Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - Les Métiers - Histoire de Mosset

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Le vingtième siècle d'un village pyrénéen - Les Métiers

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LES MÉTIERS


A
u début ils étaient : maçon, menuisier, forgeron, tailleur de pierre, cordonnier, maréchal-ferrant, sabotier, cafetier, aubergiste, épicier, buraliste, boucher, barbier, puis, avec le temps, ils ont disparu sans avoir formé d'apprentis ; ils n'avaient pas de successeurs, ou ces derniers n'étaient pas intéressés et les ateliers, les échoppes, les commerces, ont disparu. Seuls restent aujourd'hui l'épicerie d'Yvette et la boulangerie de l'autre Yvette. Et qui les remplacera le jour où elles décideront d'arrêter ?

Pourtant qu'il était florissant notre village avec tous ses artisans ! Les menuiseries des frères Arrous, de Borreil, d'Estève qui fleuraient bon les copeaux. Tout ce qui était bois était l'œuvre de ces artistes du rabot, du ciseau et de la varlope. Les buffets, les armoires, les lits, les tables, les chaises, les planchers, les escaliers, droits ou tournants, des berceaux mais aussi des cercueils, rien n'était fait à l'extérieur du village. De bons ouvriers, d'ailleurs Pierre Arrous n'était-il pas Compagnon du Devoir car il avait fait le tour de France des Ouvriers.

Et les cordonniers : d'abord Dirigoy (Fourriques), puis Joseph Surjous, autres artistes de l'alène, du cutter, du fil passé à la poix, de la machine à coudre le cuir ; combien ont-ils fabriqué de paires de souliers usés sur les chemins de montagne ou dans les champs de labour ? Plus d'échoppe, plus de cuir, plus de souliers.

Et nos maçons : les deux Isidore, Grau et Monceu, qui se sont promenés sur tous les toits du village, qui ont redressé tant de murs, plafonné tant de pièces, utilisé tant et tant de tonnes de chaux, de ciment, de plâtre, de peinture. Ils savaient tout faire : non seulement monter des murs, mais ils étaient, à l'occasion, carreleurs, peintres, charpentiers, couvreurs. Les deux maçons travaillaient séparément, en concurrence pourrait-on dire, mais, si la nécessité s'en faisait sentir - gros chantier, urgence - ils n'hésitaient pas à unir leurs efforts.

Ils ont eu un successeur digne d'eux en la personne de Georges Oliva qui assura pendant des années encore l'entretien du village à la grande satisfaction de ses habitants. Mais l'heure de la retraite a également sonné pour Georges et désormais il faut faire appel aux maçons "étrangers".

Autres ouvriers accomplis, nos forgerons. Il y avait une vieille tradition de forgeron à Mosset, la vallée de la Castellane ayant compté de nombreuses forges dans le passé. Mais au début du siècle la plus grosse activité du forgeron consistait à ferrer les animaux : ânes, mulets, chevaux, vaches ou bœufs. Tous ces animaux utilisés au transport ou au trait devaient être "chaussés" de fer car la corne du sabot s'usait vite sur les chemins de montagne. Le maréchal-ferrant, véritable expert, savait adapter les fers à chaque bête. On peut dire que dans sa forge les fers étaient répertoriés en fonction de l'animal à ferrer. Comme il connaissait tous les animaux du village, il savait d'avance le type de fer qu'il allait employer. L'âne de Cabrit, le mulet de Galdric, le cheval de Bentoure, avaient, évidemment, des sabots différents et Bousquet ou Jean Borreil, nos deux derniers "farrers" ne pouvaient pas attendre la présence de l'animal pour fabriquer les fers, ils avaient donc en stock ces fers adaptés à chaque cas.

C'était encore un spectacle, surtout pour les enfants, que de voir le maréchal œuvrer sur les sabots d'un cheval. La pose du fer rouge pour égaliser la sole du sabot, la taille faite avec une grande dextérité, enfin la pose du fer et la fixation par les grands clous spéciaux, sans blesser l'animal. Les effluves de la corne brûlée, les tintements du marteau sur l'enclume, le halètement du soufflet de la forge faisaient partie de l'atmosphère du village.

