Luttes intestines - Histoire de Mosset

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Luttes intestines

XIXe siècle > Anecdotes

Le curé, le maire, l'instituteur et l'institutrice
Les luttes intestines de 1866 à 1870


Vers 1866 Mosset ne connaissait pas l'actuel Opéra de fin juillet mais les événements de cette époque sont dignes des meilleures tragédies-comédies qui illustrent les luttes entre les pouvoirs en place au milieu du XIXe siècle.
Les rumeurs ont dû faire gloser sur la place publique, même si, très peu, voire aucun des Mossetayres d'alors n'en connaissait tous les tenants et aboutissants. La consultation des archives permet d'en reconstituer une version précise, sachant que c'est, avant tout, celle du curé desservant. Le sacrement de la confession lui donnait une crédibilité inégalable. La défense acharnée de la bonne conduite de ses paroissiens, ses goûts pour l'écriture, son souci d'informer les plus hautes autorités départementales l'ont conduit à une  production épistolaire importante. Elle nous permet de reconstituer le déroulement de quelques affaires.
Interviennent les personnages pivots des institutions locales de la fin du second Empire : le curé, le maire, l'instituteur et l'aubergiste. Le premier est Antoine Trilles, le second Gaspard Palol, le troisième Jean Montal et enfin le quatrième Marie Parent, la femme de l'aubergiste Sébastien Abadie. La dernière entrée en scène sera celle d’Adèle Cantié, institutrice.

Le curé Antoine Trilles (1823-1892)

Né le 4 décembre 1823 à La Llagonne et ordonné en 1848, Antoine Trilles est issu d'une famille profondément chrétienne : son frère Bonaventure (1813-1886) a été curé de Saint Mathieu à Perpignan et son neveu Gilles desservant à Lesquerde.
Il est successivement curé à Bages, à Caudiès puis à Mosset où il arrive en mars 1866. Sa mutation dans un village de plus de 1200 paroissiens est une promotion. " Il avait été jadis professeur au petit séminaire de Prades où il se plaisait à collaborer à la rédaction de la petite revue " A la Courdille " où certains de ses articles furent justement remarqués."
A Mosset, "il se montra sévère pour la tenue des fidèles à l'église, exigeant le silence le plus absolu et un extérieur convenable. Les simples blouses étaient impitoyablement bannies et il fallait assister aux offices en veste très propre. Ses discours empreints d'un zèle tout apostolique dépassaient peut-être la mesure dans l'expression et parfois il blessa sans le vouloir quelques-uns de ses paroissiens," explique, en termes mesurés, Benjamin Vernet (1863-1935), un de ses successeurs de 1917 à 1935 (1).

Le maire Gaspard Palol (1815-1900)
Né le 4 janvier 1815 à Prades, Gaspard Palol est le fils de Narcisse Palol négociant et de Thérèse Bès, ancienne famille aisée de Prades. Il est à Mosset en 1838 à la suite de son mariage avec Marie Biscaye, fille de Joseph Biscaye, meunier à farine, propriétaire du moulin du ravin de las Fabres. Les Biscaye sont originaires de Couiza dans l’Aude.
Gaspard Palol habite la maison du 2 Carretera de Prada achetée en 1845 aux héritiers d'Isidore Pompidor.

Signature de Palol

Gaspard Palol se manifeste pour la première fois dans la vie publique locale aux élections municipales des 30 et 31 juillet 1848. Il n'a que 33 ans et il marquera la vie municipale de la seconde partie du XIXe siècle. Il est souvent membre du conseil, parfois arrivant en tête des suffrages, comme en 1860 et en 1865. En 1860, il est  nommé adjoint et Isidore Ruffiandis (1822-1884) est nommé  maire, comme l'écrit le sous-préfet : "Les élections municipales, qui ont eu lieu... ont donné une majorité éclatante à un nommé Palol Gaspar, qui est sorti le premier du scrutin et qui est demandé par toute la commune comme adjoint.
Ce choix est d'autant plus important que je ne vous dissimulerai pas que M. Ruffiandis, maire actuel, et M. Palol Gaspard sont les deux hommes les plus intelligents de la commune de Mosset et que, les associer ensemble, est prévenir, pour longtemps, les dissidences locales qui ont affligé la commune de Mosset pendant plusieurs années. D'ailleurs M. Palol mérite, sous tous les rapports la bienveillance et le choix de l'Administration."
En 1855 cependant, il s'était fait remarquer par la sous-préfecture. Son nom figurait sur la "liste des individus, non condamnés politiques, qui doivent être particulièrement surveillés à raison de la part qu’ils pourraient prendre à un mouvement insurrectionnel dans un moment donné."
Son opposition devait être très singulière : le 21 novembre 1852, avec un taux de participation de 94%, la totalité des 336 électeurs de Mosset qui ont voté, se sont prononcés en faveur de l'Empire.(2)

