Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - Loisirs - Histoire de Mosset

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Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - Loisirs

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LOISIRS

Ce terme de loisirs est pratiquement inconnu de nos paysans au début du siècle. Le paysan n'a pas de vacances car le bétail, grand ou petit, doit être traité tous les jours. Il n'est pas question de s'absenter, sauf cas de force majeure : maladie, opération, mariage, enterrement, auquel cas on peut confier son bien, une journée ou deux, à un voisin, un ami, un parent.

Ce n'est pas que le paysan n'apprécie pas le repos ou la détente. Il aime bien faire la fête mais il n'a pas le temps d'en profiter et peu d'occasions s'offrent à lui. La culture et l'élevage sont des professions très prenantes et peuvent occuper l'individu de son plus jeune âge jusqu'à une vieillesse avancée. Si, trop jeune ou trop vieux, on ne peut fournir de gros efforts, on est toujours capable de garder du bétail sur un pacage.

Donc, pour nos villageois, le mot vacances est sans signification, si ce n'est qu'ils vont pouvoir employer leurs enfants pendant les vacances scolaires. Souvent même, ils n'hésiteront pas à les retirer de l'école avant pour les utiliser dans les fermes dès le printemps. Cependant, au cœur de l'hiver, les enfants vont se trouver des loisirs. Dès la sortie de l'école, après un goûter rapidement avalé, ils vont s'égailler dans les rues du village ou à travers la campagne environnante. L'avantage de ces ruraux sur les enfants de la ville s'appelle simplement liberté. Liberté de courir dans les rues ou sur les chemins ; liberté d'aller dénicher quelques nids dans les arbres ; liberté de faire quelques niches aux personnes âgées ; liberté de chaparder quelques fruits dans les jardins sans se faire prendre ; liberté d'inventer des jeux de découverte, comme fabriquer des sifflets au printemps avec des tiges d'aulne, quand la sève monte ; liberté de jouer dans la neige ou au bord de la rivière et de s'y baigner l'été ; liberté de connaître, dès le plus jeune âge, comment se reproduisent les animaux, bref une liberté incompatible avec la vie urbaine.

Par contre, Mosset n'a jamais eu de terrain de sport et ce dernier mot a toujours été vide de sens en ce qui concernait ses habitants. Dans cette fin de siècle on a bien connu les jeux de pétanque sur des espaces plus ou moins appropriés et une tentative de terrain de jeux dans le pré communal acquis par la municipalité à la sortie nord du village, mais il faut reconnaître que les villageois ne se sont guère intéressés aux sports et qu'ils n'avaient pas le temps de les pratiquer. Néanmoins je dirais que les paysans ont, sans le savoir, pratiqué assidûment les deux sports que sont la marche et les assouplissements. La marche à travers les chemins et les champs sur lesquels ils se déplaçaient à longueur de journée et les assouplissements car la terre est basse et pour faucher, moissonner, biner, sarcler, arracher, il fallait continuellement se courber vers le sol.

Cependant, nos paysans sont assez friands de la fête et, si l'occasion se présente, hélas ! Trop rarement, ils ne manqueront pas d'y participer. La fête se présente sous trois aspects : les chants ou la musique, les danses et la table. Un jour de fête doit être marqué par des menus d'où sont bannis tous les aliments habituels : pommes de terre, haricots, porc. On en profite pour manger beaucoup de viande : volailles, lapins, veau, mouton, bœuf, préparée rôtie, grillée, en sauces succulentes. Les desserts sont, en général, constitués de crèmes ou de flans, lait et œufs faisant rarement défaut. On en profitera également pour bien boire : apéritifs, bons vins, bière, café et liqueurs ; pour fumer, quelques cigarettes toutes faites car d'habitude on roule le tabac gris, ou un bon cigare, voire un "barreau de chaise".

Après quoi, on chantera quelques chansons, parfois grivoises ou sentimentales et, pourvu qu'il y ait de la musique, on dansera une partie de la nuit sans oublier de se désaltérer.

