravates enlevées ; ces ordres sont lus à haute voix à la troupe assemblée ; mais rien ne l’apaise. M. d’Agui est pris et conduit au milieu de huit cents baïonnettes à la Citadelle ; et là il est détenu prisonnier en otage sous forte garde. La consétait générale, les soldats même versaient des larmes."
II faut suivre jour par jour, heure par heure, dans le procès-verbal des événements et dans le registre à lettres de la municipalité, les démardes conseillers municipaux, de M. de Chollet, des officiers de la garde nationale et du régiment de Touraine lui-même, pour se faire des angoisses de tous dans une circonstance critique. On écrit à toutes les municiés, au Roi, à l’Assemblée, aux ministres, à qui n’écrirait-on pas pour faire arrêter le comte et obtenir les cravates qui permettront libération du Marquis d'Aguilar ?
Sans doute ce dernier est bien traité, respecté même des soldats dans sa prison de la citadelle, mais on a soin de ne pas froisser les geôliers. Le 14 juin on a agréé la résolution prise par les officiers du régiment de Touraine d’envoyer à Paris un député pour "solliciter justice" et obtenir au besoin de nouveaux drapeaux. On décide en outre de nommer un député particulier, M. Siau, "pour se joindre à celui des citoyens volontaires". On paiera les frais de cette double députation.
Enfin le 15 juin à 2 heures du matin survient la bonne nouvelle : le vicomte de Mirabeau, arrêté à Castelnaudary, a rendu les cravates ; elles sont en route ; elles arriveront dans la soirée. De grand matin l’on prévient le régiment de Touraine. Nul doute que M. d’Aguilar ne soit relâché.
Mais voici que les rebelles émettent de nouprétentions : il ne leur suffit plus d’avoir les cravates ; ils entendent que le vicomte de Mirabeau soit ramené à Perpignan en prisonnier. Les officiers municipaux ont beau leur commula lettre que le vicomte vient d’adresser de sa prison de Castelnaudary pour témoigner sa peine d’avoir troublé la paix de la ville "par un malheur involontaire qui faisait le tourment de sa vie", leur rappeler ensuite que le vicomte était inviolable à titre de député de l’Assemblée nationale, les rebelles ne cèdent point : ou l’on ramènera le colonel prisonnier ou M. d’Aguilar restera en prison.
De guerre lasse les officiers municipaux s’offrent à écrire à la municipalité de Castelnau "pour la prier de retenir M. de Mirabeau jusqu’à la réception des ordres du Roi et de l’Assemblée nationale." Les mutins s’entêet l’on ne savait comment les ramener à la saison quand arrivèrent fort à propos deux délégués de la municipalité de Castelnaudary. Sur leur représentation que le vicomte était bel et bien en prison, qu’on ne le relâcherait pas sans un ordre de l’Assemblée nationale, les colères tombèrent et l’on résolut de délivrer M. d’Aguilar lors del’arrivée des cravates.

Le Marquis d'Aguilar ovationné.
"Cet espoir n’a pas été trompé, continue le procès-verbal. Le 16, à onze heures et demie du matin de nouveaux députés sont venus annoncer que, quoique les drapeaux ne fussent point rendus, M. d’Aguilar serait relâché le même jour et conduit chez lui avec la  plus grande pompe à cinq heures de l’aprèsmidi... Vers les cinq heures du soir les régiments de Touraine et de Vermandois, le corps des volontaires citoyens se sont rendus sous les armes devant la maison commune et s’y sont rangés en bataille. L’ordre pour la marche a été donné aussitôt que le corps municipal et les notables ont été réunis. La troupe de ligne a défilé la première. Les deux bataillons des volontaires rangés sur les deux côtés de la place ont reçu dans le centre la municipalité et M.M. Soulié et Pech (délégués de Castelnaudary)... La marche a été aussi patriotique qu’imposante. Arrivés à l’Esplanade les volontaires citoyens se sont arrêtés et, nous, accompagnés d’une simple escorte, précédés de la musique, nous nous sommes avancés jusqu’au bout du pont."
On devine le reste. " Quand M. d’Aguilar marchant à la tête des deux régiments, tenu par M.M. d’Iversay et des Innocents, comandant ces corps " le canon tonna, des vivats retentirent. Ce fut mieux encore quand le maire eut repris l’écharpe municipale. " Les salde l’artillerie redoublent alors. Mille voix s’écrient "Vive d’Aguilar... Il nous est rendu... Il était innocent." Ce n’est plus qu’un concert de bénédictions ; la troupe de ligne se mêle avec la troupe nationale ; la fédération se forme déjà dans leurs cœurs... " Et le procès-verbal de narrer chacune des ovations faites au vieillard "au visage serein." (Nota : D'Aguilar avait environ 63 ans.)Je n'en finirais point si je décrivais à la suite du chroniqueur la cérémonie de la réception des cravates qui eut lieu le lendemain 17 juin, à 5 heures, entre le Pont rouge et le Pont de la pierre. Les soldats faisaient la haie depuis le faubourg jusqu’à la Loge ; des députations coule long de la route du Vernet ; "le Nesde l’armée, Thurel, soldat de Touraine, malgré ses vieux ans, partit le premier."
Quand le précieux dépôt arriva, l’on cria, l’on s’embrassa, l’on pleura, et quand l’on fut de retour devant la maison de M. d’Aguilar, l’on recommença de plus belle.
"Là, les cravates et les cordons furent reconnus ; un soldat s’en saisit par une sorte d’enthousiasme et les baise ; mais M. le maire les reprend : "C'est à moi", dit-il, à les baiser le premier ; ah ! ...que je les baise mille fois". Jamais scène ne fut plus touchante ; les cœurs parlaient. Les soldats exigent que M. d’Aguilar attache lui-même les cravates aux lances : les mains de la vertu, disaient-ils, doivent les purifier. Cela s’exécute, et dans l’instant Thurel couronne M. d’Aguilar et les drapeaux."

Ainsi s’étaient terminées, en août 1789 dernier, au milieu des effusions d’un enthousiasme propre au XVIII° siècle, les scènes commencées dans le pillage et dans le désordre. Ainsi se terminedurant la Révolution les drames les plus tragiques. Après avoir versé le sang, les patrios’embrasseront et les procès-verbaux les plus dithyrambiques ne traduiront qu’imparfaiteles impressions de ces hommes toujours prêts à passer de la férocité au sentimentalisme.
Aussi, durant les périodes troublées dont nous avons narré les phases, ces patriotes que nous avons crus absorbés par les émeutes popuélectorales ou militaires, ont-ils pu longuement disserter sur les moyens d’améle sort des pauvres et, en particulier, sur la suppression de la mendicité.

CHAPITREIX
La crainte d'une invasion
Juin août 1790

Quelques jours après le rétablissement du calme, le 24 juin 1790, le Conseil du département, qui ne s'était réuni dix jours avant que pour s'ajourner, prenait solennellement possession de l'Intendance et pressait le subdélégué général, M. Grenier, de lui remettre les affaires.
Alors parurent les députations de la campagne et de la ville, des gardes nationaux et des memdu Club patriotique, des professeurs de l'Université et des administrateurs d'hôpitaux. Un jour, l'on vit "vingt jeunes citoyens de Perpignan, vêtus de blanc, portant des écharpes aux trois couleurs" et le lendemain, soixante-huit dames citoyennes, "ayant à leur tête le brave et respectable Turei, le plus ancien soldat de France..., accompagnées des officiers et des soldats d’une compagnie des gardes nationales."