Suspecté en 1855, Gaspard Palol est en 1860 partisan déclaré du régime et le poulain du Sous-préfet. En 1865, une pétition des opposants à sa personne, comportant 67 signatures en faveur du Docteur Sébastien Bazinet, n'a aucun effet alors que 98% des suffrages se sont portés sur le médecin et 82% sur lui.
Palol, qui a bien identifié ses "ennemis," les présente au Préfet dans une lettre du 4 septembre 1865 :
1 - Monsieur Sébastien Bazinet (1810-1882), maire en 1848, dût être révoqué à l'avènement de l'Empire puisqu'il s'opposa ouvertement à cette institution qui est la grandeur de la France. Nous avons au moins toujours vécu en bonne intelligence.

Léon Bazinet
Bazinet Léon en 1912

Aux élections municipales Louis Lavila et Isidore Ruffiandis, maire révoqué [lui aussi], lui firent promettre d'accepter l'écharpe que lui ferait obtenir Monsieur Jacomy. Ils lui feront entendre que ce serait un moyen infaillible d'obtenir au moins une demie-bourse pour son fils [Léon Bazinet (1855-1925)] qui, cette année, entre au collège de Perpignan. Comme l'intérêt est la passion dominante de Monsieur Bazinet, il ne résiste à une pareille perspective et, à partir de ce moment, il est devenu leur docile créature !
Voici une preuve de désintéressement de Monsieur Bazinet et qui promet pour l'avenir. A l'époque de la transaction avec Monsieur Jacomy, le maire et le Conseil devaient consacrer à cette opération [délimitation du territoire forestier communal] plusieurs journées qui ont été toutes gratuites. Monsieur Bazinet accompagna pendant six jours Monsieur Billes qui délimitait la lisière de la forêt et a réclamé 90 francs qui devaient lui être payés.

Sébastien Bazinet
Sébastien Bazinet en 1875

D'un autre côté je dois vous informer que nous avons deux médecins : Monsieur Bazinet et Monsieur Cantié. Ce dernier a refusé de signer la pétition ce qui prouve que la nomination de Monsieur Bazinet ne peut que diviser la commune.

2 - Lavila Louis
(1826), beau-frère de Monsieur Bazinet et employé de Monsieur Jacomy, trouve dans cette circonstance l'occasion de faire nommer une créature qui professe la même opinion politique, que lui-même peut lui rendre au besoin, et, en même temps, il se fait valoir auprès de son patron qui par le moyen de Monsieur Bazinet obtiendra toujours des concessions au détriment de la commune.

3 - Ruffiandis Isidore (1821-1884), qui, de son propre aveu, n'est pas impérialiste a toujours combattu les candidats de l'administration tant qu'il a été maire. On en a eu raison : il a été révoqué en mai 1864. C'est alors que j'ai pris la direction des affaires de la commune profondément bouleversée par les récentes luttes électorales. Ruffiandis ne peut pas me pardonner l'apaisement des esprits. Il voudrait la tempête et nous avons le calme le plus parfait malgré toutes les insinuations malveillantes."
Toutes ces personnes seraient manipulées par Rémy Jacomy (1818-1889) celui qui a acheté en 1861 les forêts des descendants du marquis d'Aguilar.
C
'est avec lui que le maire, Isidore Ruffiandis, a signé la transaction.
"  Jacomy a toujours été dans un camp ennemi à l'Administration et je n'ai jamais consenti à l'y suivre dans les luttes électorales.
Il est redevable à la commune d'une somme de 16.700 francs. Des mesures de sûreté pour cette somme ont été prises par l 'Administration et il a toujours cru que ce n'avait été fait qu'à mon instigation, ce qui est faux puisque j'ai appris le fait après coup ; il s'oppose à ma nomination pour retarder le paiement de ce qu'il doit."
Mais, en 1866, ceux qu'il désigne comme ses "ennemis" ne sont pas les plus puissants et les plus efficaces. Le danger est plus fort du côté du curé Antoine Trilles et de l'instututeur Jean Montal. Ils vont le pousser à la démission.

