Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - Agriculture et élévage - Histoire de Mosset

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Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - Agriculture et élévage

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AGRICULTURE et ÉLEVAGE


Mosset est donc un village essentiellement agricole s'adonnant à la culture vivrière et à l'élevage et, en ce début de siècle, les villageois continuent le travail de leurs aïeux.

La terre doit d'abord nourrir ceux qui la cultivent et pour ce faire, les paysans cultiveront, avant tout, les trois aliments de base de la consommation : pommes de terre, haricots et le blé nécessaire, après transformation en farine, à la fabrication du pain.

Il faut donc faire pousser du blé mais la terre est parfois ingrate et ne produit pas ce qu'on espérait. En effet, la vallée de la Castellane peut se diviser en deux types de cultures en fonction de l'eau, donc de l'irrigation : le long du fond de la vallée les terres sont irrigables et les paysans sont depuis longtemps passés maîtres dans l'art de détourner vers les terres l'eau de la rivière. Cependant, ces surfaces irrigables, malgré les efforts de canalisation de l'eau, ne représentent qu'une faible partie des urfaces arables. La montagne, notamment côté rive gauche, offre de grands espaces, cultivables mais non irrigables, à "1'aspre" comme on dit en catalan, par opposition au "ragatiu". Sur ces montagnes, le paysan s'échine à labourer pour faire pousser ce qu'il appelle du blé mais qui n'est que du seigle, tandis que le froment, le vrai blé, nettement supérieur, poussera sur les terres irrigables des bords de la Castellane.

Ces deux céréales seront transformées en farine dans le moulin de Gotanègre qui se trouve en dessous du village et dont les meules en granit sont mues par une chute d'eau.

Sur ces montagnes, le seigle sera ensemencé en novembre ; il passera souvent l'hiver sous la neige et repartira au Printemps pour être fauché au mois de juillet.

Nos paysans savent pratiquer l'assolement qui consiste à ne pas faire une même culture tous les ans sur le même sol et s'ils n'envisagent pas une culture différente, ils laissent reposer la terre. La jachère ne sera réutilisée qu'après un bon engraissement avec le fumier naturel, celui de brebis, le meilleur.

Un des plus beaux spectacles que nos enfants n'auront pas l'occasion de contempler, était, en ce début de siècle, de voir, en juillet, la montagne se couvrir de grandes surfaces blondes et d'augurer, d'après les teintes de ce blond, du moment où tous ces champs, d'abord couverts de gerbes, se transformeraient en chaumes palissants.

Depuis toujours on moissonne à la faucille : courbé vers le sol, on sectionne une poignée de tiges à la fois, aussi bas que possible car il ne faut pas oublier la nécessité de la paille pour les animaux, ne serait-ce que pour la litière. On apprendra également à faucher le blé, ce qui permet d'aller beaucoup plus vite. Tout ce blé sera d'abord mis en gerbes qui sécheront quelques jours au soleil avant d'être apportées sur l'aire de battage. Je raconterai ces journées de battage, temps fort de l'été.

Lors des moissons les femmes sont très utiles car elles moissonnent aussi bien que les hommes, à la faucille, mais encore elles savent, mieux que les hommes, rassembler les gerbes derrière la faux tenue par un paysan. Nos mossétoises savent tout faire. Non seulement elles sont capables, éventuellement, d'effectuer les travaux masculins mais surtout elles ont un domaine réservé où l'homme ne saurait intervenir, soit par maladresse, soit par goût, soit, tout simplement, parce que, de tout temps, ce sont les femmes qui ont assumé ces tâches : la lessive, le repassage, la tenue de la maison, la cuisine, le tricot, la couture, l'élevage des cochons et des petits animaux, lapins, poules, canards, sont du domaine exclusivement féminin.

La tenue du jardin potager relève également de la maîtresse de maison. Il est rare de voir un homme dans le jardin, ou alors c'est pratiquement sous les ordres de son épouse.

Chaque ménagère a son jardin. Ces jardins se situent dans les environs immédiats du village, soit au-dessus, soit en dessous vers le moulin. Ils sont tous situés sur un terrain en pente, aménagés en planches horizontales soutenues par des murs en pierre sèche et que je comparerai, avec audace, aux "Jardins suspendus de Babylone" dont parle l'histoire ancienne.  Ces jardins font la fierté de nos paysannes qui arrivent à y faire pousser oignons, ail, petits pois, carottes, céleri, salade, poireaux, tomates. Ces quelques légumes d'été vont venir agrémenter la table, rompant ainsi le cycle pommes de terre-haricots secs.