La fête du 14 juillet 1790.
Puis arriva la fête du 14 juillet. Un certain nombre de gardes nationaux avaient été envoyés à Paris. Ceux qui restèrent "tinrent à honneur de faire beau," et la municipalité les seconda. D’après l’arrêté pris la veille, les troupes se masseraient à l’Esplanade dès 11 heures du matin, autour d’un large autel carré. Vers midi, les officiers municipaux s’y rendraient, escortés de la garde nationale, et se placeraient sur les degrés de l’autel. A midi sonnant, quatre prêtres, tournés vers les quatre points cardinaux, comla messe, puis prononceraient en même temps la formule du serment civique.
Aucune place n’était réservée officiellement au District et au Département. Ce dernier demanda des explications, la municipalité répondit que la fête était communale. On paret comme l’on ne pouvait s’entendre "sur le fond de la question", l’on résolut, "en la laissant indécise, avec réserve de tous droits, que les deux corps entoureraient chacun deux faces de l’autel qui, devant être parfaitement carré, ne présenterait ni droite, ni gauche."
Tout se fit comme il avait été convenu. "L’autel orné de chaque côté d’inscriptions qui exprimaient les voeux adressés à l’Être suprême pour la conservation de la nation, de la loi et du roi, surmonté d’une renommée qui annonçait cette sainte fédération," était assez haut pour que la foule pût suivre les cérémonies des quatre messes, entendre les orateuret les acclamer.
"Après les messes, dit le rapporteur municipal, quatre ministres s’étant tournés vers l’asseée à chaque horizon, M. l’abbé Mathieu a expliqué avec autant de zèle que d’énergie, l'étendue et la sainteté de cet engagement ; la formule du serment a été lue à la fois à chaque face et un seul cri : Je le jure, proé par toute l’assemblée s’est fait entenLes soldats citoyens, les citoyens soltous les membres de l’assemblée élevaient leurs chapeaux pour témoigner d’une manière sensible de la joie dont ils étaient animés. M. Arnaud, aumônier de la garde nationale, a prononcé ensuite un discours ; et les quatre ministres mêlant leurs voix à celles du peuple ont terminé la cérémonie en chanle verset du psaume Exaudiat avec les légères variantes : Domine saloam fac gentem, légem. Saloum fac regem. "
Les membres patriotes du District et du Déparavaient vu avec peine que M. de Montdéputé de la noblesse, de passage à Perse trouvât à la droite du maire. Déjà en effet tout prêtre ou tout noble qui n’affichait pas de l’enthousiasme pour la Révolution passait pour aristocrate, et devenait suspect. On l’accusait d'intriguer à l'étranger et de préparer l'endu territoire.

La légende d'une invasion espagnole et d'un complot contre-révolution
Cette légende, dont nous suivrons les phases dans cette histoire, a déjà pris corps à cette époque. En voici les premières manifesta
Le 20 juillet arrivait à l'adresse du conseil municipal une lettre de la municipalité de la ville de Cette annonçant mystérieusement qu'un mouvement de troupes avait lieu en Catalogne et que les Espagnols préparaient l'invasion du territoire d'accord avec les contre-révolutionnaires. Le commandant des troupes, M. de Chollet, secrèteconsulté, ayant déclaré que tout cela était inexact, l'on avait résolu de faire le silence sur "cette nouvelle qui pourrait causer une a fausse alarme," lorsqu'on apprit qu'elle se répandait dans la ville. La municipalité de la ville de Cette avait en même temps prévenu le club patriotiet celui-ci l'avait ébruitée.
En même temps le bruit courut en ville, parti du bureau de poste, qu'un religieux espagnol, dont nul ne pouvait donner le signalement, avait traversé Perpignan et qu'il tenait d'un français établi depuis quelques années à Figuères … "qu'on transportait des provisions de bouche, du fumier pour les chevaux, dix charrettes de bombes, bales et boulets ; que l'avantgarde de deux régiments de 1.200 hommes chacun était déjà arrivée à Figuères... et a qu'on se proposait de faire passer des troupes du côté d'Urgel." Et sans plus contrôler la lettre de Cette que le dire du prétendu relile peuple cria à la trahison et la garde nationale réclama de nouveaux fusils.

Nouvel armement de la garde nationale.
Dans l'état de surexcitation où se trouvent les esprits, les cris à la trahison s'expliquent. L'on s'expliquerait moins, la demande de la garde nationale, si l'on se fiait complètement aux documents officiels déjà publiés. Le Marquis d'Aguilar et les consuls n'ont-ils pas, en juillet et août 1789, mis sur un pied respectable le bataillon des volontaires ? Et en mars 1790 la municipalité n'a-t-elle pas voulu l'organiser sérieusement en demandant 1732 fusils à M. de Chollet et en réglant le nombre de leurs compade leurs hommes et de leurs officiers ?
Hélas ! en ces temps d'anarchie, les projets abondent. On commence parfois à les exécuter, puis tout s'arrête. Nous ne savons pourquoi et comment, jusqu'à ce qu'un jour, sous la pression des événements, l'on s'aperçoive que rien n'a été fait ou que tout est à refaire.'est ce qui se produisit en juillet 1790. Les gardes nationaux croyant la ville sur le point d'être envahie se comptèrent : d'après l'état offidu 22 juin précédent ils étaient 1104, réparen 16 compagnies, en nombre d'hommes fort inégal. Les 1732 fusils demandés, accordés par M. de Chollet, n'avaient pas été tirés du dépôt d'artillerie et l'on avait pour tout armement ceux qui avaient été distribués en 1789 : 413 le 27 juillet par les consuls, 23 le même jour par un sieur Olivier, 36 le lendemain par M. d'Agui 40 le 29 juillet par MM. Jaubert et Boquet, 23 le 30 par M. Grenier, 284 le 19 octobre  par les consuls et 235 par les mêmes le 10 no: total 1056 fusils. Comme 36 avaient été rendus au dépôt d’artillerie, il n’en restait que 1020, soit prés de 300 en moins que ne l’exigeait le chiffre officiel des volontaires. 300 fusils, 400 au maximum, auraient suffi. Pour calmer l’effervescence de la garde natiola municipalité réclama les 1732 fusils qui auraient dû être remis en mars précédent, les obtint le 2 août et les confia au commandant en chef, le comte de Ros.
Si jamais distribution semblait aisée, c’était bien celle-là. Ces armes, jointes à celles qui avaient été accordées en 1789, s’élevaient à 2752, pour un effectif de 1300 hommes à peine. Et cependant le 7 août les plaintes recommencèpreuve évidente que le désordre régnait aussi bien dans les administrations que dans les esprits.