Crise de moralité en 1866
Dans un premier temps instituteur et curé sont alliés contre le maire et c’est Montal qui a déclenché les hostilités. En effet, le 3 décembre 1866,  Trilles écrit au préfet : "La confiance que vous m'avez inspirée lorsque j'ai eu l' honneur de vous présenter mes très humbles hommages, me porte à vous prier de prendre en considération l'enquête demandée par M. Montal, instituteur de Mosset, contre M. Palol, maire de la même commune."
Trilles poursuit par l'analyse de l'état moral du village : " Non ce n'est pas l'instituteur seulement, mais le sens moral public indigné du drame hideux qui se joue depuis si longtemps dans certaines maisons et jusque dans la rue, que vous demande la dite enquête.
L'état actuel des choses est la ruine complète de toute morale dans Mosset. De grâce, Monsieur le Préfet, n'oubliez pas la mauvaise réputation de cette population importante. Veuillez donner une réflexion à son passé si lamentable et vous verrez poindre un avenir plus triste encore.

Pauvre jeune génération, trouvez-vous Monsieur le Préfet, que des enfants de 11 à 13 ans, puissent inscrire, sur les pierres des maisons, le nom affreux de ces scandales que les chrétiens devraient ignorer. "

Et, sûr de lui, il menace : "M. le préfet, la même confiance que vous m'avez inspirée, me fait ajouter que si ladite enquête n'était pas écoutée à Perpignan, elle serait demandée en haut lieu et je peux vous garantir, elle serait autrement accusatrice." (3)

Démission du maire
Et le mois suivant Gaspard Palol donnait sa démission. Que lui est-il reproché ?
Trilles, qui connaissait tous les détails les plus intimes de la vie de ses paroissiennes, nous le révèle, incidemment, plusieurs mois plus tard, dans une lettre du 5 décembre 1867 :
"La femme Abadie, maître du café, n'avait-elle pas avoué, à son adultère amant, qu'en l'absence de son mari..." ce qui signifie en clair : Marie Parent (1830-1897), femme de Sébastien Abadie (1823-1870) cafetier, n'avait-elle pas avoué, à son adultère amant Palol, qu'en l'absence de son mari...
Ce qui est indiscutable, est que Palol est veuf depuis 1861 et qu'il a 5 enfants.  
Sans autre élément, il est très probable que Palol a été la victime de la calomnie. En 1875, le sous préfet l'affirmera : " Monsieur Palol a été maire de Mosset du 26 septembre 1865 au 29 janvier1867. Un incident regrettable sans doute, mais qui n'entachait en rien son honorabilité (il s'agissait de prétendues relations coupables dans une famille), lui fit donner, à cette époque, sa démission."

L'instituteur, nouvelle cible
Le cas Palol étant réglé, Trilles se préoccupe de l'instituteur : même enjeu, même faute et même punition.
Il écrit à l'Inspecteur primaire, qu’avec son administration et le maire de la commune, ils sont tous d’accord pour proclamer "que Monsieur Montal, l'ogre des gourmets, fréquentait trop le café. Car le maître du café, mis en suspicion sur l'immoralité de l'instituteur par rapport à sa femme, a failli troubler de nouveau son ménage, en faveur duquel l'administration civile a forcé notre ex dernier maire [Palol Gaspard] à donner sa démission.
Or ce ménage est toujours dans le danger imminent d'être troublé, vu que le Sieur Montal, qui a su en imposer une fois par de hauts cris au maître du café, redouble d'audaces, de visites et de gentillesses même envers la femme du cafetier."
En effet, " le Sieur Montal avait violé sa chambre et sa couche en se jetant sur elle en disant : Voici enfin ma proie !  

L'instituteur Jean Montal (1832)

Né à Ille sur-Têt, élève de l'école normale, breveté en 1851, Jean Montal arrive à Mosset en 1863. Instituteur à Joch en 1852, il y épouse  Thérèse Gensane (1823). Nommé à Nyer l'inspecteur le note positivement comme : " un bon instituteur . Il peut diriger une école plus importante et il demande son changement. M. le maire et M. le curé de Nyer le verraient, avec satisfaction, en charge de l'école communale."
Il passe successivement à Ria et Palalda puis rejoint, à 30 ans, l'école publique de Mosset.  Il y trouvera 2 collègues :  un certain Catala à l'école privée et Adèle Cantié lors de la création de l'école libre des filles en 1865. Son traitement, en 1865, est de 700 francs.

