Passage au Col de Jau - Histoire de Mosset

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Passage au Col de Jau

XIXe siècle > 1824 à 1830

Voyage de l’Aude à Prades par le Col de Jau vers 1830


Note liminaire.
Ce texte, qui nous a été communiqué par Michel Grosselle de Counozouls, est extrait du Tome II de « Pyrénées ou voyages pédestres dans toute ces montagnes depuis l’océan jusqu’à la Méditerranée » de M. Vincent de Chausenque, pyrénéiste français (1781 – 1868).
Ce voyeage a lieu entre 1822 et 1830. Nous nous concentrons ici sur la dernière partie qui conduit le voyeageur aux bords de la Médoterranée. Nous sommes donc en 1829 ou 1830 et probablement juste entre mai et juin, la neige étant encore présente et les troupeaux n’étant pas sur les estives.  Après avoir suivi un itinéraire qui conduit de la Cerdagne aux abords de  Belcaïre, les Vallées du Couserans et du comté de Foix, le Donnezan, Quillan et de Mijanès Escouloubres. (1)

« Après un bois de grands sapins, nous fumes invités à faire halte par un joli ruisseau, qui, après avoir arrosé des pelouses, se perdait dans une gorge descendant vers la Gincla
( ? sic) où résonnaient sous nos pieds les coups du bûcheron. Les provisions furent étalées sur un bloc de granit, et d'autres blocs nous servirent de sièges. Ce repas de montagne, aiguisé comme toujours par l'air vif et le plaisir des découvertes, fut abrégé par le froid ; d'ailleurs des brouillards isolés qui remontaient par la gorge, disaient assez que nous n'avions pas de temps à perdre. Pendant plusieurs heures, nous ne traversâmes que des pâtis déserts sur une suite de plateaux et d'ondulations à mi-hauteur, entre les nues d'où descendaient des draperies de neige et de rapides pentes couvertes de bois. Notre marche vague et contournée semblait aller au hasard, tantôt sur des croupes où nous errions au milieu de sapins clairsemés, et tantôt sur des plaques de neige ou dans des fonds humides. C'est ce qu'on nomme le Pla de Madre. On disait vrai en assurant qu'il fallait pour cette traversée un guide expérimenté, car dans cette vaste solitude où les troupeaux retenus en bas pour fumer les terres n'étaient pas encore montés, sans repères distincts pour des changements continuels de direction, on ne peut être conduit, lorsque les brouillards dérobent tout aux yeux, que par cette sorte d'instinct que donne seule une longue habitude. Avec un temps aussi peu sûr nous fûmes heureux de n’en être pas enveloppés, les plantes officinales abondent sur cette montagne bien connue des herboristes; je fus surpris des grands espaces que couvraient les jolies fleurs de l’érythrône si rare dans les Hautes-Pyrénées.
Tout s'abaisse au nord, et la vue du Languedoc est magnifique. Les premiers plans sont les mêmes que du col de Paillers, mais on distingue mieux le chaos des Corbières, depuis le mont Bugarrach de Caudiés, leur plus haut point, jusqu'à la montagne d'Alaric que longe le canal du Midi. Tournant toujours les flancs de la montagne, sans direction fixe ni sentier, nous atteignons enfin le dernier des plateaux, le Pla de la Galline, d'où les décorations sont tout à coup changées ; c'est le Roussillon, ses vallées, sa plaine, et le Canigou dans sa majesté. Sous nos pieds le fond de Laparut
(Lapazeuil) verdoie au milieu de la forêt où se cachent les sources de la Guette (Aiguette) qui, avant de se jeter dans l'Aude, fait mouvoir les importantes usines de Roquefort, ( !) et ses pelouses s'étendent jusqu'au col de la Marguerite, nommé par Majouret col de Djaou (Le col de Jau), qui devait nous donner entrée dans le vallon de Castellane, avenue de Mosset. Au-dessus de la vallée de la Têta qui, s'élargissant, se perdait dans la plaine, et par-delà les premiers chaînons, le beau groupe du Canigou s'élève avec fierté partagé en trois cimes, dont la hauteur et l’âpreté vont dire les grandeurs des Pyrénées aux marins qui sillonnent les flots de cette mer qui était visible au bout de l'horizon. Le Canigou, comme un promontoire immense, finirait les montagnes, si derrière ses longs talus on n'apercevait encore l'humble chaînon des Albères qui, entre les deux royaumes, les termine réellement aux rivages de Port-Vendres.
A la fin, les nuages rabaissés se fondent en pluie. Ayant à descendre dans le fond de la combe de Laparut
