13 - Maman - Histoire de Mosset

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13 - Maman

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DÉCOUVERTE DE MOSSET PAR UNE JEUNE CITADINE

Marguerite BOUSQUET


8 juillet 1939 : je n'ai pas encore 18 ans et j'épouse, à Alger, un mossétois, Jean Bousquet, militaire de carrière, pionnier du parachutisme naissant.
juillet : nous embarquons pour "un voyage de noces" à Mosset.
22 juillet : je vais enfin connaître le village de mon jeune épouxil n'a pas 22 ans. Jusqu'à présent je n'ai connu qu'un seul village, celui de ma marraine, prés de Blida, dans la plaine de la Mitidja, village entouré de vignes et d'orangers.

Je me retrouve dans un autobus, plutôt poussif, angoissée dans les gorges de Molitg, mais respirant mieux sur le plat de Campome. Dernier tournant de la "Crouette", c'est le choc ! Cette masse de bâtisses accumulées me paraît impénétrable. Ne nous laissons pas gagner par l'anxiété !

L'autobus arrive sur la place. A cette époque l'arrivée de l'autobus représentait l'événement majeur de la journée. Il y avait ceux qui venaient récupérer des commissions, des colis ; ceux qui venaient accueillir de la famille, des amis, et surtout les curieux qui espéraient découvrir quelque tête nouvelle. Et ce jour là on savait que Jean Bousquet du "castell
" amenait sa femme au village. Chez nous quand les nouvelles se répandaient on parlait du "téléphone arabe", mais à Mosset, bien qu'il ne fut pas arabe, il fonctionnait encore mieux : une nouvelle ne mettait que quelques minutes pour se propager de la boulangerie de Corcinos au "Congoust" en passant par "las aires" et le "castell".

Pour aller de la place chez mes beaux-parents le chemin était long par le "carrer del pou
", la "place de dalt" et le "carrer del castell", et nombreux étaient les mossétois sur le seuil de leur maison. Bonjour à droite, sourire à gauche, mais j'étais gênée devant tous ces regards pleins de curiosité. Certains devaient se demander si Jean ne leur ramenait pas une arabe !

Enfin, ayant gravi ces rues aux pavés disjoints et plus ou moins souillés, nous atteignons le sommet du village et la maison, où je suis accueillie à bras ouverts, et le soir même nous célébrerons un véritable repas de noces.

Mais après le premier choc de la découverte du village et de ses habitants, un deuxième choc, et non des moindres, m'attend. J'ai bien vu qu'il y avait de l'eau au robinet de la cuisine, mais où sont donc les toilettes et la douche ? Une chambre très convenable, un pot à eau, une cuvette et un seau hygiénique : voilà le confort qui m'est offert pour mon voyage de noces. Quelle dérision pour une jeune fille de la ville qui avait l'habitude de prendre trois ou quatre bains par semaine chez ses parents ! Je croix que mon époux est un tantinet inconscient et qu'il a pris un grand risque, celui de me voir repartir dès le lendemain. J'apprendrai, plus tard, que d'autres l'on fait avant moi. Mais j'aime mon mari et ses parents sont si gentils; comment faire ? Ma belle-mère a tout de suite compris ma gêne et m'a dit : "Fais venir le maçon et demande lui de faire ce dont tu as besoin ". J'ai aussitôt convoqué Isidore Grau et, dans la semaine, la maison était dotée de toilettes, dont tout le monde allait profiter. Ce fut ma première victoire.

Dès la première semaine, passée les premiers jours qui me permirent d'approfondir la connaissance de ma belle-famille et d'effectuer un petit voyage à Font Romeu, la vie paysanne reprit ses droits. Dès le matin toute la maisonnée, y compris mon mari, partait à la ferme, en pleins travaux d'été, me laissant seule à la maison, considérée comme inapte aux travaux des champs.
Néanmoins, désireuse de me rendre utile, je demandai à ma belle-mère si je devais préparer quelques chose pour le soir. Elle me dît de faire simplement cuire quelques pommes de terre et que nous verrions après.

Dans l'après-midi je décidai donc de faire cuire les pommes de terre, mais comment ? Je n'avais jamais vu de cheminée, je n'avais jamais allumé de feu de bois. Je remarquai cependant que dans l'âtre il y
avait deux ou trois grosses bûches et je me dis, pour les avoir déjà vues brûler, que c'était çà qu'il fallait allumer.

Je pris donc une boîte d'allumettes et commençai à jeter une allumette flambante sur les bûches en me retirant pour ne pas me brûler. Rien !  Je recommençai plusieurs fois mais les bûches ne prenaient toujours pas. Je compris que je faisais fausse route mais que fallait-il faire ?

Je m'assis dans l'escalier extérieur de la maison en me disant que quelqu'un finirait par passer et que je pourrais lui demander conseil. C'est la voisine, Madame CANAL, la grand-mère de François, qui se présenta la première. Je lui contai ma mésaventure et elle m'expliqua qu'il fallait d'abord mettre du papier, du petit bois et les bûches prendraient plus tard - "D'accord mais où prendre le petit bois ?" dis-je après avoir compris - "Mais à l'étable, bien entendu !" me répondit-elle. L'étable ! Je savais à peine où elle était et je n'osais même pas y
entrer.  Mais Madame CANAL avait tout compris et elle se chargea de m'allumer le feu.

Le soir, un peu honteuse de mon ignorance, je contai l'histoire à la famille qui rit de bon cœur et mon beau-père eut cette réflexion : "Pourtant, c'est si facile !"