Troubles lors du départ du régiment de Touraine.
On ne le constata que trop à propos d’une circonstance qui en d’autres temps fût passée inaperçue. Il était d’usage avant la Révolution de déplacer fréquemment les corps de troupe ; en août, le ministre ordonna au régiment de Touraine de se tenir prêt à partir pour Montauet annonça que, quelques jours après son départ, le régiment de Languedoc le rempla
Le régiment de Touraine était patriote, celui de Languedoc passait pour hostile à la Révolution : les patriotes touhantés par l’idée d’une invasion prochaine, virent dans cet ordre les preuves d’un complot contre les révolutionnaires et se plaignirent. Les royalistes ripostèrent. Des propos l’on passa aux menaces. Des coups de feu ayant été tirés penla nuit à plusieurs reprises et dans plusieurs quartiers, la municipalité rappela les esprits au calme dans son arrêté du 6 août et prohiba toute réunion séditieuse.
En dépit de l’arrêté, les patriotes affolés vinrent en nombre le 13 août au Directoire du département réclamer un ordre de sursis au départ du régiment de Touraine, jusqu’à l’arrivée des troupes nouvelles, sous prétexte qu’il fallait se tenir prêt à repousser toute invasion et pouvoiren imposer à des excès regrettables." Quelque favorable qu’il fût aux patriotes, le Directoire n’agréa point leur demande, et l’agitatrecommença.
La municipalité ne sévit point, peut-être pour ne pas exaspérer ceux qu’elle savait épier tout acte et lui prêter des arrière-pensées de contre-révolution. Une note sèche du Directoire rappela au devoir. Elle l’invitait "à redoude zèle et de vigilance pour le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique" et lui rappelait, comme si elle n’avait rien fait jusqu’à cette heure que "d’après les décrets, toute négligence de sa part, dans un moment aussi critique, la rendrait personnellement responsable de la suite des événements que le Directoire redoute et qu’il est prudent de prévenir."

Retour au calme.
La municipalité reprit donc de plus fort son arrêté du 6 août et le précisa : prohibant les réunions et les promenades par groupe de plus de 4 personnes à partir de 10 heures du soir, les chansons ou les propos injurieux à n’importe quelle heure, la fermeture des cabarets et des auberges à partir de 10 heures, le tout sous des peines diverses, de 20 à 50 livres, parfois même de prison.
Ces mesures sévères ramenèrent le calme et une note de M. de Chollet nous apprend que le régiment de Touraine partit le 16 août dans le plus grand ordre. Les patriotes l’avaient vu s’éloigner les larmes aux yeux ; leurs regrets duraient encore le 14 octobre suivant. Voici la lettre que le Comité des Amis de la Constituadressait à cette époque aux frères de Monoù se trouvait le régiment de Touraine.
"Il fut pour nous des jours alarmants, des circonstances critiques ; nous avons sans doute peu de gloire à n’y avoir pas succombé, nous étions alors sous l’égide qui vous protège et vous rassure en ce moment. Le régiment de Touraine sera partout la sauvegarde des bons citoyens et l’effroi du crime et de la malveillance ; c’est peu que de connaître sa valeur, sa loyauté, son incorruptibilité, ces qualités communes à tous les soldats français ; mais qu’au milieu de l’effervescence du patrioet dans l’espèce d’indiscipline qu’il a peut-être nécessitée, cette ardente jeunesse ait conservé des mœurs pures, une conduite qui honorerait le citoyen le plus sage et marquel’époque la plus heureuse d’un empire parfaitement organisé. Voilà ce que la postéé aura peine à croire ; voilà la double couronne qu’elle doit à ces braves militaires.
Parlez-leur quelquefois, Messieurs, de la reconnaissance et de l’amour fraternel des citoyens patriotes de Perpignan ; dites-leur que nos regrets n’ont pu être adoucis que par la pensée que vos malheurs allaient avoir un terme, que Touraine était le gage de votre tranquillité et le prix de vos travaux. En perd’ailleurs des amis, qui nous seront touchers, nous ne restions pas sans appui et nous saisissons avec plaisir cette occasion de rendre à nos frères du régiment de Verla justice que nous devons à leurs vertus civiles et militaires. Ce régiment a, comme Touraine, des droits à notre admiration et à notre éternelle gratitude."
II en avait d’autant plus, qu’il restait seul pour les protéger contre les Espagnols et les contre-révolutionnaires. Au moment en effet où M. de Chollet venait de prendre ses dispositions pour le cantonnement des troupes attendues : le 1 bataillon de Languedoc à Collioure, le 2 et une compagnie de chasseurs des Vosges à Villeet à Mont Louis, les autres chasseurs à la caserne Saint-Jacques, l’on avait reçu une lettre du ministre de la guerre annonçant que le régiment de Languedoc viendrait plus tard.
"On n’a, écrit le Département le 25 août, que deux régiments qui ne forment ensemble que trois bataillons fort incomplets ; la ville n’a pour garnison que celui de Vermandois, très affaibli par les détachements qu’il fournit à la Citadelle, à Mont-Louis et à Saint-Laurent-de-Cerdans. " Et, le 27 septembre, le comité des Amis de la Constitution déclare que la ville comptait "300 hommes de garnison tout au plus."Les patriotes en conclurent l’existence d’un complot, et la légende d’une invasion prochaine passa chez la plupart à l’état de dogme.


CHAPITREX
Les clubs rivaux

Août à novembre 1790

Les deux clubs patriotes : les Amis de la Constitution et les Amis de la liberté et de la loi.
Les patriotes redoutaient davantage les adverintérieurs de la Révolution. "Supposé que les ennemis du dehors ne soient pas à craindre, écrivent-ils le 27 septembre à !’Assemblée nationale, nos ennemis domestic’est-à-dire ceux de la Révolution, malheureusement trop nombreux en cette ville, imposent la nécessité de se tenir toujours sur ses gardes."
Ils l’étaient d’autant plus qu’ils venaient de se diviser. Depuis le mois de janvier la Société patriotique tenait ses séances dans une des salles de la Monnaie, rayonnait dans toute la province, surveillant partout ses adversaires. A une époque que nous pouvons préciser, la vieille assemblée patriotique se dispersa et, à sa place, se fondèrent deux sociétés : l’une appelée La Société des Amis de la Constitution ; l’autre La Société des Amis de la liberté et de la loi.
Cette dernière avait à sa tète deux prêtres, l’abbé Chambon et l’abbé Brial. Son local était dans le quartier Saint-Mathieu; sa sphère d’action s’étendait principalement sur les trade terre. Son but était de gagner les petites gens pour les rapprocher des bourgeois formant le principal noyau de la Société dés Amis de la Constitution. Aussi ne tarissaientpas d’éloges à l’égard des Amis de la liberté et de la loi.
"Dans le nombre des institutions utiles que l’esprit de paix a établies, écrivent-ils le 15 octobre, il en est une qu’il est de notre devoir de vous faire connaître ; elle a pris naissance dans notre ville et elle peut plus que toute autre assurer le bonheur de nos concitoyens en assurant la Constitution. Deux prêtres, du nombre de ceux qui placent leur intérêt dans celui de la chose publique, persuadés que faire descendre la vérité dans le cœur du peuple était le moyen le plus sûr de l’attacher aux nouvelles lois, se sont charés de l’honorable tâche de traduire en idiome vulgaire et d’expliquer les décrets de l’Assemblée nationale. Pour faire davantage fructifier leur travail, ils ont érigé leur école en société patriotique ; ils ont fait des règlements, des lois de police, ils ont jeté les fleurs de l’égalité au milieu des épines de l’instruction, et la précieuse classe des agriculteurs, qu’on tâche d'égarer par le mensonge, connaîtra dorénavant ses droits et ses devoirs et bénira les ministres d’un Dieu de paix qui leur auront enseigné la Loi et la soumission à la Loi."
La Société des Amis de la Constitution continuait l'œuvre du Club patriotique, et, quoi’elle eût changé de nom, elle comptait les mêmes membres, se proposait la même fin, combattre l’ancien régime et asseoir définitivement l'œuvre de la Révolution. Profitant des lois libérales de l’Assemblée nationale sur là formation des associations politiques, elle s’était solidement organisée, louant dans la rue Fontfroide, non loin de l’hôtel du Petit Paris et sur 1e côté opposé, un vaste local pour y tenir ses séances, fixant le jour et les heures de ses réunions, s’affiliant aux sociétés patriotiques des autres villes de France, correspondant prinavec les Jacobins de Paris qui lui envoyaient journaux, adresses et motions révo enfin mettant à sa tète un Comité de direction, dont le procureur général syndic Lucia, était le président, M. Jué négociant le secrétaire, M.M. Bouron Berniole et Siau les principaux membres.
La lettre suivante du 19 août adressée à la société patriotique de Tours nous expose leurs projets et leurs espérances. "Les membres de la société des Amis de la Constitution,  connue ci-devant sous le nom de Société patriotique, acceptent avec reconnaissance la correspondance qui leur est proposée, par les membres de la Société patriotique de Tours. Ils sentent plus vivement que personne la nécessité d’une fédération générale entre tous  les amis de la liberté. En bute depuis leur existence à tous les efforts, à tous les préés de l’aristocratie, ils ont jusqu’ici déjoué tous ses projets, prévenu tous ses desseins; en vain a-t-on cherché à armer contre eux le peuple, qu’il est si aisé d’égarer sur ses intéêts; leur conduite soutenue a ouvert les yeux de la multitude, elle a vu le piège et s’est empressée de se ranger sous les drapeaux de  la justice. Malgré toute la vermine du Palais, dont regorge une ville parlementaire, malgré la tourbe militaire et privilégiée, la classe des hommes libres et dévoués à la Constitution augmente tous les jours. Nous ne nous servirons de notre force que pour contenir les méchants,  nous repousserons la calomnie par le civisme et leurs injures par des bienfaits."

