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Le républicain Benjamain Cantie et la Justice
Pour comprendre les événements de1877 à Mosset il faut rappeler les luttes politiques nationales pendant la période 1871 à 1879. Au lendemain de la brutale défaite de 1871, et de l'insurrection parisienne de la Commune qui la suivit, la France ne cessa d'être partagée en deux blocs ennemis :
- d’un côté, les monarchistes, eux-mêmes très divisés, mais qui rêvaient d'une restauration, associés aux bonapartistes et au clergé,
- et de l’autre, les républicains (radicaux, socialistes notamment) qui voulaient conduire a l'affermissement d'une République dont le nom seul avait été proclamé le 4 septembre 1770.
Certes Thiers avait réussi, comme Président de cette République purement nominale, à maintenir tant bien que mal, 1'unité du pays mais les monarchistes le remplaçaient bientôt (1873) par le Maréchal de Mac-Mahon avec l'espoir qu'au bout de son septennat ce dernier laisserait la France mûre pour une restauration.
Aux élections législatives de février et mars 1876, les républicains obtiennent environ les deux tiers des députés à la Chambre basse. Gambetta, leader républicain n'est pas appelé à former le nouveau cabinet. Mac Mahon nomme au contraire Dufaure, un homme de droite, qui ne peut bien sûr obtenir la confiance. Jules Simon, plus consensuel le remplace.(CERCA N°18, 1962)
Le 16 mai 1877, Jules Simon est congédié, sur simple lettre présidentielle.
Le 19 mai 1877, un ministère royaliste conduit par de Broglie est formé.
Le 19 juin 1877, la Chambre répond en votant un ordre du jour de défiance contre le ministère, "appelé aux affaires contrairement à la loi des majorités." En réaction, Mac Mahon obtient l'accord du Sénat (monarchiste) et dissout la Chambre des députés le 25 juin.
De juin à octobre 1877, la campagne électorale voit s'opposer les républicains et les partisans de Mac Mahon. Le "duel" Gambetta/Mac Mahon est symbolisé par la phrase du premier selon lequel la victoire des républicains devra conduire le chef de l'État à "se soumettre ou se démettre. " (Discours de Lille, 15 août 1877). L'enjeu de la lutte était la République et le régime parlementaire.
Le 15 octobre 1877, victoire des républicains malgré la pression du gouvernement et du clergé. Mac-Mahon tente dans un premier temps de résister. Mais face à l’opposition du Sénat, il se soumet. Le 30 janvier 1879, démission de Mac Mahon qui venait de perdre son dernier appui puisque le Sénat, nécessaire en cas de dissolution, venait de basculer dans le camp de la République. Le jour de la démission de Mac Mahon, Jules Grévy est facilement élu à sa place. Le 6 février 1879, il adressera son fameux message au Sénat dans lequel il annonce clairement qu'il renonce par avance au droit de dissolution, doctrine personnelle et de pur fait, que ses successeurs respecteront pourtant. (Extrait sur le net)
C'est dans ce contexte politique national que furent instruites, à Mosset en juin et juillet 1877, en pleine campagne électorale, les affaires d'offenses envers Mac-Mahon, Président de la République. (ADPO 3U2877 : Justice de paix de Prades)
Les confrontations nationales se retrouvent ainsi dans le microcosme communal du village :
- d'un côté les conservateurs avec le médecin Sébastien Bazinet, le pseudo riche Gaspard Palol (1815-1900) et le catholique et ancien instituteur André Vernet [le père des 2 futurs curés et d’Alexandrine Vernet], et aussi Antoine Dalbiez (1839), Jacques Pares (1846-1923), Joseph Quès (1848-1929) [le futur époux d’Alexandrine], François Biscaye (1827-1900), - de l'autre les républicains, avec à leur tête l'autre médecin, le maire Benjamin Cantié, et aussi Marty Jacques ( 1824-1896), Bousquet Bernard ( 1824-1911), Sarda Joseph (1828).
Les conservateurs ont monté l'opération : ils ont été vus sortir de la sous-préfecture où ils avaient dénoncé leurs opposants. A la suite de leurs déclarations, les autorités lancent l'enquête.Le 04/07/1877, les gendarmes de Prades dressent un procès-verbal relatif à des paroles séditieuses prononcées contre le Maréchal Mac-Mahon, président de la République par les nommés :
- Cantié Benjamin (1845-1900), 32 ans, maire.