C'est que les occasions de faire la fête sont assez rares. Dans les familles, une journée particulièrement importante, c'est le jour du mariage d'un des enfants. On se marie pour la vie, tout au moins au début du siècle. On sait que de nos jours, les mariages se font et se défont à cadence accélérée, encore qu'il n'y ait plus besoin de mariage pour vivre en couple, ni même pour faire des enfants. Mais, en 1920, le mariage revêt une importance capitale. C'est, en principe, le seul jour où le chef de famille se fera remplacer sur sa propriété, participant à la fête à cent pour cent. Mais on a beau avoir des familles nombreuses, on ne fait pas de mariages tous les ans. Il y a également les mariages des cousins, des neveux, des amis, et on se marie, naturellement, au village. Il y a bien quelques "défaillants", quelques "émigrés", qui trouvent le moyen d'aller s'amouracher ailleurs, mais c'est surtout à partir du moment où l'exode rural va s'accentuer, car ailleurs il y a aussi de jolies filles et de beaux garçons.

Il y a, dans l'année, d'autres occasions de faire un peu la fête et d'oublier les soucis quotidiens, ne serait-ce que les fêtes religieuses, dont je parlerai par ailleurs. Il y a surtout les fêtes patronales.  Jusque dans les années 50, deux fêtes patronales sont célébrées à Mosset : la Saint Julien, patron de la paroisse, le 7 janvier, et la Saint Jean, le 24 juin. Fête de l'hiver, se déroulant à l'intérieur, fête de l'été, au grand air, sur la place du village.

Encore une fois, ces fêtes sont marquées par la musique, le bal et les agapes familiales où l'on invite souvent quelques tantes, oncles ou cousins d'autres villages. J'ai décrit ces fêtes dans un précèdent ouvrage où j'en énumérais le déroulement le "ball
de l'aspardaigne" la veille au soir, le "ball d'offici" après la grand-messe carillonnée, vers midi, le "llaban de taule" ou aubade pendant le dîner, repas de midi, par opposition au souper qui était le repas du soir. L'après-midi et la soirée étaient marqués par de grands bals précédés par un concert dans la salle du café.

En ces jours de fête patronale dont chacune durait deux jours, les maîtresses de maison se surpassaient à la cuisine, mais le point culminant était le bal. C'était surtout la fête de la jeunesse car ne dansaient que les célibataires. Les jeunes mariés se risquaient à faire quelques danses mais, dès lors qu'ils étaient mariés, le bal était considéré comme n'étant plus de leur âge.  Cependant, au cours de la soirée, on réservait aux couples de tous âges une danse à leur intention, histoire de faire quelque argent, car le mari devait offrir une fleur à son épouse, moyennant une obole laissée à la générosité de chacun.

En janvier, on dansait dans la salle du café Battle, enguirlandée, et en été, sur la place aménagée avec des pins également enguirlandés. Les hommes passaient l'après-midi et la soirée au café, à boire et à jouer aux cartes ; les femmes assistaient au bal en surveillant leur progéniture et avaient surtout un œil sur les jeunes filles : la compromission n'était pas de mise ; mais les jeunes filles étaient très sages et les garçons assez peu entreprenants. Tous les jeunes se connaissent depuis leur plus tendre enfance, ils se sont assis côte à côte sur les bancs de l'école, ils ont vécu en bonne intelligence et sans arrière-pensées.

Ces fêtes étaient aussi l'occasion, pour les filles, d'étrenner une nouvelle robe qui durerait jusqu'à l'année suivante, et les garçons mettaient leur plus beau et souvent unique costume. Toutes ces toilettes autorisaient quelques papotages : "Tu as vu Marie, sa robe est mal taillée" - "Cette
couleur ne va pas du tout à Françoise" - "La robe de Catherine est splendide et celle de Christine, quel beau tissu !" - "Joseph a mis son costume de l'an dernier, ça se voit, il est un peu serré".  Naturellement, le tergal, polyester et autre synthétiques n'existaient pas, pas plus que les tissus imprimés qui font aujourd'hui de si belles toilettes.