Ces jardins, véritable auréole du village, ont l'avantage de se situer sous le canal d'irrigation, dit Canal de la Ville, et bénéficient d'un arrosage régulier. Ces jardins subsisteront longtemps encore mais seront, petit à petit, abandonnés car nos paysannes ne sont pas éternelles et nous avons l'impression de voir les jardins mourir avec elles. Nous verrons ainsi le décor changer au fil du temps et, à la place des jardins amoureusement entretenus, s'installeront ronciers, mauvaises herbes, épineux, lierre, envahissant tout et faisant s'écrouler quelques murs. Quel dommage de voir ainsi disparaître cette couronne potagère qui fleurait bon, d'autant plus que la ménagère avait encore le bon goût de faire pousser quelques fleurs dans un coin du jardin !

J'ai écrit que la vallée se divise en deux sortes de cultures selon qu'elles se situent au ragatiu, irrigable, ou à 1 'aspre, non irrigable.

Le ragatiu est très morcelé et, à quelques exceptions près, il n'y a pas de grandes exploitations. Chacun y possède une ou deux petites surfaces souvent éloignées les unes des autres, champs ou prés, avec des problèmes d'irrigation car cette dernière est très réglementée.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser l'eau n'est pas très abondante dans la vallée et souvent, en été, la rivière descend à un niveau proche du tarissement total surtout si l'hiver n'a pas été très neigeux.

Plusieurs canaux drainent l'eau vers les champs et les près et les deux principaux, existant depuis des temps immémoriaux, sont le Canal de la Ville qui passe au-dessus du village et de ses jardins et le Canal de Molitg qui, après avoir irrigué une grande partie des terres mossétoises, arrive sur les terres du village de Molitg, cinq kilomètres plus bas dans la vallée, d'où son nom.

Pour faire respecter la réglementation sur ces canaux on nomme même un gardien du canal (raguer) chargé de surveiller, notamment en été, que les propriétaires de l'amont ne "volent" pas l'eau de ceux de l'aval.

Le temps d'irrigation imparti à chaque parcelle est fonction de la surface et l'eau doit être utilisée 24 heures par jour. Chaque parcelle se verra attribuer le même temps toutes les semaines plus huit heures, de telle sorte qu'elle bénéficiera de l'eau tantôt de jour, tantôt de nuit. Par exemple un champ qui bénéficierait de deux heures d'arrosage le lundi de 10 à 12 h, pourra de nouveau être arrosé le lundi suivant de 18 à 20 h et dans la nuit du lundi au mardi de la semaine suivante de 2 à 4 h et le cycle reprendra ainsi avec, chaque fois, un jour de décalage.

Cette répartition est très judicieuse et ne donne lieu à aucune contestation depuis des décennies si ce n'est qu'en période de sécheresse chacun voudrait davantage d'eau et plus souvent ; les vannes du canal, notamment la nuit, requièrent alors une surveillance accrue.

Les propriétaires qui disposent de plusieurs parcelles souvent éloignées les unes des autres, sont ainsi pris plusieurs fois dans la semaine et comme certains sont propriétaires sous les deux canaux, il peut même y avoir chevauchement des horaires.

Sur ces parcelles irrigables le paysan fait pousser les cultures vivrières les plus importantes et essaye souvent de faire pousser deux récoltes sur une même surface : blé (froment) suivi de maïs, pommes de terre suivies de haricots, betteraves, salades, de foin quand il s'agit de prairies. Ces près seront d'ailleurs fauchés deux fois : en juin pour la première coupe et en août pour le regain.

Il n'est pas faux de dire que ces terres irrigables donneront tous les ans le maximum de ce qu'elles peuvent produire. Il faut nourrir la famille mais également le bétail : vaches, moutons, chèvres, cochons, volailles, lapins, ce qui nécessite la production d'une grande quantité de fourrage et d'aliments spécifiquement animaliers : betteraves, navets, maïs. Cette dernière céréale n'était pas connue de nos paysans en tant qu'aliment humain, comme de nos jours, mais uniquement animalier car le maïs mûrissait totalement et était trop dur. On ne connaissait pas le maïs tendre.

Par opposition à cette culture d'irrigation, il existe la culture de montagne qui va de pair avec l'élevage et qui demande des surfaces plus importantes.