Le rapport de l'instruction publique indique que Mosset, avec ses 1214 habitants, a une école  laïque de garçons qui reçoit 22 élèves âgés de moins de 7 ans, 4 élèves âgés de plus de 13 ans, 31 élèves "payants", 12 "gratuits" soit au total 43 élèves. On y remarque une élève fille de plus de 13 ans n'ayant jamais fréquenté l'école et 16 élèves filles exercées aux travaux de l'aiguille. L'instituteur, Montal Jean, dirige bien son école " mais dont le zèle n'a pas toujours été soutenu. Il a organisé un groupe qui forme les éléments d'une classe d'adultes."
Après Mosset, Montal  est muté à Fuilla où il terminera sa carrière en 1890, à l'âge de 58 ans après 36 ans de service. Pour un traitement moyen de 1376 francs il percevra une pension de 917 francs (66%).

Les secrets du confessionnal
Dans sa lettre du 5 août 1867, le curé s’adresse à l’inspecteur d’académie : "C'est un de mes premiers devoirs de conscience de réclamer auprès de vous, en ma qualité de curé desservant de Mosset et comme particulier, contre les scandales de notre instituteur communal, le Sieur Montal. C'était déjà beaucoup trop de sa part d'avoir mis la discorde entre la femme de Monsieur le maire, le Docteur Sébastien Bazinet et ses deux demoiselles [Marie Louise et Léontine] par de fréquentes visites intempestives, sinon suspectes, dans la maison de ce magistrat très souvent [comme médecin] absent.
La malheureuse mère qui, elle-même, avait eu à subir plusieurs fois les impertinences peu chastes de cet instituteur, allant céder à une résolution extrême, je me décidais à en prévenir Monsieur le maire. Celui-ci, bien loin de se formaliser de ma démarche, m'en remercia, m'assurant qu'il n'entendait pas que ses filles manquassent au respect dû et aux remontrances de leur mère. Qu'au reste, il était lui-même en observation et que des visites inconvenantes de l'instituteur devaient cesser.
Donc, du consentement de Monsieur le maire, le Docteur Bazinet, sa femme mit à la porte le Sieur Montal.

Le Docteur Bazinet avait épousé Thérèse Lavila en 1839 après l’enlèvement et la séquestration du jeune médecin par les Corcinos, les Mayens et les Matheu qui voulaient le marier à Clotilde Matheu. (4)
"J'abandonne, Monsieur l'inspecteur, à votre appréciation les suites de ce fait et la continuation de certaines relations de l'inculpé avec l'une des deux demoiselles en question.
Voilà ce que cette intéressante et infortunée femme, revenue à des sentiments religieux et réconciliée avec son mari, a avoué à moi-même et est disposée à soutenir devant n'importe quelle autorité compétente. Une chose si grave serait encore plus ou moins confirmée par trois pères de famille de Mosset, propriétaires des plus notables.
Permettez-moi, Monsieur l'Inspecteur, de passer outre les propos indécents que des propriétaires respectables de Mosset attribuent au Sieur Montal ainsi que ses légèretés, si on peut appeler de ce nom certaines licences qu'il s'est données à l'égard de plusieurs personnes de sexe qu'on nomme et qui se nomment.

En ma qualité de prêtre, de curé et d'oncle, j'éprouve une honte insurmontable à confier au papier, qui en rougirait, les paroles séductrices  qu'il a adressées à une de mes nièces, âgée de 24 ans, dans mon presbytère, pendant que je faisais une longue maladie.
Que n'aurais-je pas non plus à vous dire de ses procédés perfides envers deux respectables ecclésiastiques qui me remplaçaient dans la paroisse de Mosset ?

Confessionnal
Confessional de l'église de Mosset

Peu de temps après mon installation, vous avez eu la bonté, Monsieur l'Inspecteur, de me prévenir que l'instituteur communal de Mosset payait plus en parole et en apparence qu'au travail. Comme vous, j'avais espéré le ramener à force de patience, de bontés et de conseils. Mais tout a été inutile.
Sa classe est à peu près nulle. Monsieur le maire actuel, qui a pu l'examiner tous les ans m'a dit de lui, ce que bien des personnes sont venues me dire : qu'il est un fainéant !
J'ai appris que si la plupart des 16 pères de  famille,pétitionnaires plaignants, ont remis leurs enfants à son école, c'est parce qu'ils souffriraient de les voir courir dans les rues et les champs. C'est parce qu'ils n'avaient reçu aucune réponse à leur pétition et que plusieurs ont subi des influences amies du Sieur Montal. J'en doute d'autant moins qu'on m'a demandé plusieurs fois, si j'étais sociétaire pour appeler un ou deux instituteurs privés, soit laïques, soit religieux, car j'ai un neveu à leur confier. J'ai répondu que j'étais trop dévoué à l'Administration  pour ne pas attendre quelques temps, mais qu'après ce délai, on pourrait me compter au nombre des sociétaires, vu qu'il y a urgence à retirer des enfants dont l'instituteur est réputé fainéant, gourmand, violateur, effronté des vendredis et surtout immoral
. " (5)