- Marty Jacques (1824-1896), 53 ans, conseiller municipal,
- Bousquet Bernard (1824-1911), 53 ans, conseiller municipal,
- Sarda Joseph (1828) dit "Basso", 49 ans, conseiller municipal.
Comme souvent, dans de pareilles circonstances, les témoins tiennent des propos plus mesurés que ceux qu’on leur prête.
De l'enquête, il ressort que Biscaye François (1827- 1900), 50 ans, meunier à Mosset, beau-frère de Palol, a déclaré qu'il pourrait se faire qu'il ait dit que Monsieur le maire de Mosset aurait tenu le langage suivant : "Le Président de la République méritait d'être mis en accusation, vu qu'il avait violé la loi", ajoutant qu'il ne se rappelait pas de l'année.
Gaché Casimir (1840-1924), 37 ans, n'a rien à dire.
Bonaventure Climens (1936-1925), absent, qui aurait entendu dans un café de Prades, Monsieur Marty Jacques, conseiller municipal, dire : " Monsieur le Président de la République méritait d'être fusillé et le sera."Bazinet Sébastien (1810-1881), 67 ans, Docteur en médecine, a déclaré que Biscaye et Gaché auraient propagé les propos ci-dessus.
Palol Gaspar (1812-1900), 65 ans, ne se souvient pas.
Vernet André (1821-1895), 56 ans, n'a entendu que des rumeurs.
Bousquet Bernard (1824-1911), conseiller municipal, confirme les paroles de Cantié et ceci en présence de Olive Joseph (1822).
Louise Bazinet (1843), 34 ans, fille du médecin, confirme les paroles de Marty à Prades, selon ce qu'elle a entendu chez Bonaventure Climens. Elle déclare que Marie Arrous (1821-1918) née Laguerre et dite "Mitou", 56 ans, avait dit que "Basso" avait dit que toutes sortes d'informations contre le gouvernement et les gendarmes. C’était le 30 juin dernier après la tournée des gendarmes, pendant la nuit, dans la commune pour s'assurer si les lieux publics se conformaient aux lois et règlements.Emma Palol (1845 née Cadas, 32 ans, deuxième épouse de Palol, a déclaré que Bazinet Thomas (1834-1907), 33 ans, a dit que Cantié a dit que le 16 juin, sitôt après la rentrée des députés, on mettrait le Maréchal Mac-Mahon à la porte.
Vernet André (1821-1895) a déclaré que pendant le temps qu'il faisait partie du cercle, il avait entendu de mauvais propos prononcés par le sieur Cantié e,t entre autre, pendant que le procès Bazaine était en cours d'exécution. Il dit un jour au cercle : "Nous l'avons échappé belle, on voulait nous donner un Roi. Si Henri V était monté sur le trône on l'aurait fusillé, comme on fusillera Bazaine." Il est de notoriété publique de la part des gens de l'ordre que le cercle tenu dans le café Rolland Jean, cafetier et aubergiste à Mosset, est un lieu de propagande Radicale. [Il s’agit du Cercle Saint Sébastien, qui se réunissait au café Rolland du 2 Carrer du Portal de França. Il a été dissous le 18/07/1877.]Primitivement, nous a déclaré Monsieur Palol, ce cercle existait dans une maison particulière et fut transformé par suite d'un désaccord entre le propriétaire de la maison et les membres du cercle, au café Rolland mais sans avoir obtenu la déclaration préalable.
Monsieur Palol a ajouté qu'il serait urgent de porter ce fait à la connaissance des autorités et qu'un bienfait serait rendu à la commune de dissoudre le dit cercle. Cette salle n'a aucune communication avec la salle du café. Les deux portes se font vis à vis et ne sont séparées que par l'escalier, ayant 3 mètres environ de séparation. Il arrive souvent que les consommateurs du café pénètrent facilement au cercle ce qui permet à ceux-ci de d'échapper à toute contravention.
Interrogatoire de Biscaye François le 13/07/1877
Les gendarmes interrogent François Biscaye : "Les témoins Bazinet Sébastien, Assens Joseph et Marie Parent affirment que dans le seconde moitié du mois de juin, dans la maison de Marie Parent où vous étiez réunis pour passer la veillée, vous avez dit que Monsieur Cantié maire avait, en votre présence au Cercle Saint Sébastien, dit que Mac-Mahon avait violé la loi et qu'il serait mis en accusation."Monsieur Vernet, ancien instituteur confirme.
Biscaye François reconnaît qu'il fréquente le café de Marie Parent mais ne veut pas confirmer les propos : "Il est possible que Monsieur Cantié ait tenu des propos constituant une offense envers Monsieur le Président de la République et cela en ma présence mais je ne me le rappelle malheureusement pas."