(Lapazeuil), nous franchissons des pentes neigées et les talus herbeux qui leur succèdent, pour nous réfugier dans un bois de sapins superbes. Elevés comme des mâts, ils étaient si rapprochés qu'on y voyait à peine, et l'épais treillis de leurs branches croisées eût été pour longtemps impénétrable à la pluie, si les minutes eussent été moins précieuses ; mais la nécessité parlait, et force fut de se lancer de nouveau sur des pentes inondées où notre marche tortueuse autour des sapins isolés devint pénible. Courant sur les pas de Majouret (le guide), il nous fallait l'équilibre des patineurs pour ne pas choir dans nos glissades multipliées, bonheur que nous n'eûmes pas toujours ; car plus d'une fois il fut pris possession du sol comme Scipion de l'Afrique. Bientôt trempés et n'ayant rien à ménager, nous ne choisissions plus nos pas dans les petits ruisseaux qui roulaient de toutes parts. C'est ainsi que nous traversâmes des bois épais et plusieurs clairières dont je devinais la beauté, jusqu'à la combe de Laparut (Lapazeuil) où la pluie enfin cessa. Je remerciai le Ciel qui, dans sa rigueur, nous laissait voir cette belle solitude tapissée d'une fine pelouse, jusqu'à un cercle de hauteurs que cachaient les nôtres et les sapins, excepté sur la large avenue du col de Djaou. Le ruisseau qui circule sur ces verts tapis semble dans ses détours ne quitter qu'à regret ce beau lieu. Nous l'admirions alors, quoique transis et percés ; que n'eût-ce pas été si, par un beau jour, arrivés haletants, nous avions pu nous asseoir à l'ombre de ces forêts tranquilles; si, là, sur cette verdure qu'arrosait une eau limpide, étalant nos frugales provisions, nous eussions pu faire un agreste repas, passer une heure d'un doux repos au milieu de ces bois romantiques ? Pour cette fois, ce ne fut qu'à la course que nous traversâmes la combe jusqu'au haut du col où le soleil qui avait percé la nue, vint à propos pour rendre leur souplesse à nos membres roidis. Le monotone vallon de Castellane était devant nous descendant du mont de Mosset, avec ses hauteurs stériles où mille saillies de granit figurant des ruines, rehaussent encore le charme des sites de Laparut, (Lapazeuil) qu'on caresse d'un dernier regard avant de commencer une interminable descente vers le fond éloigné où derrière la butte et la tour de Mascarda se distingue la ville de Mosset.  
Ce granit partout répandu, qui altérable et facile à diviser, se mêle avec la terre végétale, rend compte de l'infertilité du Roussillon excepté dans quelques fonds privilégiés des basses vallées et de la plaine. ... Le groupe de Mont-Louis et toutes les Pyrénées-Orientales ne sont presque que granit jusqu'au Canigou et jusqu'au cap Créons
(Cap Creus). …. Un convoi de mulets chargés pour les forges de Roquefort du minerai qu'on extrait à Filhols, (Fillols) au pied du Canigou, montait au revers du col, conduit par des hommes dont le costume et la physionomie étrangère annonçaient une race nouvelle. Les Catalans français sont, comme on sait, un mélange de Goths, d'Alains et puis de Maures implantés sur le mélange antérieur d'Ibères indigènes, de Carthaginois et de Romains qui constituaient le fond de la population quand les Barbares survinrent. Le Catalan français qui habite les bassins de la Têta, du Tech et quelques versants de la Sègre, se distingue de tous ses voisins par un corps sec et nerveux, un teint brûlé, un œil vif et perçant qui trahit son amour pour le plaisir et ses passions ardentes. Comme la plupart des peuples montagnards il joint à la force du corps une grande hardiesse de caractère et de la finesse d'esprit. Ses sparteilles (Espadrilles) légères, antique chaussure des Goths, son court gilet à boutons d'argent, ses chausses de velours, sa ceinture rouge comme son bonnet flottant qui remplace le réseau espagnol, et son manteau négligemment jeté sur l'épaule, ou s'enroulant autour du corps comme un schale (sic) de l'Orient, font reconnaître de loin le Miquelet, dont la hardiesse et l'agilité sont depuis longtemps passés en proverbe. Bien des traits lui sont ainsi communs avec la race indigène de l'autre bout des Pyrénées, On ne voit plus en lui les grands traits des Maures qui les derniers lui portèrent le sang africain, ni l'attitude orgueilleusement indolente du Castillan ; mais par ses mœurs et son costume, sa figure et son langage, il est toujours Catalan-Espagnol, quoique depuis deux siècles il ait changé de domination. Ce qui surnage en lui de cette multitude de tendances diverses et souvent opposées, c'est une bravoure vaniteuse qu'il tient de ses ancêtres du Nord, chasseurs et guerriers, et cet esprit chevaleresque, ce goût des aventures et du merveilleux que lui portèrent les Maures, qualités toutes d'apparat dont ses voisins du centre des Pyrénées où prédomine le sang romain, sont complètement dépourvus, et plus encore le froid habitant des Alpes. D'un pareil fond, a dit avec vérité Ramond, on tire à volonté des soldats, des miquelets, des guérilleros, des corsaires, mais ce n'est pas là qu'il faut chercher des pasteurs, des hommes simples.