Les autres fêtes légales de l'année étaient à peine marquées : le 14 juillet tombait en pleine moisson ; pour le 11 novembre, le Maire se contentait de faire l'appel aux morts pour la Patrie ; le Carnaval voyait les jeunes se manifester par des déguisements et quelques apparitions masquées au bal du soir.

Cependant, comme le bal était le principal moyen de faire la fête, la jeunesse s'arrangeait pour danser au moins le dimanche, si possible en matinée, mais de toute façon en soirée. Pendant longtemps, on a pu le faire grâce à la flûte de Surjous et le violon de Babulet, puis vint le piano mécanique, enfin les tourne-disques, pour en arriver aux sonos modernes.

Lors des fêtes patronales, on louait les services d'orchestres quasi professionnels. D'abord les "coblas
", orchestres typiquement catalans, puis des orchestres plus modernes. Dans le même temps, on est passé de la polka au passo-doble, de la mazurka à la java, du scottish au tango ou au slow, mais la valse est toujours restée la valse. Une très vieille danse de l'ancien temps - le quadrille - a disparu dans les années 20. Dommage !

Dans les années 50, les fêtes de janvier et juin vont cesser pour céder la place à la fête des "estivants" qui aura lieu les 15 et 16 août. La raison en est simple : la population, très diminuée, ne peut plus assumer ces deux fêtes, tandis que pendant l'été la population est trois ou quatre fois supérieure. Elle va, encore pendant quelques années, se dérouler sur la place, avec ses pins et ses guirlandes, pour enfin émigrer vers la cour du château, le "plaçal
". Les orchestres se succéderont avec du matériel de plus en plus sophistiqué et avec une augmentation considérable de décibels. Attention aux oreilles !

Nous verrons disparaître la java et le tango, remplacés par le Lambeth-Walke, la rumba, la samba, le twist, le rock et les contorsions modernes qui présentent un avantage incontestable celui de pouvoir danser sans être invité. Chacun entre dans la danse à son gré et se contorsionne comme bon lui semble. Adieu partenaire ! Danse qui veut. Fini, pour celles qui dansaient mal, ou qui n'étaient pas belles, le fait de faire "tapisserie", de ne pas participer faute d'y être invitées. Heureusement que pour l'étreinte il reste encore le slow qui permet aux corps de se rapprocher. Paradoxalement la danse typique catalane, la "Sardane", n'a jamais été dansée à Mosset. Il aura fallu attendre les années 80 pour que notre institutrice, Lydie, lance l'initiation à la sardane pour les Mossétois.

Dans la première partie de ce XX siècle, les villageoises ne mettaient pas les pieds au café, lieu exclusivement réservé aux hommes. La plupart d'entre eux n'allaient pas au café pour la boisson, mais pour rencontrer leurs amis et surtout faire une partie de cartes. Le "truc
", la "manille", le "solo", cartes françaises ou catalanes, permettaient de passer une soirée entre amis, en consommant un café et un "porro" de vin. Pour intéresser la partie, on jouait quelque argent et, en fin de soirée, les grands gagnants partaient avec 10 ou 15 sous en plus, (50 à 75 centimes). Ces parties ne se déroulaient pas tous les soirs mais uniquement le samedi et le dimanche et parfois le jeudi.