Riposte de Jean Montal
Alors que le curé écrit à l'inspecteur, l'instituteur écrit à l'évêque le 13 décembre.
" Monseigneur,
J'ai la confiance que votre Grandeur n'a pas complètement oublié la cordiale et respectueuse réception dont vous avez été l'objet [Visite de l'évêque] , il y a environ un an à Mosset. Chacun, et particulièrement la jeunesse, rivalisant de zèle pour prouver à votre Grandeur la joie que ressentait la population de voir un prélat dont elle avait été privée depuis si longtemps. La fête fut complète car on compta ni un mécontent ni un envieux.
Aujourd'hui tout est changé. Toutes ces larges poitrines que vous avez daigné remarquer lorsqu'elles exprimaient, à leur manière, l'enthousiasme excité par votre présence, toutes ces larges poitrines se sont refermées. Pendant les cérémonies religieuses, on n'entend plus que le chant de leurs petits enfants.
Monseigneur, en vous signalant un pareil état des choses, je n'ai d'autre but que de me défendre contre une horrible calomnie.
Je suis à Mosset depuis 4 ans. Pendant le séjour de Monsieur Sobra
[prédécesseur de Trilles], chanoine, il n'a cessé d'exalter la population et, pour ma part, je n'ai eu qu'à me féliciter de mes bons rapports.
Monsieur Trilles est à Mosset depuis 14 mois. Le désordre est dans la population. Ma moralité et l'honneur de la première famille de la commune sont déchirés, sont prêchés par le ministre qui doit prêcher la charité.
Je ne vous dirais point que je suis innocent ou que je suis coupable, mais je supplie votre grandeur de nous appeler, l'un et l'autre, en votre présence.
"(6) Un mois plus tard, l'abbé Trilles, qui a la plume facile et a envie d'en découdre, s'inquiète du silence de l'évêque. Il sait que ses opposants sont intervenus. Il propose, lui aussi, le 15 septembre 1867, une confrontation ou une enquête sur son litige avec l'instituteur :
" Monseigneur,
Ne sachant qu'augurer du silence de votre Grandeur, relativement à notre instituteur communal, je ne saurais cependant désespérer d'en obtenir une bienveillante réponse...
Si toutefois les motifs et les griefs, allégués contre leur curé, offraient des difficultés à votre Grandeur ou à certains fonctionnaires, bien loin de redouter une discussion ou une enquête, je les solliciterais. Et cela non seulement parce que je suis sûr du témoignage de ma conscience et de tous les gens de bien, mais encore parce que la situation des leurs devient extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible. Car il faut tenir compte des méchants et des pauvres ignorants dont on fausse le bon sens et la religion. Ces deux catégories sont très considérables proportionnellement à la population de Mosset.
En regard d'éventualités graves et imminentes, j'aurais garde aussi de ne point porter à la connaissance de votre Grandeur que la situation du curé ne serait ni changée, ni modifiée si à la place de l'instituteur actuel, on en mettait un brouillon
[personne désorganisée], par exemple celui de Catllar : le Sieur Boher [né en 1827, instituteur]. Celui-ci a dit que Monsieur l'inspecteur d'Académie lui avait proposé de demander le poste de Mosset. Mais nous tenons de la bouche d'un fonctionnaire prudent et désintéressé que l'instituteur brouillon l'avait demandé de son propre mouvement. Or s'il a bien gratuitement et très mal intentionné le maire de Catllar contre son bon curé, que ne tenterait-il pas auprès de notre maire, le Docteur Bazinet, qui serait bien loin d'avoir, comme son confrère, quelques considérations pour sa femme, qui a toujours été un chrétien indifférent, sinon hostile à la religion, qui s'est laissé prévenir contre son curé, lequel néanmoins peut se flatter d'avoir usé envers lui, en toute circonstance, de politesse et d'égards, lequel reste son client quand même !
Si un habitant de Mosset avait connaissance de ce fait, il ne manquerait pas d'alléguer contre cet instituteur brouillon le grave inconvénient de son village natal, Molitg, de se trouver voisin de Mosset. Ces deux localités ont en effet à discuter et à régler un intérêt communal d'arrosage, chose délicate qui ne peut s'effectuer sans une scrupuleuse impartialité du secrétaire de la mairie de Mosset  attendu qu'il est chargé des rôles et des répartitions à cette fin, et que ce secrétaire est, et sera, l'instituteur. Un habitant de Mosset ne manquerait pas d'ajouter que le Sieur Boher avait séduit une de ses
élèves [elle a 16 ans lors du mariage] , actuellement sa femme [Caroline Fillols], et qu'elle ouvrirait bientôt une classe pour les filles, pour la plus grande édification de la pauvre paroisse de Mosset.
Dans l'attente d'une solution prochaine et heureuse de la question si longtemps pendante des instituteurs vis à vis de Mosset
." (7)
Un complément à sa lettre, en post scriptum, il signale qu’il sait qu’André Vernet [1821-1895], ancien instituteur à Mosset déplacé pour des raisons professionnelles en 1858, est intervenu auprès de l'évêque.
La confrontation n’a pas eu lieu mais Jean Montal est muté à Fuilla. André Vernet reprend le poste le 1 octobre 1867.