Ici les propriétés sont plus étendues et comportent plusieurs hectares, en général de 20 à 50 ha par propriété et sont constituées de champs pour le blé (seigle), de prairies pour le foin et de pâtures pour les animaux. Sur chaque propriété se trouve une bâtisse susceptible d'abriter, à la fois, famille et bétail. Ces exploitations sont surtout occupées en été où pendant les vacances scolaires et parfois, dès le printemps, la famille peut s'installer pour les travaux des champs et la garde du bétail.

On vit dans ces fermes, appelées cortals, d'une façon simple et parfois rude. Il existe toujours une cuisine, réduite au strict minimum, mais avec l'âtre, une vaisselle très simple, une literie sommaire quand elle existe. Souvent, on couche dans le foin du fenil et l'hygiène y est des plus élémentaires. Comme il y a des sources partout et que l'eau est aussi nécessaire à l'homme qu'à l'animal, dans la plupart de ces fermes, on trouve de l'eau, coulant en permanence, remplissant des bassins ou des abreuvoirs.

Malheureusement pas d'irrigation possible sur ces surfaces trop grandes pour le débit des sources et le paysan doit se fier au ciel et à sa mansuétude pour faire pousser le blé et l'herbe.

Naturellement, il n'est pas à l'abri des aléas de la nature et il connaîtra successivement des étés pourris où il aura des difficultés à sécher le foin ou à moissonner - quelque violent orage ayant couché son champ  de blé - et des saisons d'une telle sécheresse que la récolte de foin sera maigrichonne et les blés rabougris. Mais le paysan, rompu à ces cycles météorologiques, a engrangé une telle philosophie qu'il s'insurgera rarement contre les éléments. Il fera pousser ce qu'il pourra et il élèvera son bétail au mieux, vendant si nécessaire les animaux qu'il ne pourra pas nourrir pendant l'hiver.

Son bétail, justement, de quoi se compose t-il ? C'est pratiquement toujours un petit troupeau de moutons, je devrais dire de brebis, de 30 à 90 têtes en moyenne. Ce troupeau sera le principal rapport du paysan mossétois grâce à la laine, les agneaux, soit de lait, soit broutards, quelques vieilles brebis destinées à la boucherie, dont il se débarrassera car il faut renouveler sans cesse le cheptel. La plupart des brebis auront deux portées par an, soit deux agneaux car rares sont les jumeaux. Il adjoindra souvent aux brebis quelques chèvres qui apporteront également leur progéniture, les chevreaux de printemps, et surtout le lait. Le lait de chèvre est excellent pour cailler et faire des fromages, tantôt frais, tantôt secs et salés.

Au mois de mai, dans les cortals, il va y avoir un moment important, c'est la tonte du troupeau. Cette opération qui consiste à débarrasser les moutons de leur laine, avant l'été, s'effectue une fois par an. En fonction de l'importance du troupeau, le propriétaire ne pourra assumer seul cette tâche. En conséquence, il fera appel à des "tondeurs" qui vont de ferme en ferme. La tonte s'effectue à la main, soit avec des ciseaux soit avec des tondeuses.

On trouvera, sur chaque exploitation, au moins une paire de vaches. Vaches de trait nécessaires aux labours et parfois au transport à l'aide de traîneaux fabriqués sur place. Les charrettes sur roues n'ont pas encore pu franchir les chemins muletiers. On trouvera également, au cortal, les volailles assurant l'approvisionnement en œufs frais et en poussins qui, devenus poulets, agrémenteront quelques repas de fête.

Le ou les cochons pourront également venir rejoindre cet ensemble d'animaux et passeront l'été à la montagne avant de venir terminer l'engraissement au village. Je reviendrai sur les cochons dont la mise à mort sera le temps fort de l'hiver.

Naturellement, tous les déplacements, hommes et bêtes, se font à pied car, en dehors de la route qui serpente le long de la vallée, seuls les chemins muletiers, non carrossables, relient le village aux cortals. Tout le transport s'effectue par bête de somme : mulets et ânes, ces deux animaux étant spécialement adaptés au transport en montagne. Le mulet surtout, susceptible de porter de lourdes charges et d'un pied d'une sûreté absolue, sera largement exploité. N'a-t-il pas été, d'ailleurs, largement utilisé par l'armée dans ses unités de montagne ?