Que faisaient donc les femmes qui n'allaient pas au café, non pas par interdiction, mais par bienséance, tout comme elles ne fumaient pas non plus ?  Que n'aurait-on dit d'une femme qui aurait fréquenté le café ? "Elle n'a donc rien à faire chez elle, ça
doit être du propre, elle ferait mieux de s'occuper de ses enfants". Ces dames s'occupaient donc à la maison : couture, repassage, lecture, causette avec les voisines venues à la veillée. Les femmes avaient tellement à faire qu'elles ne pouvaient absolument pas s'ennuyer. Leur emploi du temps était encore plus chargé que celui des hommes. Ce n'est qu'après la dernière guerre qu'on a vu leur condition s'améliorer. La venue de quelques "étrangères" au village y a contribué, mais nous aurons l'occasion d'en reparler. N'oublions pas, au passage, que ce n'est qu'en 1945 que les femmes ont acquis le droit de vote. Devenues citoyennes à part entière elles vont, même à Mosset, évoluer vers de meilleures conditions d'existence. Encore que nous entendrons quelques personnes âgées critiquer cette évolution pour prôner la vie "d'avant", celle où la femme était soumise et n'avait même pas droit à la parole dans son propre foyer.

Au chapitre des loisirs, il faut que je cite la chasse et la pêche. Ces deux activités sont éminemment campagnardes et on pourrait supposer que de nombreux mossétois s'y sont adonnés ; détrompez-vous. Dans la première moitié du siècle ces activités étaient assez mal vues par le milieu paysan. Aller à la chasse signifiait abandonner son champ. Or on sait que la chasse n'a jamais nourri le chasseur, alors que le champ... Être chasseur vous aurait valu d'être catalogué "fainéant". Il faut ajouter que le gibier n'était pas surabondant : quelques lapins, lièvres, perdreaux et sangliers. Pas de quoi organiser des battues d'où l'on ramène de nombreux trophées, l'occupation humaine ne favorisant pas le développement de la faune. Donc les chasseurs et les pêcheurs étaient rares. Mais ces deux activités ont connu un grand développement depuis une quarantaine d'années, par suite de la prolifération du gibier et particulièrement des sangliers, dans les espaces libérés par l'homme. L'augmentation des chasseurs, grâce au nombre de retraités qui trouvent dans la chasse et la pêche des activités sportives, a contribué à l'organisation de ces activités, soumises, par ailleurs, aux permis délivrés par l'État.

Ces dernières années, on a connu deux équipes de chasseurs qui, à l'automne, ramènent un assez grand nombre de sangliers lors de leurs deux ou trois sorties hebdomadaires. Bien entendu il n'est pas question d'en faire un quelconque commerce, chacun rentrant chez lui avec sa part de gibier. Les épouses feront de bons civets et quelques succulents pâtés. La pêche reste le parent pauvre malgré un alevinage annuel : la truite doit éprouver des difficultés à se nourrir et à se reproduire dans la Castellane et dans les ruisseaux environnants.

Il est un loisir qui tient également de la fête et qui a été remis en honneur, c'est la "cargolade
". De tout temps, on a consommé des escargots au village, préparés sous différentes formes : bouillis avec de la mayonnaise ou de l'aïoli, en sauce tomate. Ceci se faisait dans la normalité des repas. Ces gastéropodes pullulaient du temps où les jardins étaient cultivés. Ce n'est qu'après la deuxième guerre mondiale qu'on a remis au goût du jour la fameuse "cargolade". Les escargots en sont évidemment le prétexte, d'où le nom. S'ils font toujours partie des agapes ce n'est plus le plat principal.

D'abord la cargolade
doit se dérouler en plein air, si possible au bord de l'eau. Les escargots ne sont plus bouillis mais grillés sur une grande grille spéciale, après avoir été assaisonnés de sel et de poivre. Si on veut affiner la préparation on fait tomber, durant la cuisson, des gouttes d'un morceau de lard tendu sur une tige au-dessus de la grille. Ces escargots sont ainsi succulents, mais ne constituent qu'un amuse-bouche. D'abord, on a commencé par un apéritif accompagné de charcuterie ; suivront les escargots et on continuera avec la saucisse grillée, puis viendra le tour des côtelettes, également grillées, le fromage, toujours du roquefort, pour finir par des desserts et des fruits. Le tout sera naturellement bien arrosé des meilleurs vins catalans parmi lesquels muscat et banyuls seront fort appréciés. On poussera jusqu'à servir le café en pleine nature. Après çà on comprendra que certains profitent de la fraîcheur des sous-bois pour s'offrir une solide sieste.