Le sort de Palol et  de Montal réglé, le curé Trilles réoriente son œuvre d'épuration vers la jeune et nouvelle institutrice Adèle Cantié (1847-1923). Il aura moins de réussite. Sa crédibilité à l’évêché est quelque peu écornée et il s’en prend à une Mossetayre de souche, Palol et surtout Montal n’étaient que des "étrangers."

Adèle Cantié (1847-1923)

Dès le 5 août 1867, alors que Jean Montal n'a pas encore quitté Mosset, Trilles rédige un rapport sur la création d'une école communale de filles et sur l'institutrice de l'école privée.
"J'ose préjuger, Monseigneur, que je ferais sagement d'ajouter que l'institutrice actuelle de Mosset [Adèle Cantié], exerce sa profession avec permission provisoire. Elle n'a pas l'âge requis. Mais elle est diplômée, pieuse, intelligente, d'une famille très respectable de Mosset. Son père qui vient de mourir [Cantié Joseph François décédé le 28 avril 1867], était un médecin aussi bon chrétien que dévoué à l'humanité souffrante.
C'est encore la sœur d'un jeune et saint prêtre décédé à Thuir, l'abbé Cantié
[Lambert Cantié 1837-1867]." (8)

Adèle Cantié
Adele Cantie

Tous les enfants du médecin ont reçu une solide instruction : Joseph (1835-1869) marié à une Claire Trilles, Marie Cantié mère de Jean Arrous, Benjamin Cantié, tous les deux médecins et futurs maires et Etienne Cantié professeur à Constantine.

Adèle épousera Philippe Arbos, l'instituteur emblématique de Mosset.  

Deux ans plus tard, Mosset a ouvert son école communale de filles fréquentée par 40 élèves. L’institutrice est Adèle Cantié. Elle devient la nouvelle cible du curé et Trilles reprend la plume pour faire savoir qu'elle lit l'Indépendant ! Journal impie ?
"Mademoiselle Cantié Adèle, institutrice communale de Mosset, reçoit très certainement le journal l'Indépendant des Pyrénées Orientales à l'adresse de son frère étudiant en médecine à Montpellier [Benjamin]. Elle le prêtait journellement à un jeune bachelier qu'elle courtisait très certainement. Ce jeune bachelier se trouve actuellement au collège de Perpignan. Elle le prête très probablement à l'instituteur communal [André Vernet] qui est en excellente relation avec la famille Cantié dont les opinions sont très connues. Celui-ci d'ailleurs le lit dans une autre maison de Mosset."
Et Trilles, à qui l'évêque a dû faire des observations sur l'exploitation de ses sources d'information prend des précautions."Je tiens uniquement à signaler, à votre Grandeur, ces faits pour dégager ma situation de curé de toute responsabilité, vu que Mademoiselle l'institutrice fait plusieurs fois la sainte communion pendant la semaine et qu'elle se confesse, et pour cause irréfragable, à un autre que moi. " (9)
Il dénonce et se justifie, une nouvelle fois, le 7 octobre 1869 :
"J'ai l'honneur de porter à la connaissance de votre Grandeur que l'opinion s'émeut considérablement dans Mosset et dans les environs au sujet de l'institutrice communale de cette localité ; Mademoiselle Adèle Cantié qui, le 2 du courant, narguait et calomniait Monsieur le Maire [Sébastien Bazinet, 59 ans], un vieillard et le lendemain, se présentait à la sainte table accompagnée de sa sœur aînée [Angélique 1832-1882, mercière] qui l'appuyait et la défendait comme de coutume.
Cette émotion générale est loin de m'étonner puisque la même institutrice a laissé l'empreinte bleue d'un coup de poing sur le bras d'une personne inoffensive en l'injuriant dans l'église pendant une cérémonie solennelle.