Dans les journées neigeuses ou pluvieuses du cœur de l'hiver, la forge de Jean Borreil ne désemplissait pas d'hommes désœuvrés qui venaient passer un moment au chaud, tout en débattant des travaux et de l'actualité. Cette présence n'empêchait pas Jean de travailler et il se trouvait toujours quelqu'un pour lui donner un coup de main, pour marteler, à la grosse masse, un morceau de fer rougi au feu. Le forgeron fabriquait la plupart des outils du village : houes, bêches, pioches, binettes, socs de charrue, comme des ferrures de maison : barreaux de fenêtres, balcons, et tout ceci avait également besoin d'entretien. Il y avait toujours des outils entreposés à la forge que les paysans venaient récupérer, en général, le soir.

Jean habitait au-dessus de la forge et il suffisait de l'appeler pour se faire livrer un outil. Cette disposition donnait des idées aux gamins toujours en quête de quelque niche à faire. En passant devant la forge nous entrions et, en grossissant la voix nous criions : "Jean, descend !", on se sauvait et de loin, on voyait Jean passer la tête dehors pour essayer de surprendre l'espiègle qui l'avait dérangé.

Jean a disparu et Yvette, sa fille, a transformé la forge en épicerie et le parfum du fromage ou du chocolat a remplacé celui de la corne brûlée et du fer rougi et le tintement du marteau sur l'enclume a été remplacé par la "rumeur".

Yvette me fait justement penser aux épicières. Elles étaient trois : la Marie Rousse, la Marie Garrigo et las Sabateres. Ces dernières ainsi appelées parce qu'il s'agissait de l'épouse et des filles du sabater (cordonnier) Dirigoy qu'on appelait "Fourriques". D'ailleurs, leur nom a été donné à la rue qu'elles habitaient : Carrer de las sabateres. Quant aux deux Marie elles avaient simplement, comme c'était l'habitude dans le village, conservé leur nom de jeune fille, alors qu'il s'agissait de Mme Arrous et Mme Bousquet. Par ailleurs chez la Marie Rousse c'était Mathilde Payri, la fille de Marie, qui était la vraie patronne, mais les mossétois continuaient d'aller "chez la Marie Rousse", avant de se décider enfin à aller "chez Mathilde".

Nos épicières approvisionnaient le village en produits indispensables : sel, poivre, fromage, huile, bonbons, biscuits, chocolat, quelques fruits, balais en paille de riz - le balai courant des ménagères - espadrilles, tabliers, enfin pas de quoi s'enrichir. Aussi, si l'épicerie était fermée, c'était que l'épicière était au jardin pour ensemencer, biner, sarcler, arroser, faire pousser les légumes pour la table et pour le cochon.

Puis nos épicières ont disparu, les épiceries ont fermé, malgré une tentative de reprise chez Mathilde, et il est heureux qu'Yvette ait eu l'idée de prendre le relais des "Sabatères" dans son épicerie moderne. Yvette est toujours là en cette fin de siècle, mais pour combien de temps encore ? Il serait dommageable de voir disparaître ce commerce qui donne de la vie au village. Les moyens modernes de communication permettent de se déplacer rapidement et en quelque vingt minutes on peut se rendre à Prades, où tous les commerces existent, même les supermarchés, mais l'épicerie d'Yvette, par sa seule présence, est un des éléments clés de l'animation de la commune.

Ne serait-ce que pour un litre de lait ou une boîte de sardines on va chez Yvette, plus tellement pour la boîte de sardines, mais pour rencontrer quelqu'un ou pour avoir des nouvelles car, forcément, c'est Yvette qui détient le maximum d'informations puisque les échanges se font dans sa boutique. Et puis il y a Joseph, son mari, qui est chargé de l'approvisionnement et à qui on peut demander éventuellement un service supplémentaire qu'il sera heureux de rendre.

Les cafés ou débits de boissons ont connu un sort semblable à celui des épiceries. Au début du siècle on allait "chez la Noze" qui n'était autre que Mme Gabriere. Je crois pouvoir dire que cet établissement avait une réputation "anormale" pour un village de montagne. Il semble qu'on y jouait beaucoup, et pas seulement quelques centimes, ce qui donnait à cette maison une allure de tripot où auraient été contractées quelques dettes retentissantes.