Évidemment vous comprendrez aisément que pour faire une bonne cargolade
il faut disposer de temps. Ce qui n'était pas le cas lorsque les paysans travaillaient beaucoup plus qu'aujourd'hui. Lorsqu'enfin des retraites décentes leur ont permis de se reposer et que, dès lors, ils ont pu sacrifier un peu de leur temps aux loisirs, la cargolade a pris une place importante dans les plaisirs de l'été. Cela n'a pas été la fête de tous les jours mais on a pu ainsi marquer certaines journées de la bonne saison ; en profiter pour recevoir des amis car la fête ne doit pas se concevoir dans la solitude, pas plus que dans le simple cocon familial. La fête, c'est se retrouver entre gens qui s'aiment pour exalter l'amitié, voire la fraternité, pour vivre ensemble un moment heureux qui laissera un bon souvenir dans les mémoires.

Jeunes paysans et jeunes paysannes des temps anciens trouvaient des loisirs dans leur travail quotidien. Ainsi le fait d'aller "faire une journée" chez une amie, chez un copain ou copine, c'était faire un travail dans la joie. Les jeunes aimaient se retrouver ainsi, même s'il s'agissait d'une rude journée de binage dans un champ de pommes de terre. Il en était ainsi pour les vendanges. La plaine du Roussillon était un vaste vignoble et lorsque, en septembre, arrivait l'heure des vendanges, les vignerons faisaient appel à la main d'œuvre montagnarde, les travaux d'été de cette dernière tirant à leur fin. Ainsi aller faire les vendanges, alors que c'était la promesse de dix heures de travail journalier, était une joie, malgré un salaire de misère.  C'était d'abord le plaisir d'aller ailleurs, cet ailleurs dont rêvent les jeunes ; le plaisir de fréquenter des inconnus qui pouvaient devenir des amis ; le plaisir d'aller danser plus souvent, même après une journée pliés en deux près des ceps ou d'aller au cinéma, ce qui faisait défaut au village. En somme des plaisirs simples pour des gens sains.

Bien entendu, au cours du siècle, tout ceci a évolué et, non seulement on ne va plus aux vendanges, d'ailleurs au village il n'y a plus de main d'œuvre, mais on ne va plus à "la journée". Mosset a vu partir ses enfants les uns après les autres et même s'ils reviennent occuper, pendant de courtes périodes, les maisons de leurs ancêtres, ce n'est pas pour y travailler mais uniquement pour les loisirs. En d'autres termes, le cercle a été fermé, nous sommes passés d'une période "sans loisirs" du temps de nos ancêtres à une période "tous loisirs" de leurs descendants.

Je ne sais pas si je dois inclure ce qui suit dans les "loisirs" mais il faut que je vous dise quelques mots sur la "Conscription".

Dans la première partie du siècle, les jeunes gens d'une classe d'âge, 20 ans environ, étaient appelés ensemble à la visite médicale à Prades. C'était les "conscrits". Leur retour au village, en fin d'après midi, donnait lieu à une petite fête car l'immense majorité était "bon pour le service", et les rares "réformés" ou "ajournés" étaient penauds. Nos jeunes gens revenaient bardés de cocardes et de diverses images ou cotillons et offraient à boire à leurs amis et on dansait. Cette espèce de cérémonie a disparu après la guerre 39/45, remplacée par un séjour de 2 ou 3 jours dans les bases de recrutement.

