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L'EAU
J'ai parlé de l'irrigation des champs et jardins et de l'importance de cette opération. Cependant les canaux ne présentent pas une garantie maximale. Le long de la vallée, en amont, les prises d'eau à la rivière sont individuelles. Un semblant de barrage en pierres et branchages et un canal taillé à même la terre suffisent à l'irrigation des quelques surfaces cultivables dont dispose le propriétaire. Ces canaux ne présentent guère d'étanchéité car la terre s'imbibe et les taupes creusent de nombreuses galeries par lesquelles l'eau va s'échapper. Mais enfin, tant bien que mal, le fermier arrivera à ses fins car il dispose de cette eau à longueur de temps.
Il n'en sera pas de même des canaux de la ville qui courent sur plusieurs kilomètres et qui devraient être autrement entretenus. La commune y effectue, tous les ans, de nombreux travaux de nettoyage et de consolidation mais les vannes sont parfois de simples planches qu'il faut sans cesse étayer. Les terres près de la prise d'eau bénéficient du plein mais plus on s'éloigne vers l'aval et moins il y a d'eau dans le canal. On peut dire que les pertes, en bout de course, sont de l'ordre de cinquante pour cent.
Plus on avancera dans le siècle et plus on consolidera les canaux, en bétonnant lorsque nécessaire, et en mettant des vannes plus hermétiques mais on n'évitera jamais un certain pourcentage de pertes.
Tout ceci concerne les terres irrigables mais le village comment est-il alimenté en eau potable ? Mal, deux ou trois fontaines seulement pour une population de 800 âmes ; de l'eau potable mais qui n'a sans doute jamais été analysée. On en consomme depuis des temps immémoriaux et apparemment la population ne semble pas en souffrir. Alors les analyses...
Il y a la fontaine de la place "San Julia" où s'alimente tout le bas du village et la fontaine de la "Place de dalt" pour le haut. Il faut donc aller chercher l'eau à la fontaine à coup de seaux et de cruches et ce n'est pas la moindre des corvées qui doit se renouveler plusieurs fois par jour. Aussi on est économe de cette eau, bien que les fontaines coulent en permanence, ce qui aura une influence certaine sur l'hygiène de la famille : absence de pièces d'eau, encore moins de salles de bains, pas plus que de toilettes.
De nos jours, un tel mode de vie archaïque paraît impossible, et pourtant, nos paysans se portaient bien et, encore une fois, il ne semble pas que la santé rurale ait eu à en souffrir.
Et il n'y avait pas que la consommation familiale de l'eau, il fallait aussi laver le linge. Pour cette opération, on se rendait soit au ruisseau, soit au canal de la Ville où des lavoirs étaient aménagés. S'ils présentaient l'avantage de pouvoir laver en eau vive, par contre nos ménagères devaient se mettre à genoux et, armées du battoir, laver et rincer au ras du sol.
Pour la grande lessive, où on lavait une montagne de linge de maison, les ménagères procédaient autrement. Après une mise en savon, elles rangeaient le linge, notamment les draps, dans une grande lessiveuse (la samal). Une toile épaisse était ensuite posée dessus, toile sur laquelle on étendait une couche de cendre. Sur le feu l'eau bouillait dans l'ouille et la ménagère passait l'après-midi à ébouillanter sa lessive à travers la cendre qui avait le pouvoir de blanchir le linge. Le lendemain, il ne restait plus à nos paysannes qu'à retourner au lavoir du canal pour un dernier lavage et rinçage. Elles pouvaient, dès lors, étendre cette blanche lessive sur les rochers, au-dessus du canal, où le grand soleil ferait le reste.
Pour les animaux, quelques abreuvoirs étaient aménagés, notamment à la Toumase, au Congoust ou près du Portal de Sainte Madeleine, sinon le canal et le ruisseau qui en descendait étaient toujours utiles.
Mais, pas plus à la campagne qu'à la ville, on n'arrête le progrès et il fallait bien qu'un jour la Municipalité décide de régler ce problème de l'alimentation en eau de la commune.
Après la construction de l'école et la mise en route de l'usine électrique, le nouveau grand projet sera le Projet Fontinal ou projet d'adduction d'eau potable.