Au bas du col, sous les ruines qui couvraient la montagne, étaient d'autres ruines que les hommes avaient faites. A la place où exista le couvent de Monasty s'élevaient quelques tristes pans de murs; et sans honneurs sur le sol, des tronçons de colonne et un bénitier brisé disaient seuls où fut autrefois le saint lieu que n'avait pu protéger son site recelé. Sur la butte qui porte la Tour de Mascarda, j'aperçus des touffes au feuillage foncé, aux grandes fleurs blanches du ciste lédon. Cet arbuste m'annonça le premier que je quittais la froide zone des montagnes pour le climat du midi. Le matin j'avais cueilli près de la neige des anémones et des gentianes alpines; le soir, à Prades, je me reposais dans un champ, où sur ma tête pendaient l'olive et la grenade ; et deux jours après, sur les collines de Port-Vendres, entouré de plantes toutes méridionales et nouvelles, j'aurais pu me croire transporté aux colonnes d'Hercule. Pour voir au niveau des plaines un changement pareil, il eût fallu franchir un espace de trente degrés. Le Roussillon a plus qu'aucun autre point de l'Europe peut-être, deux climats extrêmes très rapprochés : près de la Méditerranée les feux de l'Equateur, sous le grand réflecteur des Albères, et sur le Canigou la neige constante et la température du Cap-Nord. Nous passâmes au milieu de nombreux moutons de la bonne race roussillonnaise, qui gagnaient le Pla de la Galline, avant d'entrer dans la petite ville de Mosset, où au terme enfin de notre course, nous pûmes nous reposer d'une marche forcée de neuf heures. Je veux dire que nous cessâmes de marcher, car une grande chambre sans croisées où régnait le soleil, du vin épais et des œufs durs furent tout le confortable que nous pûmes réunir. Nous eûmes même peine à obtenir des verres et de l'eau de notre vieille hôtesse
(épouse Rolland ou Porteil) , tant c'était opposé au constant usage des Catalans de tout sexe et de tout âge qui ne savent boire que par le jet menu d'une burette en fer blanc, élevée de toute la longueur du bras, et cependant quel vin plus que celui du Roussillon devrait être mitigé ?
A Mosset, commence le langage presque inintelligible des Catalans, qui cependant est l'ancienne langue du midi de la France dont les habitants conquirent la Catalogne sur les Maures, la vieille langue limousine ou romane, parlée encore avec plus ou moins d'altérations dans la Gascogne, le Languedoc, la Provence et le Piémont, où elle se mêle d'espagnol, de français et d'italien, et qui dans le Roussillon s'est conservée presque pure malgré l'espagnol qui est aux portes et que tout le monde sait parler. La forte chaleur passée, nous continuâmes notre route vers Prades, qui n'est qu'à deux lieues. Le vallon s'élargit, se revêt de culture et sous le village de Moulitg,
(Molitg) connu par une source thermale et des bains, les vignes se montrent là où le granit stérile qui occupe les hauteurs cède la place à des schistes ferrugineux dont les débris forment le sol; fait qui se répète fréquemment dans ce canton.
C'est sur un tel terrain, où un soleil ardent de toutes parts est réverbéré par des masses nues, que viennent ces vins qui, en force et en spiritueux, l'emportent sur tous les vins de France. Plus haut sur des pentes pierreuses, croissent le thym, la lavande, la santoline et toute l'avant-garde des plantes aromatiques, dont les émanations parfumaient l'air. Près de Mosset, deux châteaux, Paracols et Corbiac, portent encore le nom de leurs anciens maîtres, Béranger de Paracols et Pierre de Corbiac, troubadours distingués du XIIIe siècle
(l’auteur fait probablement une confusion). Le vallon a fini ; le beau village de Cattla,