En l'absence de ces deux "transporteurs" ce sera à l'homme d'y suppléer, et son dos portera des quantités de bottes de foin, des sacs de pommes de terres, de betteraves, de blé. En somme nous ne verrons jamais un paysan ou une paysanne circuler les mains dans les poches. Il y a toujours quelque chose à porter d'un endroit à un autre, en petite ou en grande quantité. Il n'est pas rare de voir une vieille femme, seule dans la vie, porter un fagot de bois sur son dos car le feu de bois est la seule façon de chauffer la maison, le four et de cuire les aliments.

Plus tard nous verrons comment les paysans s'organiseront pour élargir les chemins muletiers et permettre ainsi aux charrettes de transporter de bien plus grandes quantités de produits, ces charrettes étant toujours tirées par une paire de vaches.

Cette vie agricole est donc organisée, depuis des générations, d'une façon immuable, alternant, avec plus ou moins de succès, récoltes et élevage.

Les bovins du village, lorsqu'ils ne sont pas nécessaires aux travaux, sont envoyés, en été, en pâturage de haute montagne. Ils constituent ainsi deux troupeaux placés sous la garde de vachers qui n'ont rien à voir avec les cow-boys des westerns américains. Ils n'ont ni le cheval ni le colt à la ceinture. La nomination de ces vachers se fait au début du Printemps, par appel d'offre, la transhumance ayant lieu en mai.

Ces deux troupeaux, utilisant les pâturages communaux, sont basés, l'un près du col de Jau, au Saouca et l'autre à Escales et comptent entre 70 et 150 têtes : des vaches, quelques jeunes veaux et un seul taureau, roi du troupeau, pour éviter les conflits entre mâles. Ces bêtes estiveront jusqu'aux premiers frimas, fin octobre, début novembre. Bien entendu cette garde est payante et les quotes-parts réparties au nombre de têtes. La relative importance de ces troupeaux est due au fait qu'ils accueillent, en sus, les animaux des deux villages voisins de Mosset, Campome et Molitg, ces deux communes ne possédant pas de pâturage.

Tout ce qui est payant est contraire à l'esprit paysan et celui qui dispose de suffisamment de pâture n'enverra pas ses bêtes au troupeau communal.

Le paysan est économe par atavisme et par nécessité car il est pauvre. Bien sûr il y a de vrais pauvres qui sont encore plus pauvres que la moyenne, et des "riches" qui sont, tout simplement, moins pauvres que les autres. Ces derniers ont un peu plus de bien, davantage de terre, mieux placée ou plus productrice. Disons qu'ils sont un peu plus à l'aise que leurs voisins, qu'ils pourront peut-être aller plus souvent chez le boucher ou l'épicier et que leur armoire aura quelques chemises et quelques draps en plus, mais la différence n'est pas ostentatoire.

Il existe cependant quelques indigents dans la commune et l'un des soucis de la Municipalité, tous les ans, est de dresser la liste des personnes qui, en cas de maladie, devront recevoir des soins gratuits.

Le paysan utilise toujours les outils qu'utilisait son grand-père et sa dotation en outillage n'est jamais bien riche. Pour les foins, la faux naturellement, quelques fourches souvent en bois, fabriquées par lui-même ; pour les champs, la vieille araire tirée par une paire de vaches, la bêche, quelquefois la pioche, éventuellement une pelle ; la faucille et le fléau pour le battage, la binette pour le sarclage et le binage. En somme des outils peu onéreux, d'un entretien ou d'un remplacement faciles.

Nos paysans éleveurs sont assez adroits pour fabriquer avec les végétaux locaux : fourches, paniers, corbeilles. Ils ont suffisamment de connaissance pour s'occuper de leur bétail sans l'aide du vétérinaire. Ce dernier, toujours par économie, ne sera appelé qu'en cas d'extrême nécessité. La connaissance se transmet de père en fils, l'expérience faisant le reste. Quelques initiés ont encore des capacités complémentaires comme, par exemple, savoir saigner un cochon ou châtrer veaux et agneaux.

Le paysan n'achète pas d'engrais, encore l'économie, et d'ailleurs n'a-t-il pas, dans son étable, le meilleur engrais naturel qui soit : le fumier. Il engraissera sa terre avec ce fumier mais il lui coûtera beaucoup d'efforts pour le transport qui se fera souvent à dos de mulet, en attendant la charrette. Il utilisera, pour ce faire, un double panier profond en osier placé de part et d'autre du bât appelé "las esgourbeilles".

Comment cette vie agricole, si stable jusque là, va-t-elle évoluer au cours du siècle, jusqu'à un bouleversement total ? Nous allons tenter de suivre le cours de cette évolution.

 
Mis à jour le 13/02/2018
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