Dans un premier temps, ce projet va être contrarié par une autre priorité et, dans une petite commune, on ne peut pas se permettre d'envisager plusieurs dépenses importantes en même temps. En effet, on s'est rapidement rendu compte que l'usine électrique ne peut fonctionner avec la seule eau de la rivière. Dès la mise en irrigation des cultures, c'est-à-dire dès le printemps, si ce dernier n'est pas pluvieux, le niveau de la Castellane baisse et la chute d'eau de l'usine est insuffisante pour faire tourner la turbine. Les familles se sont habituées au confort apporté par l'électricité et le fait de ne plus être éclairées, au moins pendant deux mois et souvent davantage, présente dès lors un sérieux inconvénient. C'est toujours un problème d'eau, et dès 1923, on envisage d'améliorer la chute d'eau de l'usine. Par ailleurs, le conseil municipal vient de s'apercevoir que, malgré l'honnêteté légendaire des paysans, il y avait quelques tricheurs au sujet de la consommation d'électricité. Le manque à gagner pour la commune est de l'ordre de 2.000 francs par an. Il est donc décidé de poser des "limiteurs" de consommation.
Cependant le problème de la sécheresse d'été n'est toujours pas résolu. Après de multiples projets et contre projets, le conseil municipal va opter pour l'achat d'un moteur diesel pour faire tourner la turbine en été. Finalement, ce n'est qu'en 1928 que ce moteur sera acquis pour la somme de 24.250 francs ce qui va entraîner une augmentation de l'abonnement : la "bougie" (watt) passe de 1 franc à 1,50 francs par an.
Nous aurons donc de l'électricité toute l'année. Hélas! Le moteur ne sera pas aussi fiable qu'on aurait cru et va tomber souvent en panne. Il faudra "faire avec" pendant encore une vingtaine d'années, car ce ne sera qu'en 1947 que Mosset sera raccordé au réseau EDF.
Mais revenons au Projet Fontinal que j'ai failli perdre de vue. On commence à s'y intéresser dès 1920, la Municipalité Monceu demande une étude géologique et bactériologique de la source à capter. Mais la gestation sera longue car la somme à investir est considérable pour une petite commune. On va mettre de l'argent de côté, on va demander des subventions, on fera des emprunts et les années passeront. Il est d'ailleurs remarquable de constater que les projets, quelle que soit l'importance de la commune, s'inscrivent toujours dans la durée. C'est peut-être encore plus vrai pour les grandes villes que pour les villages.
Ce projet n'est pas tellement ambitieux car il s'agit, tout au moins dans un premier temps, de doter la commune de bornes fontaines, de lavoirs et d'abreuvoirs. Il n'est pas question de distribution d'eau dans les maisons. Cependant la multiplication des fontaines présente l'avantage considérable d'amener l'eau au plus près des consommateurs ; les lavoirs permettront aux ménagères de laver dans de meilleures conditions de confort ; plus de lavage à genoux et dans des lavoirs couverts.
Comment va t-on procéder ? Il s'agit de capter une source un peu plus haut que le village au-dessus du Canal de la Ville, d'amener cette eau dans un grand réservoir construit sur l'emplacement d'un jardin, toujours au-dessus du village, enfin de distribuer l'eau au réseau des fontaines, lavoirs et abreuvoirs. Enfin, parti d'une idée de 1920, le "projet" va voir le jour en 1929 et, comme l'inflation existait déjà à l'époque, il est évident que son coût a dû être multiplié par deux ou trois.
Dans les années qui vont suivre, nos paysans comprendront vite que, si l'eau coule bien dans les tuyaux, il serait possible de l'amener jusqu'à l'évier. Les branchements individuels vont donc commencer. On pensera d'abord à l'évier car, pour l'instant, il n'y a pas d'installations sanitaires mais on s'habitue tellement vite aux commodités que ces installations vont se multiplier jusque vers les années 50/60. D'autant plus que les maisons se modernisent et que de nouvelles sont construites. Le résultat sera une surconsommation qui mettra en évidence la faiblesse de la source. Les municipalités de l'époque vont être confrontées à ce problème mais nous verrons plus tard qu'elles sauront le résoudre à la satisfaction générale.
Nous notons également que, dans les années 30, on amènera l'eau d'abord à l'école puis à la poste.
Ce problème de l'eau nous prouve que le 20 siècle aura été déterminant pour le progrès rural. Nos villageois, en la matière, sont passés du Moyen-Age aux temps modernes.