(Catllar) ses oliviers el ses vignes qui peuvent rivaliser avec ce que Malaga nous envoie de plus délicieux sont à nos pieds ; plus loin la ville de Prades ceinte de jardins, dans la plaine de la Têta nivelée et fertile, et en face la masse colossale du Canigou qui dans son isolement écrase tout ce qui l'environne. La vallée se ferme en amont au défilé de Villefranche où les masses se croisent et en aval à de petites hauteurs qui sont de ce côté la limite du Conflans. D'autres villages également au milieu des vignes et des oliviers se voient çà et là autour du bassin, où la fertilité toute concentrée abandonne les montagnes à la nudité et à la solitude; mais le Canigou que nous devions escalader, absorbait notre attention, car de nulle part il ne se présente plus majestueux. Sa masse énorme presque en entier de granit, d'un seul jet s'élance à une très grande hauteur, et nombre de ravins partis des cimes la sillonnent en rayonnant, séparés par des crêtes décharnées qui se précipitent jusqu'à son pied, où elles deviennent des contreforts arrondis, toujours stériles, mais renfermant des vallons qui, au niveau de la plaine, se peuplent et se couvrent de verdure. Cette imposante montagne porte comme des franges de sapins sur ses hauts mamelons, et des pics neigés la couronnent. Je changeai dès lors d'idée sur le Canigou, que j'avais cru d'un facile accès à cause de son peu d'élévation absolue, à l'aspect de ces talus unis et redressés qui, de la base au sommet, emportent l’idée de l'inaccessibilité. J'espérais qu'en l'attaquant par ses revers de la vallée du Tech, comme nous en avions le projet, ces difficultés seraient moindres; et, en effet, nous n’éprouvâmes que celles qui sont inséparables de tels voyages quand on n'a pas de bons guides, et que les habitations sont très distantes des cimes. Cela suffit; cependant, pour en éloigner les curieux dont un bien petit nombre paraît avoir tenté son ascension, car cette montagne dès longtemps fameuse et qui touche les plaines, est moins connue, que la plupart des pics intérieurs. Nous en fûmes surpris lorsque, ayant fait des questions à des gens du pays, de rangs même divers, tous nous parurent regarder le Canigou comme un désert inabordable, où il ne se passe que des phénomènes extraordinaires et redoutables ; en un mot, ils nous en contèrent des fables qui prouvaient leur ignorance totale des lieux, et qui augmentèrent notre désir d'y monter. Après un pont sur la Têta, dont le lit est creusé dans des dépôts de galets et de molasse, au bout de prairies ombragées, on entre dans Prades, sous-préfecture qui, comme toutes les villes du Roussillon, n'a pour rues que de tortueux boyaux entre de hautes maisons, où l’on ne paraît avoir cherché d'autre avantage que de pouvoir y circuler à l'ombre. Le nom de Mina (2) et sa dernière défaite étaient dans toutes les bouches et plusieurs convois de prisonniers s'étaient succédés ; comme aussi sur les routes on rencontrait des familles royalistes ayant tout sacrifié pour se sauver d'une terre que la guerre civile désolait. Dans un bon hôtel, sur la route de Mont Louis, qui ne se sentait nullement du voisinage de l'Espagne, nous pûmes enfin nous restaurer de nos privations passées, tout en écoutant les longs récits de Mme Carcassona, l'hôtesse, qui ne tarissait pas dans ses imprécations contre les Espagnols ; ce que ses mésaventures lui faisaient pardonner. Ayant porté son industrie à Barcelone avant la guerre de l'indépendance, elle y avait presque tout perdu lors des premiers soulèvements d'une nation outragée qui, aveugle dans ses vengeances, prit les malheureux Français qui s'étaient confiés à elle pour ses premières victimes. La soirée était belle et douce ; nous la mîmes à profit pour faire une de ces promenades qui délassent si bien au milieu d'une végétation prospérante, les yeux toujours fixés sur le Canigou, si subitement exhaussé, sans pouvoir deviner de voie possible sur ces longues et nues cannelures, qui du sommet à la base de partout se précipitent.
Le lendemain, dans une bonne voiture, par une agréable matinée de juin, nous roulions vers Perpignan, dont Prades est éloigné de huit lieues…
»

Notes :

1) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1027489.

2 ) Mina, Francisco Espoz y Mina ( 1781 – 1836) est un général espagnol.
Voir :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Francisco_Espoz_y_Mina

 
Mis à jour le 13/02/2018
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