Plus tard les deux cafés qui se partageaient la clientèle de nos villageois furent le "Café Battle" et le "Café Arrous", deux concurrents, mais sans animosité, et la plupart des hommes fréquentaient les deux, généralement le samedi soir chez l'Adolphe et le dimanche chez Batlle. Pour les fêtes, l'orchestre jouait l'après-midi chez l'un et le soir chez l'autre.

Bien entendu ces établissements étaient déserts dans la journée, car seuls des "fainéants" auraient pu s'y trouver, les paysans étaient aux champs. Et en été ils étaient souvent déserts également le soir, leur clientèle étant éparpillée dans les fermes.

Battle avait développé un peu de restauration et d'hôtellerie, ce qui lui permettait de nourrir et de coucher quelques clients de passage. Comme il disposait également de la salle de bal, la fréquentation était assez régulière. Lors de fêtes marquantes la jeunesse avait l'habitude d'y réveillonner à l'occasion.

Les réveillons étaient quelquefois décidés d'une façon spontanée ce qui fait que la famille Battle n'avait pas forcément de quoi satisfaire les réveillonneurs. Dans ce cas les jeunes gens allaient chercher chez eux, avec ou sans l'accord de leur mère, un saucisson, du jambon, une poule ou un lapin. Le fils se faisait le voleur de sa mère parfois. Une fois les jeunes gens décident de faire un réveillon et comme Jeanne n'avait pas prévu, ils lui apportent deux poules à plumer et à préparer. C'était beaucoup de travail mais c'était aussi payant. Le réveillon s'est passé dans l'euphorie avec pas mal de boissons : apéritif, bons vins, café et liqueurs. Les Battle avaient un poulailler en face du village au-dessus de la route. Le lendemain lorsque Jeanne Battle alla donner à manger à ses poules, elle constata, stupéfaite, qu'il lui en manquait deux. Elle ne put que maudire ses clients de la veille mais çà n'allait pas plus loin.

Chez Adolphe il n'y a pas eu de succession, les enfants ayant quitté le village, et à la disparition du propriétaire l'établissement a dû fermer. Alors que chez Batlle, c'est Dominique Corcinos qui, en épousant Jeanne Batlle, fille unique, a pris la succession. Dominique rénovera le café, entreprendra de grands travaux, finira par supprimer la salle de bal pour en faire une belle salle de restaurant.
Mais Dominique vieillit et la population du village diminue, elle est passée de 800 au début du siècle à moins de 500 dans les années 40 et Dominique, qui s'est entre temps trouvé une activité de camionneur, finira par passer la main.

Quelques expériences malheureuses l'inciteront à mettre l'établissement en vente et finalement c'est la commune qui finira par l'acquérir pour le faire fonctionner en le donnant en gérance. Un établissement de cet ordre est un réel instrument d'animation pour le village. Devenu "Hôtel Restaurant de la Castellane" il verra passer de nombreux exploitants plus ou moins sérieux, mais il a le mérite de fonctionner encore et il est devenu, parallèlement, la cantine scolaire.

Devant les défaillances de ce type d'établissement, la municipalité de Louis Soler avait profité de la réfection de la Mairie sur la place pour faire une salle de bal et, ayant acquis l'ancienne échoppe du cordonnier, pour ouvrir le "Foyer Rural". Dans le même temps Michel Sarda avait ouvert "La Petite Auberge" sous le village, derrière l'église. Petit restaurant et quelques chambres qui permettaient d'avoir, au village, un endroit pour recevoir ou coucher quelques clients. Ce petit établissement était bien utile et il aurait pu profiter de la défaillance de l'autre pour se développer davantage mais Sarda s'est toujours contenté d'une exploitation réduite, et lorsque l'heure de la retraite a sonné, l'aubergiste a purement et simplement fermé la Petite Auberge.