Société des Amis de la paix
.
En face des Amis de la Constitution, la masse des royalistes qu’effrayaient les progrès de la révolution restait sans organisation, se contentant d’opposer parfois chansons à chanpamphlets à pamphlets, rarement menaces à menaces. Nous les avons vus un moment près à s’agiter lors de l’arrivée du vicomte de MiraA l’époque où nous sommes, vers la fin du mois d’août, après le départ du régiment de Touraine, les mêmes velléités se firent jour, s’il faut en croire les patriotes.
"A peine le régiment de Touraine fut-il éloigné de nos murs, écriront les Amis de la Constitution le 27 octobre, que ceux que ce brave régiment avait contenus, se livrèrent de nouveau à tous les excès... Ils parcourules rues pendant la nuit, menacèrent et insultèrent ceux qui respectent les nouvelles lois, vomissant des imprécations contre l’Asée nationale, et vouèrent les Démocrates à la lanterne. Mais le régiment de Vermanjustement indigné de ces entreprises se présenta pour y mettre fin et tous les turbuse cachèrent de nouveau. Mais ils ne perdirent pas l’espoir de recommencer et ils formèrent dès lors un plan qui pût leur assuplus de succès."
Ce plan, auquel ils auraient dû songer plus tôt, s’ils avaient eu l’intention de combattre résolument, était de se grouper en société. Ils y pensèrent vers la fin de septembre. En ce moment, la Constitution de la France suppritout ce qui tenait de l’ancien régime, magistrats et fonctionnaires, introduisant le schisme dans le  clergé sous prétexte de réforles abus, venait d’être votée et allait être sanctionnée par le Roi après de longues hésitaLe nombre des mécontents était consiérable dans les rangs de la noblesse, de la mades anciens fonctionnaires, du clergé et du peuple attaché à la religion de ses pères.Quelques royalistes ardents, le marquis de Montferrer, alors dans notre ville, M.M. Blay, de Maison Rouge, Parron, Royer, etc., s'abouchèlouèrent la maison Bonnet, sise rue Fonthôtel actuel du Petit Paris, commencèrent l'aménagement du local, dressèrent les statuts d'une association politique, lui donnèrent le nom de Société des Amis de la paix, lancèrent des prospectus et recueillirent des adhésions. La première réunion de la société devait se tenir dans un mois, le 26 octobre, soit dans les salles de la maison Bonnet, soit dans celles beaucoup plus vastes que les Cordeliers avaient mises à leur disposition.
"Ils ont fait courir depuis un mois, écrivent les Amis de la Constitution le 27 octobre, des souscriptions pour l'établissement d'une « société, qui, sous le titre dérisoire d'Amis de la paix, doit réunir dans son sein tout ce qui s'est montré ennemi et détracteur de l'Assemblée nationale. Là ont apposé leurs signatures des prêtres, des ci-devant nobles, des magistrats de l'Ancien régime ; là, sous prétexte que la religion est perdue on a fait souscrire un grand nombre de personnes dont on égare l'opinion et qui ne pêchent que par ignorance."
Le recrutement commença dans le calme. Les élections qui reflètent d'ordinaire les mouvede l'opinion publique sont caractéristiques à ce point de vue. L'on voit, en effet, les 5 et 6 octobre, les électeurs du district de Perpignan se réunir, une cinquantaine environ, choisir comme juges du Tribunal civil de première instance, destiné à remplacer le Conseil souvedes catholiques comme MM. Jaume, Marigo-Vaquer et Pellissier ; et, sur leur refus, nommer, au dire de M. Jaume dans ses Mémoi"des gens probes, honnêtes, vertueux, ne désirant et ne faisant que le bien commun et général : " MM. Gispert-Dulçat, Dômenech, Vergés aîné, Vilar-Ilatns et Bellassera.
Mais peu après arriva M. de Coma-Serra, député de la noblesse, apportant la nouvelle que les Parisiens avaient envahi Versailles, que la reine avait dû se cacher pour échapper aux fureurs de la foule, que la famille royale était prisonnière aux Tuileries. II n'en fallait pas tant pour réveiller les passions.

Troubles d'octobre.
Les documents concernant cette période qui nous ont été conservés sont tous rédigés par des patriotes. D'après les Amis de la Constitution, "on fêta la venue de M. Coma-Serra, par une sérénade qui n'était que la répétition de celle qui fut faite au sieur Riquetti junior, lors du fameux enlèvement des cravates ; mêmes chansons, même appareil de flambeaux, mêmes acclamations, mêmes insultes aux patriotes." Une adresse du patriote Birotteau à la municipalité porte qu'il entendit crier "Vivent les aristocrates ! Vice le Roy ! Au diable la Nation ! M... à l'Assemblée Nationale."
Nous avons trouvé à Paris les vers suivants comme ayant été affichés sur les murs de l'Hôtel de Ville :
"Un intendant aussi putacin que prudent
A cédé à l’infâme et suborneur Département,
Suivi de Biroteau aussi fripon que potent.
D’un Fabre, d’un Siau aussi voleur que violent.
Avec le sieur Muxart aussi fat qu’ignorant,
Mailhat, Guiter, Dastros ne font qu’un seul président.
Le District son pareil est un f... ignorant,
Le Club pour toujours servir de développement:
Et tous ceux-ci dénommés ne sont qu’un guet à pans
."