Palol Gaspar exprime qu'il n'existe pas de sentiments d'animosité entre lui et M. Cantié. André Vernet, 56 ans, ancien instituteur, explique qu'il n'a pas de relations avec M. Cantié et qu'il n'a aucun motif de lui en vouloir.
Interrogatoires des personnes suivantes dénommées n'apportent aucune information nouvelle :
Pelegry Joseph (1822) dit "Louiset" 58 ans, cultivateur et qui habite à la Carole,
Assens Joseph (1817), 60 ans, propriétaire,
Emma Cadas épouse Palol (1845), 32 ans, "Je suis abonnée au Journal le Roussillonnais."
Bazinet Thomas (1834-1907), débiteur de tabac, 43 ans.
Interrogatoire de Benjamin Cantié le 05/07/1877
"On cherche à me nuire. Je suis victime d'une dénonciation calomnieuse et j'ai la conviction que cette dénonciation émane de Messieurs Bazinet Sébastien, Palol Gaspard et André Vernet. Ces trois personnes sont animées à mon égard de la plus grande hostilité.
Monsieur Bazinet exerce comme moi à Mosset la profession de médecin. Pourvu d'une moindre clientèle il cherche à jeter le discrédit sur moi, à me rendre insupportable le séjour de Mosset et à me faire quitter la localité, dans l'espoir d'être appelé auprès des nombreux malades qui m'ont accordé leur confiance.
Sa famille partage ses sentiments vis à vis de moi. C'est ainsi que Mademoiselle Léontine Bazinet, fille de mon confrère a apostrophé, il y a quelques jours ma mère au moment où elle sortait de l'église, en l'appelant "putain." Personne malheureusement n'a entendu Mademoiselle Bazinet prononcer cette parole injurieuse.
L'animosité que m'a vouée Monsieur Gaspar Palol provient de ce que celui-ci croit qu'aux dernières élections je me suis livré à des démarches qui ont eu pour résultat de l'empêcher d'être nommé au conseil municipal. [Elections du 11 septembre 1874 où Palol n’a eu que 73 voix, soit 34%des votes.]. A partir de cette époque des relations amicales qui existaient entre sa famille et la mienne ont été complètement rompues. Palol était un de mes clients et il a cessé, lorsqu'il a eu besoin du ministère d'un médecin, de m'appeler chez lui.
Quant à Monsieur Vernet, il est indisposé contre moi parce qu'étant, il y a quelques années, instituteur à Mosset, il fut envoyé à un autre poste et qu'il me fait un grief de ne pas avoir usé de toute mon influence auprès de ses chefs pour qu'il ne fut pas déplacé.
Je ne pense pas avoir d'autres ennemis."
Interrogatoire de Sarda Joseph (1828) dit "Basso" le 06/07/1877
Cultivateur à Mosset, 48 ans, né le 16/12/1828, fils de Jean et de Thérèse Radondy, marié, père de 4 enfants.
"Je me rappelle à présent qu'au départ des gendarmes, dont la visite pendant la nuit est toujours un événement pour les communes rurales, je dis, en plein cercle, "Carail ! Je m'en étais bien méfié ! Car j'ai vu à Prades trois individus sortir de la sous-préfecture : MM Bazinet Docteur en médecine, Palol Gaspard, et Vernet ancien instituteur, dont le drapeau politique n'est pas le mien et je compris qu'ils venaient de faire une demande contre le parti républicain auquel j'appartiens."
Interrogatoire d'Olive Joseph (1822) le 05/07/1877 concernant l'inculpé Bousquet Bernard, fabriquant de corbeilles, 51 ans :
" Le 25 juin 1877, jour de la fête patronale à Mosset, vers 7 heures du soir, sur la place publique, je me promenais en compagnie de Bousquet Bernard, conseiller municipal. Nous vinrent à parler de la condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de la Seine contre Bonet Duverdier, président du conseil municipal de Paris. J'approuvais cette décision en disant qu'on ferait bien de frapper les personnes qui dirigent des attaques contre le Président de la République.
Bousquet Bernard, à qui mon opinion déplut, s'anima et élevant la voix, s'écria :
- Lui aussi, faisant allusion au Maréchal Mac-Mahon, dont je viens de parler, on le foutra à la porte.- Non repris-je, car il est ferré.
- Ferré ! Ferré ? Dit-il d'un ton de doute, il fait qu'il y passe."
