Menu principal :
LES GENS
En ce début de siècle la langue parlée est le catalan et bien des mossétois, notamment les anciens, ne comprennent pas le français, ne savent ni lire ni écrire car ils n'ont jamais mis les pieds à l'école. Il est entendu que les garçons apprendront à lire et à écrire, ainsi ils pourront donner des nouvelles lors du service militaire, mais pour les filles, à la rigueur, on pourra se passer d'instruction et il sera beaucoup plus important qu'elles sachent cuisiner, coudre, laver, repasser et aider aux travaux des champs. Pour le paysan, la culture des terres est beaucoup plus importante que la culture intellectuelle car c'est elle qui donnera à manger à la famille, n'en déplaise à Jules Ferry, le créateur de l'école gratuite et obligatoire pour tous.
Aussi cette école, rudimentaire, mal conditionnée, peu spacieuse dans un vieux local du village, sera-t-elle peu fréquentée et quasiment désertée dés le Printemps car, dès lors, les travaux des champs requièrent le maximum de main d'œuvre. Nous verrons d'ailleurs cette école prendre un grand essor dans les années à venir car la municipalité a déjà pris conscience de ce problème.
Les gens parlent donc catalan et, tout naturellement, les prénoms sont catalans. L'époque est à la tradition et de génération en génération on se transmet les mêmes prénoms. La coutume veut que les premiers enfants soient parrainés par les grands-parents et qu'ainsi ils leurs transmettent leur prénoms.
Nous aurons donc des Marie et des Joseph à profusion, et çà nous donnera des Mariette, Mitou, Mimi et des Josep, Jepe, Josepet. Nous aurons également des Gaudérique : Galdric, Galdrigo ; des Isidore : Jidore, Jidro, Jidret ; des Étienne : Estèbe ; des Baptiste : Tistou ; des Sébastien : Sébastia, Tia, Tienet ; des Catherine : Catrine, Catrinette, Catrinou, Tinou ; des Marguerite : Margrite, Margridette, Guidette ; des Rose : Rosa, Rosette, Rosine ; des Jean : Joan, Janet, Jao ; des Aimé, des Louis et Louise, des Hypolitte, des Christine, des Vincent, des Pierre et Pierrette, des Antoine et Antoinette ; En somme des prénoms tout ce qu'il y a de plus classique. Les prénoms modernes ce sera vers les années 30/40, quant aux prénoms étrangers tels Kevin, Hélen ou Patrick, ils n'apparaîtront que dans la troisième partie du siècle.
Mais comme les prénoms sont à répétition il faut bien les distinguer lorsque l'on cite quelqu'un. On rattachera donc ce prénom à un lieu : Josep de Caraut, Jan del Mas, Dominique de la Coume, Henry de Brezes, Popoun de la Carole, Galdric del Castell, Tistou del bougalla, ou à une filiation : Tia d'en Bentourette, Jidret del Tort, Nannette d'en Manel. Seuls quelques prénoms uniques échappent à la règle. On dira Salvadou car il n'y a qu'un Sauveur au village, ou Vicens car il n'y a qu'un Vincent.
Vous allez penser : pourquoi ne pas rattacher le prénom tout simplement au nom ? Parce que le patronyme est quasiment inexistant. Presque tous les habitants sont affublés d'un surnom qui remonte parfois à la nuit des temps et il n'est pas rare que certains aient oublié le patronyme de leurs voisins. On trouvera donc à travers le village des Cabrit, Ramounet, Cargol, Bourregot, Pascaillo, Malpa, Colomb, Domenjo, Quel, Japote, Sarcou, Figuetaïre, Piqueterre, Polite, Fougas, Manoel, Bentoure, Moutet, Chamarre, Couillet, Descasat, autant de surnoms derrière lesquels se cachent des Salis, Arrous, Fabre, Bataille, Grau, Not, Ville, Pajau, Marty, Corcinos, Ribère, Monceu, Clîmens.
Les épouses vont souvent, involontairement, hériter de ce surnom qui, pour la circonstance, sera féminisé : la femme de Bourregot sera la Bourregotte, de Domenjo, la Domenjone, de Moutet, la Moutette, de Pascaillo, la Pascaillone, la Fougasse, la Descasade, la Malpane.
Les femmes prendront aussi, au féminin, la profession de l'époux. Ainsi la femme du "sabater"(cordonnier) sera la "sabatère", celle du "fuster"(menuisier) la "fustère", du "farrer"(forgeron) la "farrère".
Vous remarquerez que beaucoup de patronymes se répètent et si on emploie le nom il faut préciser. On dira par exemple des Not : Not de las Aires, Not Domenjo, Not Piqueterre, Not Figuetaïre, ou encore Bousquet dal Castell, Bousquet de la Coume, Bousquet dal Mas, Bousquet Bentoure, Bousquet d'an Turco.
