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1793 (2/2)
Mosset après l'invasion espagnole
Après le départ des Espagnols de Mosset, vient le temps de la recherche des collaborateurs. Des listes sont dressées : sont inscrits ceux qui ont accepté des places de batlle ou de consuls, ceux qui ont aidés l'ennemi, ceux qui ont œuvré avec l'armée espagnole, soit comme émigrés, soit comme soldats. L'épuration qui a suivi n'a pas eu l'ampleur de celle de 1944 et elle n'a été ni spontanée ni très populaire. Elle n'était qu'un des éléments des mesures générales ou individuelles des premiers mois de la terreur.
Rejet de l'oukase du Général David (2)
Dix jours après le départ définitif des Espagnols Joseph Estève, procureur de la commune, reçoit du Général David, commandant les forces françaises à Prades, l'ordre "de former, sans délai, une nouvelle municipalité."
Le lendemain 27 septembre, Joseph Estève réunit le Conseil Général de la Commune avec le maire Julien Corcinos, les 5 officiers municipaux, les 12 notables et une quarantaine d'habitants. La lettre du Général est lue par le secrétaire Isidore Pompidor.
L'assemblée considère que cet ordre n'est pas fondé. La réponse unanime est que "les habitants de Mosset n'ont jamais donné de marques équivoques de leur civisme et ont toujours été dans le véritable sens de la Révolution. Ils n'ont cessé de manifester une soumission entière aux lois, malgré l'invasion des Espagnols dans leurs foyers, invasion qui leur a été funeste. Ils ont toujours conservé les mêmes membres de leur municipalité," avant, pendant et après l'invasion. " Cette même municipalité a pourvu aux besoins des Français, leurs frères, en fournissant l'étape à ceux qui sont passés par leur territoire," accompagnant des déserteurs ou prisonniers espagnols, après la débandade de Canaveilles.
"La municipalité de Mosset a toujours conservé le titre glorieux de Français. En conséquence, le patriotisme reconnu des officiers municipaux ne leur permet pas de se dépouiller de la qualité glorieuse qu'ils possèdent." Tous les participants "renouvellent, en tant que de besoin, leur nomination et c'est le vœu unanime de la présente assemblée.
Le citoyen maire, de même que les officiers municipaux et le procureur de la commune pénétrés de la reconnaissance, de l'affection et des bons sentiments que l'Assemblée leur a témoignés, ont accepté la continuation de leurs charges en prêtant le serment requis par la loi." Les quatre intéressés " ont donné, en même temps, l'assurance que leur zèle pour le bien public ne souffrira jamais aucun ralentissement et que leur soumission aux lois sera toujours la même."
Arrivée des commissaires du district
La réponse de Mosset ne satisfait pas les autorités et, en particulier, le représentant du peuple Cassanyes, qui envoie à Mosset, deux jours plus tard, le 29 septembre, trois commissaires du District : Onuphre Saleta (1759), J. Rougé et Pierre Thomas de Molitg. Ils font nommer de nouveaux membres de la municipalité et du Conseil Général de la Commune.
Joseph Prats (1742-1814) est le nouveau maire. Il avait été procureur de la commune jusqu'à fin 1792. Les 3 "pseudo-consuls" sont remplacés par Joseph Porteil l'ancien maire de 1792, Martin Climens et Maurice Cossey. Quant à Joseph Cantié et Emmanuel Rousse ils sont reconduits, de même que le procureur Joseph Estève. La municipalité ainsi constituée devient Conseil Général de la Commune lorsqu'elle s'adjoint les 12 notables. Ses membres figurent dans le tableau ci-contre.
Maire |
Notables |
De plus les commissaires font une enquête sur le civisme de la population durant l'occupation et prescrivent une instruction sur l'attitude du batlle J ulien Corcinos et des consuls.
Le nouveau maire est informé des risques encourus par Corcinos et ses 3 collègues. Une rumeur commence à courir dans le village : Allait-on dresser l’échafaud sur le Plaçal, devant le château, dernier symbole de l’ancien régime ?
La peine de mort - La loi du 12 septembre 1793
Le surlendemain, le 1er octobre 1793, Joseph Prats réagit en réunissant le Conseil Général. Il rappelle dans quelles dures conditions furent choisis les consuls et le batlle pendant " l'invasion des satellites espagnols, comment ces citoyens acceptèrent leurs places au risque d'être durement punis ; comment ils ont regardé avec indignation les ordres qu'ils ont reçus de faire afficher certaines déclarations ; comment, au cours de leur consulat, ils n'ont jamais refusé asile aux Français, nos frères et surtout aux miquelets qui, journellement, étaient dans notre ville et cela malgré les ordres sévères qu'ils recevaient ..."
