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Le BATTAGE
Que ce soit au village ou dans les cortals il faut toujours, à un moment donné, juillet ou août, battre le blé dont le bon grain, moulu au moulin de Gotanègre, nous donnera le bon pain.
Les battages au village sont d'une faible importance car ils ne concernent que le froment cultivé en zone irrigable donc produit en faible quantité. Néanmoins, il faut tout de même battre. Ce travail se fait au fléau, outil ancestral constitué d'un manche d'environ 1,30 m. ou 1,40 m sur lequel s'articule le fléau, bâton en bois très dur.
On bat son blé sur la place devant le porche de l'église, au Plaçal du château, à la Terrasse, ou encore à Las Aires , enfin là où il y a suffisamment de place.
Dans les cortals la propriété dispose toujours d'un endroit plat de 50 à 80 m2, "l'aire" où aura lieu le battage. Mais là il ne s'agit pas d'une corvée de quelques heures. Je vais essayer de vous décrire les journées de battage dans un grand cortal.
D'abord l'aire aura été soigneusement préparée. Il ne s'agit pas d'un endroit cimenté ou asphalté, ce qui simplifierait beaucoup la tâche, mais d'un lieu herbeux. Dans un premier temps, on brûlera cette surface avec une couche de paille ou de fougère sèche. Elle sera ensuite balayée avec des balais en genêt tout spécialement fabriqués à cet effet. Ensuite, on l'enduira justement pour remplacer le ciment, d'une couche de bouse de vache séchée pour enfin obtenir une surface propre à recevoir le grain.
Le jour du battage arrivant, toute la famille est mobilisée dès l'aube ; mais, le plus important, c'est l'équipe de batteurs qui est déjà là. En général, ce sont des amis, des voisins, des journaliers, l'équipe idéale étant de six hommes. Si leur nombre est insuffisant, il arrive qu'une femme prenne également le fléau. Les gerbes sont déliées et déposées avec art sur le sol afin de présenter surtout les épis. Dès lors l'équipe se met en place et, en cadence, avec un tempo digne du meilleur batteur d'orchestre, les fléaux vont s'abattre sur ces épis qui lâcheront tous leurs grains. La cadence est à quatre temps, l'équipe de base étant de quatre batteurs, et lorsqu'ils sont six il y a deux couples et deux individuels, mais toujours à quatre temps. Il y a bien corrélation avec un morceau de musique, mais là il s'agit d'une musique qui fait transpirer à grosses gouttes.
J'ai encore dans l'oreille, en cette fin de siècle, le bruit de ces fléaux écrasant le blé, de la paille bien sèche qui tournoie au bout des fourches et qu'on rentre au fenil ou qu'on amoncelle en une énorme meule. Et ce travail va durer deux jours, après quoi les batteurs partiront et il restera à la famille le soin de balayer l'aire, d'amasser le grain en un tas impressionnant. Commencera alors un dernier travail, celui qui consistera à séparer le grain de la "balle", les débris de l'épi. Cette opération s'effectuera à l'aide du "vantadu", la tarare, dont le ventilateur est tourné à la main. Le grain, mis en sac, sera alors stocké au grenier.
Ce travail énorme ne se différencie de celui des bagnards que parce qu'il était librement consenti, effectué par des hommes libres et fiers. Mais une telle dépense d'énergie, en plein mois d'août, sous une chaleur accablante, se devait d'être accompagnée d'une alimentation en relation avec les efforts accomplis. Ces hommes avaient un appétit pantagruélique et le maître des lieux avait tout prévu. La veille, il avait abattu un mouton ou tout au moins un broutard, la ménagère avait écorché un lapin, tué une volaille et prévu : jambon, saucisson et autres pâtés en quantité. Bien sûr il y avait aussi les sempiternelles pommes de terre et les haricots et on faisait facilement jusqu'à cinq repas par jour. Le tonneau de vin était au frais et le porro sur la table. On ne buvait pas au verre, mais à la régalade avec le porro en verre d'une contenance d'environ un litre.
Le grain ne se comptait pas au poids mais au volume avec des unités spécifiques du pays : d'abord la mesure qui était un double décalitre, ensuite la carga qui comptait dix mesures. La mesure pesait environ seize kilos et lorsque quelqu'un avait rentré quelque dix cargas de blé on pouvait dire que cela représentait dans les 1600 kilos.
D'ailleurs dans les près et dans les champs on ne comptait pas non plus en ares ou hectares mais en journées. On disait d'un pré qu'il était de 3, 4, ou 10 journals. De même que le champ de blé était de cinquante caballus, c'est-à-dire de cinquante fois dix gerbes. Encore que ce mot caballu était également employé pour désigner les sillons bombés de pommes de terre, de betteraves ou de salades.
En ce qui concerne le battage, nous verrons que les travaux que je viens de décrire ne concerneront que le premier quart du siècle et que les paysans, sous l'impulsion des plus modernes, évolueront assez rapidement vers la mécanisation.
N'empêche que le rythme de ces fléaux, fabriqués d'ailleurs par leurs utilisateurs, aura bercé les étés de mon enfance et me laissera le souvenir de ces hommes rudes et forts, mangeant comme des ogres, trempant leur chemise en accomplissant un travail de "titan" et qu'il fallait alors alimenter en eau fraîche, ce qui était le travail particulier des enfants.