Un incident sur lequel la lumière n’a jamais été faite clôtura cette agitation. Dans la nuit du 20 octobre, Isidore Muxart, patriote ardent, membre du Conseil du département, montait la garde prés de la porte de la mairie, close aujourd’hui, donnant sur la Barre. II tira un coup de fusil ; un rassemblement se forma ; Muxart prétendit avoir riposté à un coup de pierre ; la foule déclara n’avoir rien vu ; la municipalité ouvrit une enquête.
Les patriotes crièrent aussitôt à la partialité, clamant partout que si la municipalité sévissait avec si peu de rigueur c’est que Muxart était patriote, opposant à cette attitude celle qu’elle tenait vis-à-vis des aristocrates.
Sans se départir de son calme et de son impartialité, la municipalité porta le 21 octobre un nouvel arrêté défendant à tous les citoyens "de se traiter d’aristocrates et de démocrates", ordonna des patrouilles nocturnes, fit appeler les capitaines des compagnies des gardes nationaleur ordonna de convoquer leurs hommes et de leur recommander le calme. Et alors, comme par enchantement, l’ordre régna dans la rue. Il survenait fort à propos.

La Constitution civile du clergé.
Au milieu de ce déchaînement des passions politiques, les autorités départementales avaient reçu le texte de la Constitution civile du clergé, l’avaient fait imprien avaient adressé un exemplaire aux curés de la ville pour qu’ils en donnassent lecture au prône de la messe paroissiale, ainsi qu’ils avaient l’habitude de le faire pour toutes les lois. Pour tout esprit non prévenu la Constitution civile du clergé était schismatique ; un prêtre fidèle à sa conscience ne pouvait donc la prodimanche 24 octobre aucun curé ne prola Constitution civile du clergé ; l’abbé Barrizain, curé de la cathédrale, alla même jusqu'à se permettre quelques attaques. "L’église fut remplie de monde, écrivent les patriotes le 27 octobre, d’après l’annonce d’un sermon que devait débiter M. le curé. Ce prêtre, au lieu de publier le décret de l’Assemblée nationale sur le clergé, ainsi qu’il devait le faire, fit un long discours dans lequel ses sentiments ne peuvent être directement attaqués, puisqu’il les a toujours couverts du voile de l’Évangile, mais l’abus le plus condamnable de ce texte sacré, c’est de s’en faire un bouclier contre les reproches qu’on mérite, c’est d’en donner un caractère ambigu dans lequel on insinue la résistance à la loi sous le prétexte de la soumission évangélique. C’est ainsi, par exemple, qu’eu parlant du serment civique le pasteur affectait l’attendrissement le plus profond. Les yeux et les bras levés vers le ciel, il disait à ses auditeurs : Oui, faites le serment mais à la nation céleste, à la Loi évangélique, mais au Roy des Rois. C’est ainsi que par une maligne application de quelques passages, il s’écriait. Vos ennemis qui vous dépouillent  sont aussi puissants qu’acharnés."
Furieux de ces insinuations; le procureurgénéral syndic Lucia demanda compte de cette attitude au procureur de la commune, M. MarigoVaquer, chargé de la police municipale. "J’ai vu M.M. les quatre curés de cette ville, répondit ce dernier !  25 octobre, et je n’en ai trouvé aucun qui fut réfractaire aux décrets de l’Assemblée nationale sanctionnés par le roi. Tous m’ont répondu qu’ils n’avaient jamais refusé et qu’ils ne refusent pas de publier au prône aucun décret sans exception.
Comme ce n’est que pour constater un refus que la loi m’ordonne de faire dresser des procès-verbaux, j’ai cru dans l’état des choses qu’il n’y avait pas lieu de suivre cette voie rigoureuse.
L’officier chargé de l’exécution de vos ordres,
déclarait plus tard Lucia au Départe, eût dû faire sa réquisition à M.M. les curés, dresser procès-verbal de leur acceptation ou de leur refus. Il eût dû surtout enjoindre à M.M. les curés de publier, le dimanche suiun décret qui leur était remis depuis six jours. M. le procureur de la commune est donc convaincu de négligence et de désoéissante et vous verrez le résultat de sa double politique."
Le résultat avait été que le dimanche suivant, 31 octobre, aucun curé n’avait publié la conscivile du clergé. Lucia était allé lui à la cathédrale pour constater le fait, et au lieu de la lecture attendue qu'il avait dû subir, au milieu des sourires de l’auditoire, "l’âme déchirée de l’indignation à son comble", un nouveau sermon de l’abbé Barrizin, plein de sous-entendus malicieux contre les décrets de l'Assemblée nationale.
"Il a appliqué, racontait-il à ses collègues, à ce qu’il appelle les ennemis du clergé, ce mot sublime de Jésus-Christ à son Père, lorsétait environné de ses bourreaux : Pardonnez-leur Seigneur car ils ne savent ce qu'ils font... Ma mémoire trop ingrate ne saurait se rappeler tout ce que ce discours contient de répréhensible ; je devrais presque, Messieurs, en citer la totalité, je me bornerai à retracer les maximes favorites de l’orateur. On ne doit obéir aux lois qu’autant qu'on les reconnaît justes. Les lois de l’Église sont au-dessus des lois des souverains. On ne saurait obéir à celles-ci quand elles sont en oppoavec les premières."
Le Directoire du département aurait voulu tenir en main la preuve écrite de propos que Lucia appelait "ce que le fanatisme n'inspira jamais de plus incendiaire." II dépêcha son secrétaire chez M. Barrizin qui, naturellement, ne remit rien. "Il a répondu, déclara le secrétaire, qu’il ne pouvait satisfaire le Directoire à cet égard, attendu qu’il n’avait fait que transcrire ; sur des chiffons de papier quelques idées qui l’ont dirigé sur ce qu’il a débité en chaire qu’au surplus il n’a rien dit qui ne fût conforme aux textes sacrés, qu’il a annoncé que les lois divines sont plus anciennes que les lois humaines, qu’il ne faut obéir à celles-ci contre les sentiments et le cri de sa conscience, mais que jamais il n’y faut opposer la force."

Société des Amis de la Paix.
Comprenant que l’heure de la lutte suprême approchait, les royalistes et les catholiques s’étaient réunis, le 26 octobre, dans le couvent des Cordeliers et avaient définitivement fondé une Société de résistance aux projets de la Révolution contre ce qu’ils avaient de plus cher : Dieu et le Roi. Ils avaient pris le nom d’Amis de la Paix et avaient décidé de se retrouver au plus tôt dans les salles de la maison Bonnet, rue Fontfroide."La séance était très nombreuse, écrivaient le lendemain les Amis de la Constitution. La réussite de ces projets est préparée depuis quelques jours par une infinité de moyens coïncidents. Des gens d’église parlent de schisme, de sacrilèges, de protestantisme, ils vouent au démon ceux qui achèteraient les biens du clergé. On retarde la publication des décrets de l’assemblée au prône - on met des placards incendiaires contre les Directoires de département et de district ; on fait des sornocturnes où les acclamations sont toudes blasphèmes contre vos décrets... Au milieu d’un danger aussi menaçant, que fait la municipalité ? Ici, Messieurs, nous ne vous vous dissimuler notre douleur proet pour nous en tenir à l’historique des faits, nous vous dirons qu’elle fit une proclapour la tranquillité publique à la réquisition du Département portant peine contre les infracteurs ; qu’elle a fait répéter sa proclamation lorsqu’on l’a bravée et que le lendemain de la sérénade menaçante ou, pour mieux dire, de cette espèce d’appel à la rébellion, elle fit encore publier sa proclamation comme si ce n’était pas énerver la loi que de la reproduire inachevée dans la circonstance même de l’infraction."
Et le jour même les Amis de la Constitution écrivaient aux députés du Tiers, en leur envoyant leur Adresse à l’Assemblée nationale" ; Nous ne nous étendons pas en reproches sur le compte de notre municipalité, c’est le cas d’être circonspect."