Or maintenant, "les dits Julien Corcinos, Bonaventure Cossey, Jean Not et Isidore Pineu craignent les rigueurs de la loi du 12 septembre 1793 qui punit de mort tout sujet qui accepte des places du régime espagnol..." Les citoyens rappellent que "ce ne sont pas les Espagnols qui les ont nommés à ces places mais bien le peuple de Mosset. Le Conseil espère que la loi indiquée n'aura pas d'effet. "
Effectivement, elle n'en a pas eu.(2) et aucun autre habitant de Mosset n'a figuré sur les listes dressées par le district de ceux qui, par leur comportement ou par dénonciation, ont été recherchés et incarcérés.
Les suspects de Molitg et Campôme
A Molitg par contre, dès le 27 septembre 1793, les mandats d'arrêt sont signés contre ceux qui sont déclarés "traites à la patrie". Ils concernent Augustin Quès (1757-1813) maçon, consul pendant l'invasion espagnole puis émigré et Pierre Saletes dit "magre" (3). La liste des suspects associe des habitants de Molitg et de Campôme, les deux villages ayant été réunis pas les Espagnols en une seule commune. Ceux "qui ont accepté des places ou exercé des fonctions," sont Jean Mestres (1763-1832) consul, François Bori (1734) consul et maire de Campôme, et même, sans raison, on y inscrit les clavaires, Jean Rousse (1769-1838) de Molitg, Mathieu Laguerre (+1801) de Campôme...
Le curé Porteil
Par ailleurs la décision, prise en juillet, d'inventorier les meubles, les effets et les maisons des émigrés, n'a pas eu de suite pour "cause de guerre.". Les Espagnols ayant quitté Villefranche, le district en ordonne l'exécution. Le commissaire Isidore Lavila en reçoit la mission : l'émigré concerné est François Porteil (1738-1826) futur curé de Mosset de 1804 à 1808. La maison est régie par l'hôpital de Villefranche mais "dans une cave, donnant sur la rue, nous avons trouvé cinq tonneaux pleins que Marguerite Boher épouse de Jean Boher, a déclaré lui appartenir." Mais l'unique sœur du curé, Marie Porteil (1732), épouse de Joseph Marty cordier de Codalet, a succédé au prêtre déporté. Elle revendique la propriété de ses biens. Ce droit lui sera reconnu le 9 juillet 1797.(4).
La nouvelle municipalité
Le 13 octobre 1793, la première décision de la nouvelle municipalité concerne la sécurité : un garde champêtre est nommé. Il est particulièrement chargé de la surveillance des troupeaux étrangers qui viennent dépaître journellement sur le territoire communal communal. S'est présenté à ce poste Jean Sarda (1724-1804) dit "Catinat" qui est nommé séance tenante.
De plus Baptiste Roquelaure assurera les fonctions de régent (instituteur) aux émoluments de 450 livres, 250 payées par la commune et le reste par les écoliers qui seront divisés en 3 classes en fonction des revenus des familles. Ce principe ne disparaîtra qu'en 1882 avec les lois de Jules Ferry. La rentrée aura lieu le 8 novembre suivant.
Le 21 octobre le curé François Galiay, officier public de l'Etat civil, donne sa démission. On ne sait s'il voulait se consacrer aux actes religieux ou s'il a été considéré que les deux fonctions étaient incompatibles Il est remplacé par le notable Joseph Corcinos (1753-1813).
Le fer de la guerre
Quelques jours plus tard, le Conseil constate une grave insuffisance de produits de forges : les convois de vivres venant de l'Aude et destinés aux places fortes et aux armées sont souvent stoppés à Mosset, leurs conducteurs ne pouvant y trouver les fers et clous nécessaires à leurs montures. Plus généralement, Mosset ne peut répondre aux besoins des armées et même du village. Occupés aux travaux des champs, les habitants se plaignent de ne pouvoir se procurer des outils ou les faire réparer. Pour y remédier, le conseil décide d'intervenir énergiquement. Il requiert Emmanuel Rousse, officier municipal et maréchal ferrant, de travailler sans relâche à la fabrication des fers et des clous à ferrer. Pour mettre sa forge "en bon train" il est autorisé à réquisitionner les garçons manoeuvriers du métier. (2)
Deux années plus tard le seul "manoeuvrier réquisitionné" est Jean Emmanuel Rousse (1766-1841) son fils unique et seul mâle d'une fratrie de 7 enfants. Le "travail pour la République" déjà interessant par le volume d'activité qu'il apporte, va donner un avantage supplémentaire au bénéfice du fils. Le 27 mai 1795, le père Emmanuel Rousse fait valoir devant l'inspecteur de la levée en masse, que son fils Jean Emmanuel Rousse, est son seul soutien "pour offrir à la République une quantité de haches et de clous à ferrer les chevaux." (5) "En conséquence de quoi" il est jugé "convenable, pour le service général de la République, d'exempter son fils de la première réquisition de la levée en masse." Il lui est permis "de rester dans la commune pour y travailler de son métier avec son père, sous la surveillance de la municipalité qui le fera rejoindre les armées s'il ne remplit pas son devoir." Il gagnera un an de vie civile avant de partir le 30 avril 1796.
