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L'affaire Valent Commails - Capitaine des Miquelets (1)
Le 20 mai 1793, 5 jours après la naissance de son 4ème enfant, Valent Commails est enrôlé dans l'Armée des Pyrénées Orientales à la suite de la levée en masse nationale et, en particulier, pour s'opposer à l’invasion espagnole.
Comme Capitaine, il commande la 2e Compagnie des Carabiniers du 2e Bataillon de la demi-brigade des Chasseurs Éclaireurs.
En 1794, les forces françaises ont franchi la frontière et pris, sans combat, la citadelle de Figueras où s'est installé l'État Major. En avril 1795, l'affrontement se poursuit sur un front qui va du port de Rosas à l'est de Figueras. Le Capitaine Valent Commails est en "territoire conquis" au camp de Cistelle. Le 5 avril les Espagnols sont repoussés à Cistelle et à Llers.
Quelques jours plus tard, le 14 avril 1795, Valent Commails fait transporter en France 30 litres d'huile chargés sur un mulet. Il l'avait achetée, pour la somme de 15 livres en numéraire, au citoyen Jean Antich, guide de l'armée. Elle est destinée à la consommation des siens qui, l'année précédente, avaient quitté Mosset, à 100 kilomètres du Perthus, pour suivre, au plus près, le père combattant.
La famille est maintenant installée avant la frontière, à Arles-sur-Tech. A l'époque, il était admis que les familles suivent le père militaire. A Biure, à l'est de Figueras, le lieutenant Bayle est accompagné de sa femme vivandière et de ses 2 fils : l'aîné, caporal tambour qui a formé, sur cet instrument, son jeune frère Pierre Bayle, âgé de 11 ans affecté à l'état major du Général Augereau. La mission est de contourner, de nuit, les forces adverses. Le jeune Enfant de Troupe doit faire battre le tambour le plus fort possible pour masquer les bruits de mise ne place de l'artillerie. Blessé mortellement Pierre Bayle devient le premier Enfant de Troupe mort pour la France.
Le capitaine Valent Comails s'est lié d'amitié avec Jean Lannes. Ce jeune Chef de Brigade (titre équivalent, sous la Révolution, au grade de colonel), est déjà célèbre dans l'Armée des Pyrénées Orientales : son ardeur au combat, comme à Saint-Laurent-de-Cerdan puis à Peyrestortes, le propulsèrent au grade de Lieutenant le 25 septembre 1793, de Capitaine un mois plus tard et de Chef de Brigade le 23 décembre 1793. Au repos à Perpignan à la suite d'une blessure, il épouse la catalane Jeanne Joseph Barbe Méric, fille d'un riche banquier. Il deviendra au début du siècle suivant Maréchal d'Empire, duc de Montebello et sera le seul Maréchal à tutoyer l'Empereur Napoléon.
Les deux officiers envisagent l'échange du cheval du premier contre le mulet du second. Le transport de l'huile à Arles-sur-Tech est l'occasion l'occasion de mettre à l’épreuve le mulet que Lannes lui prête à cet effet. Commails confie donc l'animal chargé de l'huile aux soins de deux de ses Miquelets de Mosset : Jacques Antoine Hullo et François Freu (1769-1825). Ce dernier a toute sa confiance : c'est son cousin germain ; âgé de 22 ans il a été enrôlé "le 1er juin 1793, comme chasseur volontaire aux Miquelets". Il est le fils de Jean Freu (1736) et de Catherine Garrigo (1745-1824). Au passage du poste de La Jonquera, le 15 avril, le mulet, la cargaison et les deux conducteurs sont arrêtés.
Informé, Valent Commails fait intervenir son ami Lannes qui, le jour même, rédige une lettre destinée au Commandant du poste, lui demandant de remettre en liberté les conducteurs et son mulet. La remise de l'huile n'est pas mentionnée, le rédacteur estimant qu'il est trop tard : elle a déjà été consommée. Les "volontaires de la levée en masse" ne négligeaient jamais les petits avantages que la force de la fonction leur donnait en pays occupé.