Quelques temps après, toujours en compagnie de sa sœur aînée, elle s'ingéniait à donner le démenti le plus absurde au curé de la paroisse, qui avait non seulement vu de ses yeux, en plein jour, à dix pas de distance, dans la même rue, une scène de son intrigue datant de 2 ans, avec un élève du collège de Perpignan, bien loin du mariage mais qui est encore prêt à le prouver par les témoins des plus compétents aux yeux du droit et de la paroisse.
J'ose espérer que ces trois faits déplorables et la nullité constante de sa classe reconnue comme telle, en ma présence, par l'inspecteur primaire, me dispensent d'entrer dans d'autres détails pénibles.Si votre Grandeur se demandait quel est le but final de cette lettre, je dirais qu'il est unique, à savoir : celui de décliner toute responsabilité, même pour le for extérieur, car l'Administration diocésaine a été prévenue et pour cause abondamment motivée, que les deux sœurs en question ne s'adressant plus à leur curé pour les choses du for intérieur.
PS : J'apprends de Monsieur le Maire lui-même, Monsieur le Docteur Bazinet, qu'avant hier matin, il s'était rendu à l'évêché pour porter sa plainte à votre grandeur. Il regrette que les soins à donner à ses clients ne lui aient pas laissé le temps d'attendre l'heure de vos audiences
." (10)

Contre Adèle, le desservant Antoine Trilles vient de trouver un nouvel et inattendu allié, celui, comme on l'a vu, que  l'institutrice "narguait et calomniait," le maire Bazinet.
Ce dernier a non seulement à se plaindre du comportement de la jeune fille mais, de plus, il s'oppose au frère médecin, Benjamin Cantié, qui vient de s'installer à Mosset pour reprendre la clientèle du père décédé en 1867. Le sous-préfet est, sur ce point, formel : "Il y a entre Monsieur Bazinet et le frère de Mademoiselle Cantié qui est médecin à Mosset, une rivalité de métier qui date du vivant des pères de ces derniers. Monsieur Cantié père a exercé longtemps la médecine dans ce pays et il avait même une clientèle nombreuse et très fidele."
" Son fils ne lui a pas succédé immédiatement ; il n'est venu s'installer que depuis un an environ  Il a naturellement retrouvé des anciens clients de son père  et de nombreux amis de famille. Il professe, il est vrai, des opinions très avancées
[radical et républicain], mais il a dans sa clientèle des tenants d'ordre très prononcés."
Mais qu’elle est la demande de Bazinet ?
Il veut ", faire permuter Mademoiselle Cantié, actuellement institutrice dans la commune, avec Mademoiselle Gauze qui occupe la même fonction à Opoul."
Et la politique prend le pas sur toute autre considération. Il poursuit : Je n'hésite pas à vous faire "connaître que je considère ce déplacement comme très inopportun avant le vote. [ Il s'agit vraisemblablement du plébiscite du 12 mai 1870].
Je ne crois pas, dans cette circonstance, qu'il fasse une propagande soit pour l'abstention, soit pour un vote hostile. Je ne pense même pas qu'il s'en occupe du tout. Si donc nous n'avons pas à craindre son action pourquoi l'irriter brutalement en s’en prenant à sa sœur, sanction à laquelle ils seraient tous fort sensibles. Son intervention dans la lutte aurait alors une raison d'être et pour faire pièce à un Bazinet il pourrait fort bien entraîner à sa suite des partisans de l'ordre mais ennemis de ce dernier. De ce côté-là, je ne vois que des francs inconvénients à prononcer en ce moment le changement demandé par M. Bazinet.