Avant de conclure ce chapitre sur les loisirs, je me dois de vous conter une anecdote illustrant les passe-temps de la jeunesse d'antan. Comme nos pères, nous nous rendions au café le samedi soir. Nous avions alors entre 16 et 20 ans. Une simple partie de cartes ne suffisait pas à satisfaire notre envie d'amusements et nous avions coutume de chercher une "niche" à faire à nos anciens. L'une des plus courantes c'était de "faire le roc
".  Ce jeu consiste à pendre une pierre à la poignée de la porte d'entrée d'une maison et ensuite, avec une longue ficelle, depuis un angle de rue, d'actionner cette pierre pour qu'elle cogne contre la porte. Le but était de faire sortir le propriétaire, éventuellement l'inciter à poursuivre la bande de jeunes, sinon çà manquait de sel. Il arrivait également qu'on déplace une charrette, que l'on cache un outil lourd. Néanmoins, jamais de destruction, jamais de vandalisme, nous connaissions la valeur des choses. Nous savions aussi quels étaient les habitants susceptibles de réagir ; les autres, les indifférents, les silencieux, les neutres qui se contentaient, par exemple, d'entrouvrir la porte pour couper la ficelle du "roc", ou encore les mauvais qui n'auraient pas hésité à appeler les gendarmes, ne nous intéressaient pas et ils avaient vite la paix.

Donc, un samedi soir, nous quittâmes le café après avoir repéré qui était encore là. Nous avions remarqué Augustin Babulet et Sauveur Moné, deux de nos victimes privilégiées, habitant tous deux au "Congoust
" des deux côtés de la route. Nous nous dirigeons donc de ce côté du village et arrivés devant la porte de Babulet nous remarquons le gros tas de bois de chauffage entassé de l'autre côté de la route, et l'idée nous vient de lui barrer la porte. En quelques secondes, le tas de bois passe de la gauche de la route devant la porte d'entrée. Un tas énorme. Il ne restait plus qu'à attendre la réaction. Quelques minutes plus tard nos deux bonshommes arrivent, mais nous étions planqués dans le près de Babulet au-dessus de la route.  Ils nous ont vus ou entendus et se sont lancés à notre poursuite tous les deux, voilà qui devenait intéressant. Comme une volée de moineaux nous nous sommes enfuis vers le haut, vers le canal de la ville. Je traînais dans les derniers mais je voyais une silhouette derrière moi. Je n'étais donc pas le dernier et ne risquais rien, d'autant plus que la poursuite ne durait pas. Mais, m'étant arrêté pour attendre celui que je prenais pour un copain, la silhouette avait bondi sur moi en criant : "an tinc oun", "j'en tiens un". C'était Sauveur qui venait de me mettre le grappin dessus. Je m'attendais au pire quand Sauveur se penchant vers moi me dit : "Qui es-tu ?" . Nous étions dans l'obscurité. J'énonçais mon nom et Sauveur me dit illico : "Sauve-toi, malheureux, que Babulet te tuerait". Ce que je fis sans demander mon reste. Je dois dire que Sauveur m'avait à la "bonne", j'avais déjà travaillé chez lui et il me montrait une grande amitié. Quand je rejoignis la bande, du côté de la Terrasse, un frisson passa, car mes amis se rendaient compte que j'avais bénéficié d'un traitement privilégié. Bien après nous les niches nocturnes ont continué et mes enfants et mes petits-enfants ont fait le "roc" à leur tour.

Pour conclure je dirais que s'il faut déplorer l'abandon des terres qui ont nourri tant de générations, qui étaient l'orgueil des anciens, par leurs cultures, leurs cheptels, la beauté de leurs prairies et de leurs champs, il faut reconnaître que sur le plan humain il ne s'agit que d'une grande réussite.

La crainte c'était de voir mourir un si beau village, je crois aujourd'hui que cette crainte était non fondée. Si le village doit mourir un jour, comme tant d'autres d'ailleurs, ce ne sera pas durant ce XX siècle, mais je ne parierais quand même pas trop sur l'avenir.



 
Mis à jour le 13/02/2018
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