Autres retombées économiques de la guerre
Le maréchal ferrant n'est pas le seul bénéficiaire des événements exceptionnels. En Juillet et Août 1793 se pose le problème de ravitaillement de quelques centaines de militaires et, en particulier, la fourniture de viande, qui est certes problématique mais qui est cependant assurée par quelques éleveurs du village. Thomas Bazinet (1750-1816) dit "Suzanne" établit une facture d'un montant de 1420 livres. De son côté, la commune, jouant le rôle d'intermédiaire, se fait rembourser 933 livres et François Vila (1735-1805) reçoit 49 livres.
La réparation des chemins et en priorité celui du col de Jau qui assure les liaisons avec le Nord .a nécessité 349 journées de travail facturées par Léon Vila (1745-1821), frère de François, 523 livres. (3)
Etienne Dimon et Jacques Ruffiandis perçoivent 30 livres et François Segui avec sa femme et son fils 55. Gaudérique Fabre, sa femme et leurs 4 enfants, 90 livres. Rappelons qu'une livre correspond à une journée de travail manuel.
La chasse aux trésors - La recherche des objets de la République
Par arrêté du District du 17 novembre 1793, Isidore Lavila, qui en est membre et Isidore Pompidor, commissaire du canton de Mosset, doivent se rendre dans le canton pour des "visites domiciliaires dans toutes les maisons aux fins de retirer tous les effets appartenant à la République : tentes, bidons, boisages de lit, paillasses, matelas, draps de lit, couvertures, habits, armes, que les personnes les eussent volés ou achetés aux voleurs."
Ils auront soin de relever les noms des receleurs ou détenteurs pour leur faire payer le coût de restitution. Ils se saisiront également de toutes les marchandises qui auront été cachées. Si elles ne peuvent pas être transportées elles seront vendues sur place. Sinon elles seront envoyées au chef lieu. Les propriétaires et receleurs sont responsables de tous les frais de transport. De plus, "ils avertiront les agriculteurs à qui l'ennemi a pris des bêtes de labour qu'ils peuvent s'adresser à l'Administration pour se procurer celles qui leur sont nécessaires (6)."
Les résultats à Mosset ne sont pas connus mais à Estoher et dans les villages des environs les listes ainsi établies sont très fournies.
Dédommagements de guerre
Dès l'automne 1793, les dommages causés par l'invasion espagnole donnent lieu à des secours accordés par l'Administration du Département. Les citoyens de la commune d'Eus, village qui avait été en partie incendié, partagent une indemnité de 25 000 livres (7). Les sommes correspondantes sont de 2190 livres pour Mosset, 1285 pour Molitg et 1165 pour Campôme. Contrairement à Eus, les dommages résultent essentiellement des pillages. Il n'y a donc pas eu de maisons détruites à Mosset. Pour les 3 communes de la vallée, les montants sont grosso modo proportionnels aux nombres d'habitants qui sont respectivement de 1012, 503 et 284 individus.
Ce constat ne corrobore pas l'idée de dommages exceptionnels à Mosset causés par des bombardements et des explosions.(8)
Une centaine de familles, peu ou pas fortunées, ont bénéficié d'une indemnité qui s’élève le plus souvent à 15 livres.
Au titre des dédommagements pour dégâts de guerre, il faut citer, en 1797 à Molitg, un allégement des impôts justifié par les dégâts aux maisons et des pertes de bétail, pendant les 2 invasions qu’a connues ce village.(9)
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Références ADPO
1 - L1340
2 - 100EDT34
3 - L1310
4 - Qp674
5 - 100EDT36
6 - L676
7 - L626
8 - Lp1078
9 - L666