Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - Alimentation - Histoire de Mosset

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Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - Alimentation

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ALIMENTATION


Comment se nourrit-on à Mosset au début du 20 siècle ? Depuis longtemps les deux légumes de base sont la pomme de terre et le haricot sec. Chaque famille produit ces deux légumes en quantité suffisante pour faire la soudure d'une année à l'autre.

La pomme de terre est, de loin, l'aliment le plus utilisé. On en mange au moins une fois par jour sinon deux. Nos ménagères sont passées maîtresses dans l'art d'accommoder les "patates" de toutes les façons. Il faut dire que le terroir mossétois produit une pomme de terre d'excellente qualité et des haricots blancs d'une saveur appréciable. Après plusieurs mois passés dans nos caves ou nos greniers, ces deux légumes conservent une fraîcheur et un goût inaltérés. Le paysan sait empêcher les pommes de terre de germer, ce qui les rendrait impropres à la consommation. D'ailleurs il n'utilise pas sa production pour ensemencer son champ, il achète la "patate" de semence afin que la qualité ne dégénère pas. Parfois il observe même les phases de la lune pour décider de la date de l'ensemencement.

S'ajouteront à ces deux aliments de base, notamment en été, les quelques légumes du jardin : tomates, haricots verts, petits pois, courgettes, aubergines, salade, carottes, poireaux, céleri, petits navets. L'ail et l'oignon sont conservés, pendus au grenier. Ces quelques légumes frais viendront, à propos, rompre la monotonie du couple patates-haricots.

Mais l'aliment permanent demeure le pain. Le pain pour lequel le paysan professe un grand respect. Le pain c'est la vie. Ne dit-on pas "Tant qu'il y aura du pain à la maison on ne crèvera pas de faim". Le pain est un aliment sacré et le paysan considérerait comme un grave péché le fait d'en jeter un morceau. Ce pain de campagne va accompagner tous les autres aliments. On mange du pain avec tout le reste et les parents ne manquent pas de répéter à leur progéniture : "Mangez du pain, mangez du pain".

Le pain est fabriqué à la maison et c'est un travail essentiellement féminin. La maîtresse de maison, disposant de la farine que Gotanègre va rendre au propriétaire, après mouture, va pétrir environ une fois par semaine et cuira le pain dans son four. Ce qui signifie que chaque maison est munie d'un pétrin, qu'il y ait fournil ou pas, et d'un four suffisamment grand pour y cuire une fournée de 20 à 30 kg de pâte, répartie en miches de 3 à 4 kg.

La fabrication de ce pain prend beaucoup de temps à nos ménagères et c'est la raison qui fait qu'un tel travail ne peut pas se renouveler quotidiennement. Il faut pétrir à la main, travail dur et fastidieux, laisser monter la pâte, chauffer le four au feu de bois, préparer les miches, enfourner, surveiller la cuisson, pour obtenir enfin ce pain de campagne. Bien entendu, ce pain ne sera tendre que pendant un jour ou deux et ce sera ensuite du pain bis mais il se conservera très bien et, après une semaine, il aura gardé suffisamment de souplesse pour être agréable à la consommation.

Il faut croire que ce pain avait de réelles qualités puisque de nos jours nos modernes boulangers cherchent à recréer ce pain de jadis. Ne nous proposent-ils pas du pain de campagne, du pain à l'ancienne, du pain de seigle, du pain complet, du pain au son. L'homme a beau progresser, il lui arrive d'avoir la nostalgie des bonnes choses du passé.

Beaucoup de nos fours à pain ont disparu, cependant il en reste encore suffisamment dans le village pour se rendre compte de leur existence et de la façon dont ils étaient construits.

Si vous vous promenez un jour dans les rues de notre village vous apercevrez encore, sur nombre de façades, une excroissance qui n'est autre que le four à pain. L'ouverture de ce four, dont la profondeur voulait qu'il sorte largement du mur, se trouvait traditionnellement près de l'âtre afin qu'il soit alimenté à partir du bûcher, et vidé, enfin chaud, de ses cendres destinées au cendrier. Chaque cuisine possédait un cendrier car la cendre était destinée à servir les jours de lessive. Je reparlerai de cette utilisation.

L'opération pain se renouvelait tous les huit jours et ce n'était pas la moindre des responsabilités de la maîtresse de maison. Une fournée mal levée, pas assez ou trop cuite, et c'était une semaine de punition pour toute la famille qui ne ménageait pas ses critiques. Mais nos paysannes étaient tellement expertes en la matière que ces incidents étaient très rares.