CHAPITRE XII
La dispersion de la Société des Amis de la paix
Novembre décembre 1790

L'incident de la remise des procès-verbaux.
Cette suspension des élections, à la suite d'une pétition de citoyens qui avaient mis des entraves aux opérations, indigna profondément les sections de Saint-Jean, de Saint-Jacques et d¢ la Réal. Beaucoup d’électeurs crurent à un guet-apens, et c’est dans cette persuasion que leurs délégués parurent au District et au Dépar pour faire la remise des procès-verbaux.
Ce qui se passa à leur arrivée, il est difficile de l’établir. De l’enquête judiciaire conservée aux Archives nationales il résulte qu’un seul délégué de la Réal, M. Ducup, ancien lieutenant de la capitainerie générale, aurait tenu des proinsolents. Les témoins ne s’entendaient pas encore à ce sujet. D’après M.M. Moynier et Escanyé (Sébastien né à Mosset, Membre du Directoire du Département de 1790 à 1791), il aurait dit : "Il faut f.. , le Départepar la fenêtre."
Suivant Gabriel Palenquin "Que font là-dedans ces f... coquins, ils ont fait plus de friponneries en six mois que Poyedevant dans toute sa vie."
Lucia déclara que Gelis était assuré avoir entendu Vergés assurer que Ducup avait réellement tenu de pareils propos. Girone se contenta de déposer qu’il l’avait vu "portant un chapeau rabattu, regardant avec un air furieux tous les membres du Départejurant et sacrant entre ses dents."

Appels du Département aux troupes et aux gardes nationaux patriotiques.
Le Département cria à l’insulte, se déclara menacé et demanda des grenadiers à M. de Chollet, prétextant qu’il ne pouvait se confier à la garde nationale en majorité favorable à la municipalité. C’était indirectement en appeler aux patriotes. L’on vit alors la garde nationale se diviser. Tandis que 11 compagnies protestède leur dévouement à la municipalité, surcelles de Jaume, notaire, de Jaume-Marcé, de Costa et d’Aguilar, des députations des compagnies Mailhat, Dastros, Birotteau, Serane (le successeur de Guiter), Gros et Tirolet vinrent auprès du Département pour l’assurer de leurs services.
Pendant ce temps les pétitions pleuvaient au District et au Département, les unes de la section Saint-Mathieu, les autres des sections opposanau milieu desquelles il est malaisé de se reconnaître.

Les réponses de la municipalité aux plaintes électorales.
Le 27 novembre les sections Saint-Jean, Saint-Jacques et la Réal demandent de terminer l’enquête au plus vite et le Département les autorise à produire les témoins et les oblige, ainsi que la section Saint Mathieu, à déposer dans les 24 h. "leurs verbaux respectifs en original au secrétariat du District." Mais la section Saint-Mathieu obtient peu après "un sursis", sous prétexte qu’elle n’a pas encore réuni les pièces.
Le 1 décembre, nouvelles plaintes des sections Saint-Jean, de Saint-Jacques et de la Réal réclamant contre le sursis qui se prolonge indéfiniment, opposant des fins de non procéder aux réclamations de leurs adversaires, deman"qu’on ne permît pas que les parties se constituassent en frais avant de décider si les citoyens actifs étaient recevables dans l'opposition qu’ils avaient formée." Mais le Directoire les déboute de leurs plaintes et le lendemain 2 décembre accueille favorablement une requête des citoyens de Saint-Mathieu exigeant le maintien du sursis.
Nouvelles décisions dans ce sens les 3 et 4 décembre du District et du Département, qui paraissent avoir oublié leur résolution première de régler l’affaire "dans le plus bref délai possible."
Ce ne sont pas les seules. Dans l’intervalle on a joint au dossier une requête de 34 électeurs du faubourg se plaignant de n’avoir pas été convoés par criées publiques, et la réponse de la municipalité constatant :
- 1° qu’en droit elle n’était pas tenue à les faire, les habitants du faubourg n’étant pas habitants de Perpignan et l’usage existant de ne jamais les convoquer aux réunions publiques.
- 2° qu’en fait, elle s’était montrée conciliante et avait ordonné aux crieurs publics de ne pas oublier le faubourg.
On devine quelle agitation ces requêtes et ces contre requêtes avaient provoquée dans toute la ville ; les autorités départementales l’aggravèrent par deux mesures violentes : la suppression des communautés ecclésiastiques et la mise en vente des biens du clergé.

La suppressoin des communautés ecclésiastiques.
L’arrêté prohibant toute cérémonie en corps des chapitres et des communautés de la ville est du 24 novembre 1790 ; il fut signifié ce jour-là par exploit d’huissier. " ... La loi défendant le port du costume... ayant été affichée à Perpile 20 octobre dernier, depuis cette époque de la suppression des titres et offices les eccléne peuvent plus ni prendre dans les actes civils leurs anciennes qualités, ni porter dans l’église les marques caractéristiques des anciens corps, ni remplir de préférence aux autres ecclésiastiques qui résident avec eux aucune fonction de prééminence."
Un second arrêté porté sur requête de l’abbé Chambon déclara, le 30 novembre, qu’il n’y pouvait "y avoir nulle différence dans les répartitions à raison des absences ou présences des prêtres" et un troisième, le lendemain, supprima « les registres de pointes" qui servaient à noter les présences.

Les premières ventes révolutionnaires.
Dans l’intervalle avait eu lieu la première vente révolutionnaire. Le Directoire du District avait bien voulu commencer plus tôt : dés le 22 septembre il s’occupait des moyens de faciliter la vente ; le 2 octobre, M.M. Donat et Lazerme ayant refusé la qualité d’experts comme ne possédant pas "les capacités nécessaires", il en avait nommé d’autres. Le 12 octobre, il avait pu procéder aux premières enchères, mais quelque pressé qu’il fût, il avait dû attendre des acquéreurs.
"M.M. Frigola et Massot, officiers municipaux, commissaires nommés par la municipalité, porte le procès-verbal du 27 novem1790, à l’effet d’assister à l’adjudication des biens nationaux, ont pris séance et les trois feux ayant été allumés sans qu’aucun enchérisseur se soit présenté, l’adjudication a  été faite à M. Dastros, soumissionnaire, pour la somme de 11.000 livres."
Il s’agissait de la métairie dite "den Roma" près de la route d’Espagne, appartenant aux prêtres de Saint-Jean. Le surlendemain, 29 novembre, le procureur générai syndic Lucia soumissionna et acheta sans concurrence pour 9310 livres, un jardin des prêtres de Saint-Jacques situé au Vernet. Les deux acquéreurs, patriotesavaient voulu donner l’exemple tout en faisant une excellente opération. Comme on ne se pressait pas de les imiter, les ventes furent suspendues.