Le bureau de tabac était en face de la boucherie. Au début du siècle la gestion des bureaux de tabac était très réglementée et l'État la confiait à des handicapés, notamment les victimes de la "Grande Guerre". C'était le cas de Gabriere qui avait donc cette exclusivité. C'était ce qui restait de l'établissement de "Chez la Noze", et il est évident que le faible débit ne permettait pas d'en vivre. Les fumeurs roulaient leurs cigarettes et donc le principal du commerce était le tabac gris. On disait "tabac gris" simplement parce que l'emballage était de couleur grise. D'ailleurs une vieille chanson du début du siècle dit "du gris que l'on prend dans ses doigts et qu'on roule…".Les fêtes permettaient d'y ajouter quelques cigares ou cigarettes. A la mort du père Gabriere, le tabac a continué à être tenu par sa fille Marie, communément appelée "Mimi Noze", et comme les autres, ce petit commerce a disparu avec la disparition de sa tenancière.

La boucherie appartenait à François Pujol qui fut pendant une assez longue période le maire de la commune. Le boucher non plus ne faisait pas d'affaires mirifiques. Les paysans essayaient de se suffire à eux-mêmes grâce à leurs produits et leurs animaux d'élevage : poules, œufs, lapins, un chevreau ou un agneau pour les éleveurs, et fréquentaient la boucherie dans les occasions exceptionnelles : pot au feu de temps à autre, fêtes ou réceptions nécessitant une pièce rôtie ou une blanquette, pas de quoi voir la boutique de Françoise Pujol, la bouchère, encombrée de clients. Cependant le boucher abattait un animal de temps en temps, pour les petites pièces, tandis que pour les grosses il s'approvisionnait à Prades. Là où François était utile par contre, c'était dans le cas d'un accident nécessitant l'abattage d'un animal. Comme j'ai eu l'occasion de le dire c'était alors la solidarité qui jouait. François Pujol n'aurait pas pu vivre de son seul commerce et comme beaucoup de mossétois il avait sa terre et son troupeau de moutons.

François a disparu après la dernière guerre et René Durand a pris la succession en ouvrant sa propre boucherie. Durand a bénéficié du changement d'époque et Denise, son épouse, avait fort à faire pour satisfaire une clientèle devenue importante. Ce changement et ce soudain engouement pour la boucherie avaient plusieurs raisons : moins d'élevage, moins de poules, disparition des cochons, donc de la charcuterie, réduction importante des chèvres du village provoquant du même coup la disparition du chevrier, et surtout, durant l'été, un accroissement sensible de la population grâce aux estivants. Dans les années 50/60 la population estivale de Mosset comptait jusqu'à 1500 âmes. Le commerce de René et Denise Durand était donc des plus florissants. René confiait à un berger un troupeau de moutons lui permettant d'approvisionner sa boucherie ; il pratiquait couramment l'abattage et surtout Denise fabriquait une charcuterie de premier choix. Parallèlement René, grâce à son fourgon, alimentait également les villages de Campôme et Molitg, ce qui faisait de lui, le commerçant le mieux achalandé du village, rien à voir avec le commerce de François Pujol.

Malheureusement René a disparu subitement, en plein essor, emporté par une crise. Ce fut un coup dur pour la communauté. Denise a bien essayé de tenir le coup quelque temps encore, aidée par un commis, mais finalement s'est résolue à fermer à son tour. Un boucher ambulant a pris le relais quelques années encore mais ses visites se sont espacées et voilà pourquoi les villageois s'approvisionnent aujourd'hui soit directement à Prades, soit chez Yvette qui détaille de la viande sur commande.

Voilà comment l'artisanat et le commerce d'un village de montagne disparaissent. Dopés par la présence des paysans, par leurs besoins, par l'absence de moyens de locomotion et de communication, ouvriers et commerçants ont bénéficié, jusqu'au milieu de siècle, d'un quasi-monopole. La disparition progressive des habitants de souche, le développement du progrès, l'arrivée de nouveaux séjournants aux habitudes nettement différentes, le départ de ceux qui auraient dû logiquement prendre le relais, ont causé la condamnation de l'artisanat et du commerce du village, représenté aujourd'hui par la seule présence de l'épicerie, de la boulangerie et du Restaurant de la Castellane qui fait l'objet d'une tentative sérieuse de relance. Nous verrons plus loin si d'autres activités sont encore possibles dans le contexte actuel.

 
Mis à jour le 13/02/2018
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