J'espère même faire neutraliser entièrement l'influence de M. Cantié par l'intermédiaire directe de Monsieur de Massia [Edouard fils de François, qui était  maire de Mosset vers 1830], maire [de Molitg ] et propriétaire de l'établissement thermal de Molitg.
Quant à la satisfaction à donner à Monsieur Bazinet, qu'il l'ait un peu plus tôt ou un peu plus tard, cela ne modifiera en rien son action dans la lutte qui va s'engager. Il sait déjà que Mademoiselle Cantié doit être changée. Je le lui rappellerai confidentiellement quand je le verrai un de ces jours ; mais il n'ignore  pas aussi qu'un changement ne pourra avoir lieu que quand le conseil municipal aura voté le mobilier de l'école et que l'école sera prête à recevoir une institutrice venant du dehors." [Adèle logeait chez elle.]

La guerre de 1870 a bouleversé toutes ces perspectives. D’une part, Adèle Cantié a été institutrice publique à Mosset jusqu’en 1878 avant d’ouvrir une épicerie au 1 Plaça San Julia et de se marier en 1881 avec le nouvel et jeune instituteur Philippe Arbos muté à Mosset la même année. D’autre part, la lutte politique entre les deux médecins s’est poursuivie jusqu’en 1875, année où Bazinet a encore été maire. De son côté Benjamin Cantié  a assuré la fonction 17 ans en 3 mandatures.

Les naissances

Lettre de Monsieur l'abbé Trilles à Monseigneur Etienne Ramadié, évêque des Pyrénées Orientales, du 30-12-1868.
Il relate que l'année 1868  n'a pas vu de scandales aussi graves que l'an passé mais il attend toujours un nouvel instituteur.
" Monseigneur,
Ayant souvent présente la lettre si grave et si longuement expliquée par votre grandeur lors de mon placement à Mosset, lettre dans laquelle vous dites, entre autres choses, que cette paroisse avait été horriblement éprouvée à des époques plus ou moins éloignées, je ne saurais m'empêcher de porter à la connaissance de votre Grandeur que, Dieu aidant, j'ai été assez heureux pour obtenir l'absence complète de cette espèce de scandales qui, de temps immémorial, faisait de nombreuses tâches sur les registres de la paroisse. Mais si ces registres n'accusent pas, cette année 1868, des naissances illégitimes, je ne saurais non plus cacher, à votre Grandeur que, l'incurie de l'Administration civile relativement à l'ouverture des cabarets et des danses, à toute heure de la journée, amènera bientôt une réaction, d'autant plus vive, que le vice a été humilié par le renvoi forcé d'un maire [Palol, qui a démissionné en 01/1867] et d'un instituteur [Montal] publiquement scandaleux. Il est certain que pour corriger les deux abus mentionnés, causes inévitables de cette réaction désastreuse, il ne faudrait qu'un mot de Monsieur le Maire actuel [Sébastien Bazinet] ou qu'une visite du commissaire de police ou des gendarmes, à l'heure appropriée mais il est plus que probable que le mot ne sera pas dit et que la visite n'aura pas lieu.
Pour amener à bonne fin la régénération commencée de la paroisse de Mosset, il me reste encore à vous dire, Monseigneur, que nous attendons ce bon instituteur qu'on nous a fait espérer bien des fois. [André VERNET ne donnant pas satisfaction]  (11)                                 


Tableau de cohabitation des intervenants
 

Curé

Maire

Instituteur

Institutrice

1860

 

Isidore Ruffiandis




Révocation

   

1862

Joseph Sobra

28/04/1863

Jean Basso

01/11/1863

Jean Montal








Mutation

01/04/1864

02/04/1865

Gaspard Palol

Adèle Cantié
Ecole privée






Ecole publiuque

26/09/1865

Gaspard Palol


Démission

01/03/1866

Antoine Trilles





Mutation

24/01/1867

29/01/1867

Sébastien Bazinet

Pro. République

01/10/1867

André Vernet

04/01/1869

08/09/1870

Daniel Sucases

Gaspard Palol

30/04/1871

14/05/1871

Jacques Ruffiandis

Références
 1-Liste des ecclésiastiques de 1407 à 1944
   Mairie de Mosset
 2-ADPO 3M173
 3-ADPO 3M63 ?
 4-JDM n°64 de 11/2008
Bibliothèque du diocèse de Perpignan :
 5-Document 27
 6-Document 25
 7-Document 28
 8-Document 26
 9-Document 30
10-Document 32
11-Document 29

 
Mis à jour le 13/02/2018
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