Le dernier grand chaînon de l'alimentation paysanne était le porc. Cet animal a la rare propriété de faire que la totalité de son corps est consommable. Dans un cochon, on ne jette réellement que le contenu de l'intestin et de la vessie. Tout le reste, y compris la peau, sera utilisé tout au long de l'année, soit comme nourriture directe, soit pour agrémenter les préparations culinaires.

Mais ces animaux, avant de les voir arriver sur la table familiale sous forme de nourriture, il fallait les élever, les nourrir, les engraisser, pour en obtenir le maximum. C'était encore là le rôle de la ménagère et je vous assure qu'elle ne ménageait pas sa peine pour arriver au meilleur résultat.

Mosset ne connaissait pas la reproduction de la race porcine; en conséquence les cochons étaient achetés tous jeunes, dès le mois de février, pour n'être tués qu'en fin d'année. La coutume voulait que la nourriture de ces animaux soit cuite : pommes de terre, betteraves, navets, tout était cuit dans un grand ustensile, le "parol" ou 1"ouille" qui servait également à transporter cette nourriture jusqu'à l'auge. La ménagère disposait également de son, en provenance du moulin, et de maïs pour compléter cette alimentation.

Le but étant d'amener les cochons à leur poids maximum en automne, il fallait rassasier ces bêtes, non pas avec des aliments artificiels comme dans les élevages intensifs de nos jours, mais avec ce que la nature ou les champs voulaient bien produire. Les compétitions étaient rudes dans le village, chaque paysanne essayant de battre ses voisines lors de la pesée qui aurait fatalement lieu à l'abattage. Les cochons étaient ainsi amenés à un poids net se situant dans une fourchette de 150 à 200 kilos. Il n'était pas rare que ce dernier poids soit dépassé et c'était tout à l'honneur de la ménagère.

Quand arrivait l'automne, dans les familles nombreuses, les provisions et cochonnailles se raréfiaient et il arrivait qu'il faille abattre un cochon plus tôt que prévu. Lorsqu'il n'y avait plus de jambon, de saucisson, de petit salé, de lard, et que la graisse commençait à se faire rare, on se décidait, un peu plus tôt, à l'abattage. Naturellement, la soudure serait d'autant plus difficile l'année suivante.

Quoi qu'il en soit, "al mata dal porc", littéralement "le tuer du cochon", était une fête dans la famille. D'abord parce qu'il y avait un cérémonial à respecter, ensuite parce qu'on invitait famille ou amis, enfin parce que, parfois, le besoin se faisait sentir de disposer de viande fraîche.

Dès l'aube, quelquefois par temps froid, sous la neige, quatre ou cinq gaillards extrayaient l'animal de la soue, l'amenaient sur le "trouil", longue cuve renversée, et c'était la mise à mort. Un spécialiste plongeait son immense coutelas dans la gorge de la bête, de façon à trancher l'aorte et le sang giclait dans une bassine où la ménagère le malaxait pour éviter la coagulation.

Depuis l'aube, également, un grand feu ronflait dans la cheminée et, suspendue à la crémaillère, l'eau bouillait dans le parol. L'animal mort, on retournait le trouil et à l'intérieur on ébouillantait le cochon pour, à l'aide de racloirs, le débarrasser de ses soies (poils). Il n'y avait plus qu'à le pendre par les pattes postérieures pour le vider. Cette opération était menée par le "tueur" qui opérait avec art et dextérité. Dans une corbeille la maîtresse de maison recueillait les intestins, nécessaires à la fabrication des saucisses, saucissons et autres boudins et deux ou trois femmes partaient immédiatement laver cette tripaille au ruisseau. La vessie était lavée et gonflée comme un énorme ballon de rugby et mise à sécher. Elle serait en temps opportun remplie de graisse. Le spécialiste retirait enfin les poumons, le foie et le cœur et ce n'est qu'alors qu'on procédait à la pesée. Les supputations allaient bon train et on engageait des paris sur le poids à venir : -" je pense qu'il ne va pas dépasser les 170" – "mais non il fera environ 180", l'enjeu étant simplement un verre supplémentaire, voire un apéritif.

Tous ces efforts accomplis, chacun éprouvait le besoin de se restaurer.  Les femmes avaient fait le nécessaire, la table était mise, on servait alors un copieux repas où l'on commençait à déguster quelques parties de l'animal dont le foie. Trônait au milieu de la table, un énorme aïoli, très fort, car il ne fallait pas ménager l'ail, et qui avait été préparé la veille au soir. Cet aïoli faisait partie du cérémonial et, sans lui, la fête n'aurait pas été complète.

Après ce confortable déjeuner les hommes disparaissaient, attirés à l'extérieur par leurs occupations spécifiques : travaux divers et surtout le bétail et laissaient la place aux femmes qui allaient entreprendre une grande journée de labeur, la cuisine étant transformée en laboratoire de charcutier.