Les mossétois s'y retrouvent très bien dans ces différentes appellations, mais avouez que pour un étranger ce n'est pas facile et qu'il est impossible aux enfants de faire le rapprochement entre le patronyme et le surnom. Encore que l'école va leur être très utile en ce domaine car les maîtres ignoreront volontiers les surnoms.
Cette pratique va perdurer au moins jusqu'à la moitié du siècle et souvent jusqu'à l'extinction totale de la famille ; car Pierre Bourregot ne peut pas devenir subitement, durant sa vie, Pierre Fabre ou encore Miquel Ramounet devenir subitement Michel Arrous ; ce ne sera que le petit-fils de ce dernier qui prendra les nom et prénom du grand-père.
Le mossétois n'accepte pas d'emblée la présence de l'étranger, le "forain" comme on dit en termes classiques. Et "l'étranger" ce n'est pas le ressortissant d'un autre pays mais tout simplement celui qui n'habite pas le village. "L'étranger" peut-être un autre catalan qui est né à quelques km de là, encore qu'avec celui là il y aura une communauté de langue. Le languedocien, le "gavach", sera un peu plus étranger encore. Quant aux autres français, ceux de la langue d"oil", ils ne seront pas plus appréciés que les italiens ou les espagnols.
Le mossétois est persuadé que lui seul est capable de s'adapter aux conditions de vie de sa montagne, ce que les autres, les "étrangers", seront incapables de faire. Pourtant, au cours du siècle, les Canal, Fajula, Quérol, Singaletti, Kruger, tous étrangers, les Tublet, Piret et autres français "d'ailleurs", et plus tard belges, hollandais, britanniques, prouveront que vivre à Mosset n'est pas un privilège réservé aux seuls mossétois d'origine. Mais l'évolution ne se fera que lentement dans les esprits, et les changements de mode de vie, le progrès, l'amélioration des mentalités, vont contribuer largement à cette évolution.
Les mossétois sont également attachés aux traditions. Ces traditions qui disparaissent en cette fin de siècle mais pour lesquelles j'éprouve une grande nostalgie. J'aurai l'occasion d'en parler plus longuement dans les pages qui vont suivre mais je peux en citer quelques-unes que nos vieux respectent encore un peu de nos jours. Citons par exemple les "bougnettes", ces oreillettes catalanes, délicieuses pâtisseries sucrées que chaque famille se devait de fabriquer le samedi de Pâques, dans l'après-midi. La mère de famille pétrissait sa pâte le matin pour qu'elle ait le temps de bien lever, et l'après-midi on cuisait ces beignets dans un bain d'huile bouillante, après avoir bien étiré la pâte pour que le beignet soit très fin. Le "torron", ce nougat catalan, ne faisait son apparition qu'à la Noël et c'était parfois la seule gâterie à laquelle les enfants avaient droit, en l'absence de tout jouet.
Les fêtes, chrétiennes ou patronales, toujours avec leur cortège de traditions, faisaient également partie du décor. Il y avait la foire qui se tenait le 4 octobre et qui était surtout une foire bétaillère. Elle avait lieu dans le haut du village où était rassemblé le bétail toujours réparti sur trois sites : au Plaçal les bovins, à la Caballerie les ânes, mulets et chevaux, et à la Terrasse les ovins et caprins. Cette foire, qu'Yvonne Mestres a remise au goût du jour après des décennies d'oubli et qui se veut plus commerciale et artisanale qu'animale, a lieu maintenant au printemps, le premier dimanche de mai.
Tradition encore, la fête du 15 août, qui voyait les jeunes, garçons et filles, aller prendre l'apéritif à "la font del tell", la fontaine du tilleul.
Tradition toujours l'appel aux "Morts pour la France", le 11 novembre, devant le Monument aux Morts de la guerre 14/18, au cours d'une cérémonie organisée par le conseil municipal, suivie d'un apéritif d'honneur.
Tradition enfin les différentes processions organisées par le curé Vernet, à Pâques, la Fête Dieu, l'Assomption, cette fête du 15 août.
Cette liste des traditions n'est pas exhaustive, loin s'en faut, mais j'en parlerai dans les différents sujets que je traiterai.
Parodiant une vieille chanson des années 20, j'ai envie de dire "Ah qu'il était beau mon village !" dans ses traditions.
Les us et coutumes du village veulent qu'un mossétois, quelle que soit l'heure de la journée, ne puisse en croiser un autre sans échanger une formule de politesse. Ce n'est pas un "bonjour" classique mais plutôt un "Allé", terme catalan qui signifie que tout va bien. Croiser quelqu'un sans un mot signifie qu'il y a fâcherie, aussi l'échange nécessite parfois une courte phrase banale portant sur l'évidence du moment, la chaleur, le froid, la pluie, mais toujours preuve d'amitié.