Lettre en poche, Commails se précipite à La Jonquera et apprend, avec joie, que l'huile y est en sécurité. Par contre, elle ne peut lui être remise. conformément à l'ordre suivant signé de l'adjudant Général, chef de brigade A. Cosson de l'État major à Figueras : "Le Commandant de la place de La Jonquera fera rendre le mulet arrêté le 15 avril et appartenant au citoyen Commails. Ce mulet était conduit par le citoyen Jacques Antoine Hullo. Les effets ou marchandises prohibées, seront retenues par le Commandant de la Place, conformément aux ordres précédemment donnés." Les consignes en vigueur stipulent en effet que l'importation en France de l'huile est interdite.
Commails ignore cet ordre et sa teneur, revient et met tout en œuvre pour récupérer son bien ; il constitue un véritable dossier contenant 3 plis :
1 - Un ordre, sous pli fermé, que Lannes a fait signer au Général Lamer. (Voir encart sur Lamer)
2 - Une lettre de sa main qui présente l'ordre précédent : "Du camp de Cistelle.
Camarade, tu recevras ci-joint une lettre du général Lamer pour me remettre l'huile que tu as en ton pouvoir, que la garde monta avec un mulet et tu obligeras ton serviteur. Salut et fraternité." Signé Commails. [Document 1]
3 - Un ordre de l'Adjudant Général Chef de Brigade A. Cosson de l'État Major obtenu dans des conditions curieuses que Commails décrira ainsi : "Je me trouvais à Figueras où je dis que je me proposais de demander un ordre à l'État Major pour me faire remettre l'huile. Un citoyen que je ne connais pas, de ma taille et portant une lévite bleue, se présentant comme attaché à l'État Major, me dit qu'il n'était pas nécessaire que j'y aille, qu'il allait me procurer le document. Il descendit et revint un quart d'heure après et me remit l'ordre annoncé. J'ai pensé que cette personne était un secrétaire du citoyen Cosson chef de l'État Major."
L'ordre dont il s'agit, daté du 19 avril, est ainsi rédigé :
Charles Pierre de Lamer était militaire et homme politique. Le 10 août 1793, chef d'état-major de l'armée des Pyrénées-Orientales, puis général de division, il exerça le commandement provisoire de cette armée jusqu'à l'arrivée du général Dugommier.
Choisi par le Sénat conservateur comme député des Pyrénées-Orientales, le 18 février 1807, il fut appelé, le 25 janvier 1812, au service des revues de la cavalerie de réserve de la Grande Armée. Sous les ordres de Murat, il fit la campagne de Russie et disparut au passage de la Bérézina.
Lamer épousa en secondes noces, le 17 novembre 1795 à Perpignan, Jeanne Lazerme (1774-1834), belle soeur du député Théodore Parès (1795).
"Le commandant de la place de La Jonquera remettra au citoyen Commails, capitaine des Chasseurs Éclaireurs, l'huile qui lui fut prise, le 15 avril courant, qui était sur un mulet conduit par Jacques Antoine Hullo et François Freu. Et Comails a dit le vouloir pour la dépense de sa famille.
A Figueras le 19 avril 1795 de la République une et indivisible." [Document 2]
Commails contrebandier et faussaire ?
On ne sait comment a été reçu Comails lorsqu'il s'est présenté à La Jonquera. Il est peu probable qui'il ait pu récupérer l'huile. On sait par contre que "Les effets ou marchandises prohibées" mentionnés, ci-avant, dès le 15 avril concernent explicitement l'huile et que Comails "avait contrevenu à l'arrêté des représentants du peuple qui en défend l'importation." On sait surtout que l'ordre signé Cosson, remis par l'inconnu, est considéré par l'État Major le 28 avril, comme étant un faux et "qu'il importe de connaître le faussaire et que Comails n'est pas étranger à ce délit."