Interrogatoire de Bousquet Bernard (1824-1911) le 07/07/1877.
Propriétaire, 53 ans, conseiller municipal, né le 24/11/1826 de François et de Grâce Porteil, 3 enfants.
Il nie avoir tenu les propos ci-dessus il maintient sa position après confrontation avec Olive Joseph qui lui dit : "Tu as tord de le nier. Tu sais bien que je ne t'en veux pas et pour rien au monde je ne te prêterais des propos que tu n'aurais pas tenus. Si j'avais su qu'à raison de ces propos tu dusses être poursuivi, je ne t'aurais pas signalé les ayant proféré."
Les juges déclarèrent le non-lieu.
Le 21 août 1877, Cantié Benjamin et Pacull Côme sont révoqués.
Le conseil municipal est dissous. Le lendemain, une commission spéciale est créée. (ADPO 2M71)
Gaspar Palol remplit les fonctions de maire et Ambroise Mayens (1812-1880) celles d'adjoint,
Cette commission restera en place jusqu'au 31/12/1877.
Qui y trouve-t-on ?
Arrous Michel (1825-1884),
Bazinet Sébastien (1810-1881), médecin.
Cantié Baptiste (1818- 1892),
Corcinos Julien (1821- 1894 ), propriétaire
Dalbies Baptiste (1811-1885)
Dimon Etienne (1830-1908)
Not Blaise (1836-1919)
Salies Isidore (1819-1899) propriétaire
Salies Jean Baptiste (1829-après 1888)
Ville Jean (1818- >1887) ?
Seul, Ambroise Mayens est ancien membre du conseil dissous.
Benjamin Cantier n’en n’a pas fini avec les ennuis. Le 13 novembre, il est inculpé de "dons et promesses sous la condition de donner des suffrages, " affaire qui débouche, fin novembre, sur un non-lieu
Au 1 janvier 1878, l'ancien conseil et son maire reviennent à la tête de la commune. Ils y resteront jusqu’en 1884. Benjamin Cantier redeviendra le 1er magistrat de la commune de 1891 jusqu'à son décès en 1900.
Procédure contre Cantier Benjamin (1845-1900), 35 ans, médecin à Mosset, inculpé de "dons et promesses sous la condition de donner des suffrages, " affaire qui débouche, fin novembre 1877, sur un non-lieu.
Procès verbal de la gendarmerie du 13 novembre 1877 :
"Cantié Benjamin inculpé d'avoir, au cours de la période électorale, promis de l'argent pour procurer des suffrages à Monsieur Escanyé, alors l'un des candidats pour député."
"Il est vrai que j'étais le jour de la fête locale, le 29 août, à Conat venant de voir mes malades d'Urbanya. Je m'aperçus que le clocher était en voie de construction. En dînant chez Gau Augustin dit "Guinot", j'ai dit qu'ils faisaient à Conat un joli chantier. On me répondit que malheureusement on ne pourrait pas le terminer par manque de ressources. "Il, vous sera bien facile d'obtenir un secours, répondis-je, il n'y aura qu'à prendre une délibération dans laquelle vous ferez voir que vous avez déjà dépensé une certaine somme et qu'il vous en manque encore. Je vous ferai le brouillon. A Mosset, par l'intermédiaire de Monsieur Cantié, on a obtenu 200 francs pour le mobilier scolaire.
"On ne connaissait pas encore le nom des candidats ni la date des élections "
Gau Augustin dit "Guinot" déclara aux gendarmes qu'il y a environ 2 mois Monsieur Cantié lui avait dit que si la commune de Conat votait en faveur de Monsieur Escanyé, il pourrait faire obtenir 200 francs pour l'achat d'une horloge et que, si ce dernier ne la donnait pas, lui les donnerait de sa poche.
L'épouse de Gau Augustin, Marie Serradeil, précise que le 29 août, Cantié était accompagné de Jacques Ruffiandis (1856), étudiant en médecine à Montpellier.
Quant à Pierre Fruitet (1836), 41 ans, maire de Conat, il fit savoir que, "en sa qualité de maire, on ne pouvait, malgré l'argent, le détourner de ses idées conservatrices."
Renseignements pris sur Monsieur Cantié, on apprend par la rumeur publique que "cet homme, en cas d'élections emploie tous les moyens pour détourner les gens de voter pour le parti conservateur. Il ne cesse de faire de la propagande pour le parti républicain et ses agissements tendent à faire triompher son parti et les autorités locales se plaignent fortement de son attache politique." (ADPO 3U2877)