La fameuse nuit historique du 5 décembre : Assaut et pillage du local des Amis de la paix.
L’on arriva ainsi, au milieu de l’agitation la plus vive provoquée par toutes ces mesures et grossie par des calomnies dont la municipalité se plaignait le 29 novembre à Mgr d’Esponchez, au dimanche 5 décembre. Ce jour-là, il y avait fête au quartier Saint-Mathieu en l’honneur de sainte Barbe et de la confrérie de ce nom. De plus on devait tenir au club des Amis de la Constitution une grande réunion ; l’ordre du jour annonçait que Fabre, secrétaire du Département, donnerait lecture de Réflexions sur l’adresse de la Société des Amis de la Paix à l’Assemblée nationale et que les membres seraient invités à les revêtir de leur signature.
A une heure de l’après-midi, la municipalité en permanence à l’Hôtel de ville envoyait au commandant de la garde nationale le billet sui:
"La municipalité qui vient d’être informée que plusieurs compagnies de la garde natioont formé le projet de faire des farancet après-midi, ce qui est contraire aux décrets de l’Assemblée nationale, sanctionnés par le Roi, qui prohibent tout attroupement sous quelque prétexte que ce soit, requiert M. le commandant de s’y opposer, et le laisse responsable des événements."
Un grand vent, un de ces vents du Nord si fréquents à cette époque dans notre pays, soufen tempête. Vers les 9 heures du soir, au moment où presque tout le monde s’était retiré chez soi, éclata une émeute pareille à celle des mauvais jours de juillet précédent. Suivons les incidents du drame, opposant les assertions des deux parties.
Aucun historien patriote ne parle de la réutenue par les clubistes, de leur nombre, de la nature des motions qui eurent lien ; nous savons cependant que Fabre lut un violent réquisitoire contre les Amis de la paix et qu’il fut signé par tous les membres. On y parla des dangers que couraient les patriotes, à Perpignan comme à Paris, et on lut l’adresse à Lameth par le Comité de la Société, M.M. Llucia, Jué, Bourou, Berniole, Siau, dans laquelle on criait vengeance contre les aristocrates. "Que le reste impur du gouvernement féodal s’ensevelisse avec les débris entassés de cet édifice gothique ! Un peuple libre ne doit avoir que des vertus. La France régénérée  n’aura plus que des citoyens. Celui qui versera son sang pour une autre cause que celle de sa patrie doit à l’avenir être infâme."
Il est certain d’autre part que les Amis de la paix ne tinrent pas de réunion solennelle, qu’ils étaient moins de cent dans les diverses salles de la maison Bonnet, que la plupart jouaient au loto, comme il arrive souvent de nos jours encore dans les cafés et dans les cercles pendant le mois de décembre.
D’après le rapport de Lucia au Département une troupe d’adversaires passa en silence devant la maison des Amis de la paix, un coup de feu partit d’une fenêtre et blessa un nommé Gilis à la jambe. L’enquête judiciaire établit que la bande patriote chantait, qu’une rixe suivit, qu’un nommé Foucard tira alors d’une fenêtre et que la bande se dispersa.
Peu après M. Picas, membre des Amis de la paix, traversa la rue Fontfroide, monta au club, en redescendit presque aussitôt. A peine était-il dehors qu’un coup de feu partit cette fois du local des Amis de la Constitution et le blessa à la cuisse.
Alors les événements se précipitèrent. En un instant la place d’Armes était pleine de patriotes, gens du peuple et gardes nationaux. Suivant l’historien des Amis de la Constitution, l’on courut chercher le maire qui vint en se faisant prier et se retira sans avoir "rien fait." M. Jaume prétend au contraire dans ses Mémoires que la municipalité essaya de calmer les clubistes exaltés.
Fort probablement toute intervention morale était déjà inutile ; la foule se ruait contre la porte du local des Amis de la Paix. Un second coup de feu ayant blessé un des assaillants, M. Courl’assaut redoubla. On aurait perdu beaucoup de temps en efforts stériles, si d’après la tradiun nommé Torreilles, entrepreneur de tran’avait traîné avec ses camarades un canon oublié à l’Esplanade, ne l’avait chargé de grosses pierres et n’avait ainsi enfoncé la porte.
Ce qui se passa, l’auteur patriote du "Précis historique" le rapporte en quelques mots, disant que la maison fut pillée, que 85 personnes furent arrêtées, conduites à la Citadelle au milieu du plus grand calme. Toute la colère du peuple, dit-il, tombée en apercevant le portrait de Louis XVI, "ce bon prince si cher à tous les Français depuis qu’il n’est entouré que des vertus."
Les victimes crièrent plus tard au complot, firent valoir qu’elles jouaient innocemment au loto quand le siège commença, que le coupable était un exalté, le sieur Foucard, enfin qu’elles avaient dû subir mille outrages avant leur arrestation et pendant qu’on les conduisait à la citadelle. L’auteur du Tableau historique écrien 1793, à une époque où il n’avait aucun intérêt à taire la vérité, l’avoua sans ambages :
"Cette corporation monstrueuse connue sous le nom des Amis de la Paix... faisait tous les jours de nouveaux progrès ; elle dominait dans les assemblées primaires et les administra; elle menaçait enfin les patriotes d’une ruine prochaine, et il est certain qu’on aurait vu la révolte du camp de Jalés, embraser beaucoup plus de départements et se former longtemps avant, si les patriotes de Perpignan se fussent hâtés de renverser l’édifice comé par cette réunion d’aristocrates."

Le lendemain du 5 décembre.
Le lendemain de cette nuit historique les patriotes s’assemblaient et, après force ovations aux orateurs célébrant leur victoire, décidaient la rédaction d'une triple Adresse : l’une aux sociétés affiliées du département, l’autre à l’Assemblée nationale, la troisième aux autorités locales.

La première, envoyée le 8 décembre à Vinça, Mont-Louis, Estagel, Latour, Thuir et Collioure, remerciait les habitants de leurs sympathies et les rassurait. "Chers citoyens, la société des Amis de la Constitution, ne saurait assez vous exprimer combien elle est sensible à l’intérêt que vous avez pris aux dangers que ses mêmes membres ont courus ; elle reconnaît dans votre démarche les sentiments patriotiques qui vous animent. Si elle gémit depuis longtemps sur les erreurs de quelques habitants de cette ville, les preuves d’attachement qu’elle a reçues de toutes parts sont pour elle une consolation bien précieuse... Elle a lieu d’espérer que la paix qu’elle désire, les principes de justice, et de modération qu’elle professe ramèneront à ces sentiments tous ceux de ses concitoyens qui avaient été trompés..."

La seconde, adressée le 7 décembre à l’Assemblée nationale, dénonçait les prêtres comme les principaux instigateurs des troubles et réclamait de sévères mesures. " M.M. de toutes partsdes cris d’indignation se font entendre contre les criminelles oppositions d’une partie du ci-devant ordre du clergé à vos sages décrets qui les rappellent aux maximes de la primiÉglise. Ces hommes implacables dans leur vengeance et dans leur ambition, insenaux accents de la justice et de l’humanité, s’agitent audacieusement et, attisant le feu de la discorde, voudraient allumer la guerre civile... Nous nous réunissons pour vous supplier de prendre en considération s’il ne serait pas digne de votre sagesse d’accélérer la vente des biens nationaux... de hâter l'émission des assignats en remboursement de la dette exigible afin de forcer une grande partie des ennemis de la révolution de s’intéresser à la Constitution, et enfin d’obliger les évêques à organiser le clergé dans le plus court délai possible et déclarer vacant le siège de ceux de ces prêtres qui s’y opposeraient ou qui n'y apporteraient pas le zèle que la nation doit en attendre."