Dans cette première journée on faisait fondre les parties grasses de l'animal, le saindoux étant utilisé toute l'année dans la cuisine mossétoise. L'huile n'était utilisée que pour les salades et quelques préparations ponctuelles, la matière grasse de tous les jours était la graisse de cochon, produit maison, alors que l'huile il fallait l'acheter.

L'après-midi était consacré à la confection et à la cuisson du boudin noir, mélange de sang et de chairs plutôt grasses. Sur le feu, toutes les parties grasses de l'animal fondaient et la graisse était recueillie dans de grandes jarres tandis que les graillons serviraient à faire les boudins blancs. Ces boudins blancs étaient une spécialité régionale. On y utilisait de meilleures viandes que dans le boudin noir et le sang était remplacé par des œufs. On avait gardé ces œufs depuis quelques semaines et ce boudin était la production la plus délicieuse de la charcuterie familiale.

Cette journée s'achevait par le repas du soir qui était un véritable repas de fête. Autour de la table, les mêmes invités que le matin et sur la table un menu traditionnel. D'abord le riz au gras bien relevé au poivre, suivi d'un ragoût de navets, agrémenté des côtelettes du porc, souvent une volaille ou un lapin rôtis, une salade de céleri qui avait été enterré au jardin dès l'automne, et, comme dessert, un boudin noir rôti.

Le deuxième jour était consacré au découpage du cochon et à la fabrication du saucisson et des pâtés. Le chef de famille découpait la bête dès l'aube, taillait les jambons, les épaules, le petit salé (ventrèche), le lard, les côtes et tout était mis au sel. L'opération salage durait d'ailleurs quelques jours. De la réussite de cette opération dépendait la conservation. Il n'aurait pas fallu qu'un jambon mal salé ne se conservât pas. Cela aurait été une catastrophe car c'était une pièce de 14 à 18 kg. Je me souviens que les tranches de jambon coupées au couteau n'avaient qu'un lointain rapport avec les tranches "papier à cigarettes" de mon charcutier d'aujourd'hui.

Enfin la charcuterie allait être pendue au cellier pour le séchage et la mise en consommation durant toute l'année.

Vous comprendrez, après cela, que l'étal du boucher ne soit pas tellement fréquenté et qu'il avait besoin, pour vivre, d'autres ressources que celles de sa boutique. Tout comme les épiciers qui ne fournissaient à la population que les produits strictement nécessaires qu'elle ne pouvait pas produire elle-même : huile, café, sel et poivre, fromage, (le déjà célèbre Roquefort), boîtes de conserves telles que thon ou sardines, les espadrilles qui chaussaient les paysans durant l'été, etc.

Au sujet du café, je me souviens que nos épicières l'achetaient vert et elles le faisaient griller dans leur "grilloir" spécial à même la rue. Cet arôme de café grillé attirait les enfants qui parfois se rassemblaient près de l'épicière en train de tourner sa machine.

Une pareille alimentation serait aujourd'hui fort décriée par nos modernes diététiciens. Pensez, comment garder la ligne avec féculents, pain et porc ? Et pourtant nos paysans ne mouraient pas plus tôt que les citadins et n'avaient pas plus de maladies et ne connaissaient pas l'obésité. Il est juste de dire qu'ils avaient l'occasion, à longueur d'année, d'éliminer toutes les toxines, car rares étaient les jours où ils ne "mouillaient pas la chemise" et ils ne connaissaient le confort des fauteuils que par ouïe dire.

Le repas principal dans les familles était le repas du soir qu'on appelait "souper" car on y servait la soupe. Soupe à l'oignon, au serpolet, à l'ail, au chou, quelquefois aux vermicelles et le dimanche le pot-au-feu. Ce souper rassemblait l'ensemble de la famille autour de la table, alors que les autres repas de la journée, petit déjeuner, casse-croûte, dîner à midi, voyait la famille disséminée aux champs, à la ferme.

Ces paysans du début du siècle ont aujourd'hui disparu et c'est tant mieux. Ils n'auraient pas supporté les changements qui se sont produits dans leur village, mais surtout ils n'auraient pas compris l'abandon de ces terres sur lesquelles ils s'étaient échinés durant leur vie pour nourrir la famille, dans des conditions de dignité et de droiture qui faisaient leur honneur.

Le paysan poète, celui qui aimait sa terre, qui regardait, avec un certain amour, pousser sa récolte, celui qui se disait grand cuisinier (plutôt grand nourricier) parce qu'il nourrissait la terre, les animaux et les hommes, a quitté définitivement nos montagnes pour cultiver désormais les terres du Bon Dieu.  Adieu braves paysans, soyez heureux dans l'autre monde.

 
Mis à jour le 13/02/2018
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