Il ne savait pas que quelques années plus tard j'aurais ma revanche.

Alors que mes beaux-parents étaient venus à ALGER passer quelques jours, je le vis, un après-midi, se rendre à la cuisine et j'entendais qu'il utilisait quelque chose apparemment sans succès. J'allai me rendre compte et je vis qu'il essayait d'allumer le gaz pour se chauffer une tasse de café. Il ne savait pas de servir de l'allume-gaz et je lui dis "c'est pourtant si facile, regardez !" et je lui rappelai mes difficultés face au feu de bois. Cela l'amusa beaucoup et en conclut qu'on a toujours à apprendre. Pour en finir avec ma petite histoire ma belle-mère acheta rapidement un fourneau à butane, je crois même que ce fut le premier à Mosset, et toutes mes appréhensions au sujet du feu s'estompèrent.
Ce fut pour moi une nouvelle victoire.

En cet été 1939, où tout est nouveau pour moi dans ce village, je n'ai pas envie de rester seule à la maison alors que toute la famille est à la ferme pour les travaux d'été. Je pars donc pour le "Riberal" avec mon mari et ma belle sœur, perchés sur la "jardinière" tirée par la jument "Sultane".

Je rappelle que je suis une fille de la ville n'ayant pratiquement jamais connu la campagne et ses traquenards.

Les hommes sont en train de faucher à la "Payrère
", de l'autre côté de la rivière, et il est l'heure de leur porter le casse-croûte qu'on appelle ici l'asmorza (le déjeuner). Comme je ne suis pas bonne à grand chose dans les travaux de la ferme, ma belle-mère me demande de porter le "déjeuner" aux faucheurs, en m'indiquant le chemin.

Pas de problème, le chemin est facile à suivre, et je passe le pont au-delà duquel je ne sais plus de quel côté me diriger. Irai-je à droite où j'aperçois des près, irai-je à gauche où il y a également des près ou tout droit mais le chemin me paraît bien périlleux ? Finalement j'appelle : "Jean !" et on me répond :"par ici !"  Je vais donc me diriger à la voix mais je ne tarde pas à me rendre compte que dans la nature la ligne droite n'est pas forcément le plus court chemin. Je me heurte soit à un mur, soit à un roncier, les jambes agressées par les orties, plante que je ne connais pas, et finalement c'est mon mari qui vient à mon secours.

Après m'avoir expliqué les subtilités du cheminement en campagne je finis par comprendre qu'il faut toujours contourner les obstacles que la nature ou la main de l'homme ont placés sur la ligne droite.

Ce jour là je ne découvrirai pas seulement les astuces du déplacement dans la nature mais également comment on étend le foin pour le faire sécher et bientôt fourche et râteau n'auront plus de secret pour moi.


En arrivant à MOSSET je découvre un aspect de la vie que je n'avais pas prévu. J'ai déjà effectué, avec mes parents, deux voyages en France et je connais, entre autres, Bordeaux, Paris, Versailles, Lyon, Marseille, et je suis surprise de ne pas entendre le français car, en 1939, tout le monde parle encore catalan au village. Bien sur, ma belle-famille ne s'adresse à moi qu'en français, mais entre eux leurs échanges se font en catalan et je suis souvent gênée car j'ai l'impression d'être exclue et c'est une sensation désagréable.

Cependant je vais vite réagir car j'ai appris l'italien, j'ai même des diplômes dans cette langue, et je ne tarde pas à constater de nombreuses similitudes entre l'italien et le catalan. Ceci va me permettre de saisir un grand nombre d'expressions et je ne tarderai pas à converser avec des personnes qui ne parlent pas un mot de français telles que ma voisine Mme PAJAU (la Chamare
) ou plus tard Mme CORCINOS (la Mitou Taurinyane, la mère de Germaine)

Cette compréhension, jointe à une grande disponibilité d'écoute, me vaudra la sympathie des habitants de Mosset. Poussés par la curiosité ou par le simple désir de parler à cette jeune étrangère, nombreux seront ceux qui souhaiteront lier conversation avec moi, moitié en français, moitié en catalan ; je répondrai en français à toutes leurs questions. Mes interlocuteurs commencent souvent leurs phrases dans la langue de Molière mais passent vite au catalan en s'excusant car çà leur va tellement mieux. Certains feront de gros efforts, cherchant leurs mots dans de lointains souvenirs scolaires et ils m'étonneront parfois par leur vocabulaire.

J'ai appris que les mossétois étaient assez fermés vis-à-vis des étrangers et beaucoup en ont fait l'amère expérience. Mais, en ce qui me concerne, je n'ai jamais trouvé de gens plus ouverts et plus sympathiques. Je vais bientôt connaître tout le monde et si personnellement j'ai déjà adopté le village, le village va également m'adopter.

Je reviendrai donc tous les ans à Mosset et même plusieurs fois par an. Nous y deviendrons propriétaires de notre maison et, dès après la guerre, ce sera le lieu de vacances de mes enfants. Ces derniers, pour qui Mosset sera synonyme de liberté, s'adapteront tellement bien au village que leurs conversations, à la ville, ne porteront, jusqu'à Noël, que sur leurs vacances passées et à partir de janvier sur leurs vacances futures.

Pour moi, Mosset, c'est mon village, car depuis mon mariage avec un j'y ai passé plus de temps que mon mari et mon plus grand regret, vers la fin de ma vie, c'est que mon état de santé me prive de ce plaisir unique : passer quelque temps au village tous les ans.




 
Mis à jour le 13/02/2018
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