Démission du Marquis d'Aguilar le 14 décembre.
Si les patriotes ne se plaignaient point de la municipalité à l’Assemblée nationale, c’est qu’ils l'avaient dénoncée au Département dans une adresse rédigée par Birotteau et couverte de signatures.
"Messieurs, y disaient-ils, les soussignés ne manquant pas de preuves pour prouver l'inconduite de la municipalité de cette ville, depuis qu'elle est en place, vous prient, vu les circonstances auxquelles son insouciance, sa protection décidée pour les ennemis de la Constitution, la participation de quelques-uns de ses membres à plusieurs projets condamnaet plusieurs raisons inutiles et impossibles pour le moment à détailler, de suspendre la municipalité de ses fonctions et nommer provisoirement des commissaires pour la remplacer... »
Le Département jugea-t-il la mesure imprudente ? II se contenta de signifier à la municipalité qu’elle ne jouissait plus du prestige nécessaire pour le maintien de l’ordre et qu’il s’adjoindrait à elle pour les mesures à prendre. Car certains Amis de la paix revenus de leur émotion première reprenaient courage. Les chanoines de Monteils et de Balanda étaient venus demander la libération des prêtres détenus à la Citadelle, puis avaient paru le 7 décembre les deux députés de la noblesse,  M.M. de Montferrer et de Coma-Serra.
Le procès-verbal de la séance nous apprend qu’ils réclamèrent l’envoi de chirurgiens auprès des blessés, "alléguant que les détenus étaient traités de la manière la plus inhumaine," déclarant qu’ils seraient allés dénoncer eux-mêmes les faits à l’Assemblée nationale s’ils n’avaient été retenus par leurs affaires. Ils parèrent si haut qu’une altercation éclata.
"Les dits députés s’étant modérés, continua le procès-verbal, il leur a été fait lecture de la consigne relative aux détenus qui est ainsi qu’il suit : Il est libre à toutes personnes qui iront pandes blessés ou porter des habillements ou des subsistances aux détenus, d’entrer dans leurs chambres, pourvu qu’il n’y ait jamais en tout au-delà de douze personnes dans la Citadelle."
Ces mesures découragèrent-elles quelques déte? On en vit qui regrettèrent leur adhésion à la Société des Amis de la paix, quelques-uns le déclarèrent par lettre. Un nommé Donat assura qu'après avoir assisté à deux ou trois séances, il avait deviné le mauvais esprit dont elle (la Société des Amis de la paix) était animée. Un sieur Conte se dit "victime inno de la plus infâme trahison" ; six autres signèrent la lettre dans laquelle, après avoir accusé M.M.de Montferrer, Parron, Royer, Maisonrouge et Blay aîné d’être les principaux chefs de la Société, l’auteur ajoutait : "Je me trouvai dans le local à la nuit désastreuse du 5 au 6 du courant lorsqu’un bruit  confus aux Armes ! me fit quitter le loto (j’ai dans ma poche les marques ou fiches.) Je sortis sur escalier, je rencontrai le pauvre Picas, porté et blessé, j’aidai à le porter et, ayant appris qu’un jeune forcené de la société (Foucard fils) avait blessé un patriote d’un coup de feu, saisi d’horreur de devoir tourner les armes contre mes frères, je sortis de cette maison fatale..."
Poussé par les patriotes, encouragé par ces défections le Département prit de nouvelles mesures contre les Amis de la paix. Quatre compagnies de la garde nationale, celles de Jaume notaire, de Jaume-Marcé, de Costa et d'Aguilar (Melchior le fils) s’étaient ouvertement mises de leur côté, on les licencia ; on ménagea toutefois les personnes qui en faisaient partie. "Malgré la conduite suspecte de la Société des Amis de la paix de cette ville, écrivait le marquis d'Oms, comme vice-président du Département, il n'est pas permis d’inquiéter les citoyens qui peuvent être membres de cette société."
Alors commencèrent au sein du Conseil municipal la série des démissions. M. Cazes partit le premier le 10 décembre, M. Frigola le suivit le 13 ; le Marquis d'Aguilar, qui avait déjà manifesté la même résolution et qui l’avait modifiée sur les instances de ses collègues, la reprit d’une manière irrévocable le 14, prétexson grand âge et ses infirmités. Le procude la commune l’imita le jour même.
Le lendemain 15 décembre, ce fut le tour de MM. Pons et de Vuaudricourt, puis celui de  M.M. de Çagarriga, Calt, Ancessy et Bertin. Ils auraient dû être remplacés par les plus anciens notables, mais l’on s’adressa vainement à M.M. Lalanne, Argiot, Tastu, d’Oms-Texidor, Serra, Bonafos, Mérie et Ferrer.

Annulation des élections par le Département.
Le 20 presque tous les officiers municipaux avaient démisé et le Directoire du district prenait l’avis suivant : "Le Directoire du district, sans avoir égardaux opérations tant des sections des paroisses Saint-Jean, Saint-Jacques et de la Réal que de Saint-Mathieu qu’elle a déclaré nulles, et attendu encore la démission des officiers muniqui paraissaient réélus, ordonne que lesdites sections seront incessamment assemées pour être procédé à de nouvelles élections... "
Les Amis de la paix abattus, quatre compade la garde nationale licenciées, les autorité appuyant les candidats des Amis de la Constitution, il n’en fallait pas tant pour que ces derniers triomphassent.
Au premier tour l’abbé Guiter était nommé maire sans concurrent, ses amis passèrent comme lui, et le Comité des Amis de la Constitution pouvait écrire triomaux Jacobins le 29 décembre 1790 : "La Société des Amis de la Constitution, jalouse de conserver dans l’opinion de tous les bons français l’estime à laquelle elle a droit de prétendre pour son dévouement entier à la chose publique, son respect pour les droits de l’auguste Assemblée nationale et son zèle infatigable à déjouer les complots formés sans cesse par les ennemis de la patrie, a jugé nécessaire, Messieurs et chers frères, de publier une relation de l’événement arrivé dans cette ville la nuit du 5 au 6 courants, afin de détruire entièrement les infâmes calomnies vomies contre elle par d’infâmes libellistes. Comme elle présume que vous pourriez avoir perdu de vue les persécutions auxquelles elle fut exposée dans les premiers temps de sa formation, elle a l’honneur de vous adresser le précis des événements..... Nous espérons, Messieurs et chers frères que toutes ces pièces réunies ne laisseront dans l’esprit des âmes honnêtes, aucun doute sur la pureté de nos sentiments et couvriront à jamais de honte les scélérats qui voulaient faire de notre ville un des foyers de leurs infâmes complots.
Qu’ils cessent enfin ces insensés d’espérer de nous asservir ! Notre ville jouira bientôt, malgré leurs efforts, d’une tranquillité assurée. Déjà le juge de paix est nommé, le peuple a choisi un citoyen distingué par ses talents etsa probité ; un prêtre respectable, victime de son dévouement à la Constitution, a reçu tous les suffrages pour remplacer le maire qui a enfin donné sa démission, et nous espérons que le choix des autres officiers municipaux tombera sur des citoyens vertueux, amis de la constitution. Nos vœux seront alors accomplis  et le bonheur depuis longtemps banni de nos murs viendra fixer son séjour et le citoyen heureux pourra  jouir enfin des douceurs de la nouvelle constitution."

Haut

 
Mis à jour le 13/02/2018
Copyright 2015. All rights reserved.
Retourner au contenu | Retourner au menu