La justice militaire
Le 26 avril, le Chef d'État Major Général de Figueras transmet ses soupçons à l'Accusateur Militaire de l'Armée des Pyrénées Orientales. Le lendemain doit répondre à deux chefs d'accusation :
"Avoir fait importer, du pays conquis dans l'intérieur de la République, 30 litres d'huile qui furent arrêtés à la Jonquera et avoir contrevenu à l'arrêté des représentants du peuple qui défend l'importation de l'huile.
S'être servi d'un ordre, qu'il savait être faux, pour obtenir la remise de l'huile."
Interrogé par la police militaire qui a mené une enquête d'une dizaine de jours puis par le tribunal Militaire siégeant à Figueras le 10 mai, il se justifie :
sur le premier point, il ignorait que l'importation d'huile était interdite étant précisé que l'information n'était pas parvenue à son bataillon.
sur le second il reconnaît avoir signé le document 1 alors qu'il ne peut rien dire sur le document 2 ne connaissant pas la signature du Chef de Brigade Cosson.
Les témoins
En présence du prévenu, les témoins convoqués doivent se prononcer sur la réalité des écritures et des signatures des documents 1 et 2 respectivement signés de Comails et de Cosson. Tous ceux qui connaissent Cosson confirment que le document 2 est un faux. Pour le document 1 le tribunal fait appel à des témoins crédibles apportant toutes les garanties sur l'écriture et sur la signature.
Il faut des témoins sachant lire et écrire, ce qui n'est pas courant chez les Miquelets. On en trouve 3 et ils sont de Mosset : Matheu, Grau et Corcinos. Tous les trois confirment que le document signé Comails est bien de sa main.
Le citoyen Bonaventure Matheu (1775-1838) est l'alter ego de Comails : Il est capitaine de la 4e Compagnie dans le même Bataillon. Il justifie sa déposition en disant "ayant vu en différentes occasions l'écriture de ce citoyen."
Le citoyen Thomas Grau (1774-1836), est sergent major dans la Compagnie des Carabiniers au 2e Bataillon de Chasseurs Éclaireurs. Il confirme " pour l'avoir vu souvent pendant 2 ans." Effectivement les deux hommes se sont côtoyé depuis la prise de Mosset par les Espagnols.
Le citoyen Thomas Corcinos (1770-1867), lui aussi capitaine mais au 1er bataillon, reconnaît l'écriture de Comails, lui aussi " connaissant depuis longtemps l'écriture de ce citoyen."
Le 11 mai 1795, le jugement est prononcé, Commails est acquitté. L'accusateur Bussat donne l'ordre de faire lecture du jugement devant les troupes, ce qui sera organisé et exécuté par le commandant Bertrand du 2e Bataillon.
Et après ?
La guerre se poursuit encore quelques mois. Elle prend fin le 22 juillet 1795 avec le traité de Bâle.
Matheu, fils deMaurice, juge de paix, retourne à Mosset et travaille à la forge haute de avec le voiturier François Freu le conducteur du mulet de , . Il sera de nouveau militaire sous l'Empire. Il achètera en 1813 le moulin de la Société du ravin de FabresEn 1837 il sera encore Capitaine, mais de la Garde Nationale de Mosset. Il restera célibataire et sera franc-maçon.
Thomas Grau, un "Malpas," sera maçon à Mosset comme son père et comme beaucoup de ses descendants. De retour au village il épouse Thérèse Porteil (1798-1848). En 1801 et 1802, il est lui aussi Capitaine de la Garde Nationale du village.
Thomas Corcinos perdra " l'œil droit dans une chute dans les montagnes de Prats de Mollo" et sera réformé puis pensionné. Il épousera Luce Fabre et auront 6 enfants. Il sera propriétaire de Sant Barthomeu.Son fils dit "Père Andreu" sera maire en 1852.
Quant à Comails, il ne reviendra pas à Mosset. Son 5e enfant naîtra à Arles-sur-Tech en 1796. On le retrouvera gendarme et plus tard membre de la Garde Nationale.
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Références
1 - ADPO LP 582
2 - ADPO L 676